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Articles

Les beaux jours et les autres, Julien Baer (dessins de P. Katerine), Seghers

 Voilà un magnifique recueil de cinquante poèmes, une bouffée d'air frais dans le tout petit monde de la poésie. Je ne connaissais pas Julien Baer. Après lecture de ces pages, visionnage d'une vidéo sur Youtube à propos d'un livre jeunesse, écoute de chansons et quelques clics sur la toile, je suis sous le charme. Les beaux jours et les autres est parfait en tout point, en ce sens qu'il s'adresse à tous. Je l'ai écrit ici, je suis un peu fatigué de cette poésie d'intellos à laquelle je ne saisis que dalle même si, récemment, un proche a tenté de m'expliquer par le texte (Monchoachi, STREITTI, La Confrontation, chez Obsidiane) pourquoi il fallait passer parfois par des poèmes "obscurs" pour être en mesure d'accueillir le monde ("la saisie conceptuelle du réel"). Avec Julien Baer, j'ai l'impression d'être dans le mouvement inverse, dans la saisie réaliste du concept, une douce et tendre captation des gestes ordinaires, d
Articles récents

Extension du domaine de la liste, "Claquettes et ornithologie", Christophe Rey, Héros-Limite

 Voilà une pépite comme on en croise peu dans une vie de lecteur. Quand j'ai un petit coup de blues littéraire, comprendre quand je lis des daubes, je reviens vers ces Claquettes et ornithologie pour me réconcilier avec la chose narrative. A la croisée des genres entre poésie, miscellanées, nouvelles et listes, Christophe Rey compile ce qu'il voit et comprend, ce qu'il croit et ne comprend pas. Rien que des listes de choses et d'autres. Des listes de couples, de duos, des listes d'observations, du noble et du cru, des cordes tendues de linge et des paires improbables, de l'absurde et du sagace, du grossier et du délicat. Moins un livre de listes peut-être que des angles de vue, des façons de déplacer le regard. C'est bien connu, pour voir ce qu'on ne voyait pas, il ne faut pas changer les gens et le monde mais changer notre manière de voir les gens et le monde. Ce que fait si bien la littérature quand elle est entre les mains d'un type comme Christo

L'option légère, Victor Pouchet (Gallimard)

 Victor Pouchet poursuit sa grande aventure des moments dérisoires dans un formidable roman-poème d'amour, de joie, de peines et d'inquiétude. À moins que la solitude y ait le beau rôle et que l'écriture soit une façon de la ranger, d'y mirer ce qui disparaitra si on ne l'écrit pas. La Corse, la Grande Ville, la Bretagne, une femme, des poèmes, l'odyssée des vies ordinaires au milieu des gravats, dans le ressac sans fin des vagues éternelles, scélérates, impuissantes à solder l'enfance, ses souvenirs. Marcher, écrire, faire la sieste, ranger ses livres, autant de stratégies pour éviter les doux fantômes du manque, de l'ennui, de la compagne. Ses seins, son dos, son chignon. On la sent loin et fatiguée du trop grand sérieux affiché par son compagnon. Mais elle aime jouer, recevoir ses poèmes, une façon de dompter l'intranquillité et la gravité, de conjurer la brume amoureuse, la lourdeur des phrases et des mots. Oui, écrire pour être plus léger de to

La chair est triste hélas, Ovidie (Fauteuse de trouble, Julliard)

 Pourquoi une telle fascination pour un truc si ordinaire ? Oui, pourquoi le sexe fascine-t-il autant et comment piège-t-il dans des impératifs impossibles ? Ovidie, en grève du sexe depuis quatre ans, nous livre son expérience de femme qui a la haine des hommes (au lit), pas des hommes en général. Elle nous parle de son rejet du sexe hétérosexuel, de son immense sympathie pour les bonnes-soeurs — des féministes avant l'heure ! — de ces proches qui sont plus que des amis et moins que des amants. Bon, je ne me suis pas reconnu dans tous ces portraits d'hommes nés dans la culture du patriarcat. Et c'est justement ce qui m'a intéressé. Ovidie parle d'un monde qu'elle connaît bien, restitue une expérience qu'elle n'estime pas traumatisante, et livre surtout un regard pétri de questionnements et d'uppercuts. L'autrice me parle d'un monde que je ne connais pas ou peu. Une réalité que vivent des millions de femmes, une réalité glaçante, celle du vio

Tartan, Olivier Chapuis (BSN press, collection Uppercut)

 Une obsession remplace une obsession. Un bourrelet, tout commence quand Simon s'observe dans la glace. Et ce qu'il voit est pire que la mort, un bourrelet nom de dieu ! Hyperactif de la sédentarité, Simon mène une vie tranquille. Un boulot d'architecte, une famille bien sous tout rapport, deux enfants magnifiques, tout allait bien jusqu'à ce jour où il découvre l'impensable. Simon a quarante balais, toutes ses dents, mais la vie et ses articulations couinent à chaque pas. Le type est rouillé, il ne l'a pas vu venir. Un seul regard dans le miroir a suffi pour enfin réaliser. Il avait pris un coup de vieux, il allait devoir se retrousser les manches. C'était sympa les hôtels de luxe, les business class et les plages privées. Mais ça n'était guère suffisant pour rendre un homme heureux. Au moment où on lui confie un projet d'envergure, Simon est rapidement gagné par la fièvre de la course à pied. En milieu de vie, Simon redécouvre son corps. Il y prend

Là où nous ne sommes pas, Guéorgui Gospodinov (trad. Marie Vrinat, Les Carnets du Dessert de Lune)

 Grand plaisir de découvrir un peu de poésie européenne dans la nouvelle collection des éditions des Carnets du Dessert de Lune. Une remarque formelle pour débuter. Quand bien même nous ne parlons guère le bulgare, il est toujours plaisant de disposer de la version originale et de la traduction, au moins pour comparer les typographies, la composition. Et puis c'est une autre forme de poésie que de laisser l'oeil se promener, buter, sur une graphie étrangère, des mots inconnus qui deviennent poésie étrange. Bien vu également le cahier central pour en apprendre davantage sur l'auteur, son oeuvre, la traductrice, là encore dans les deux versions ! Puis on plonge dans les poèmes de la vie ordinaire de Guéorgui Gospodinov comme on se balade en terre étrangère, en terrain connu, en terre inconnue, là où nous ne sommes pas, là où nous sommes par les mots et les sons. Non pas un recueil de voyage, non pas un manuel des villes de l'Est mais un livre sur l'absence, la dispari

Edgar Melethy, Le Grand surplomb, retour au Mont Analogue (La Fosse aux ours)

 Mais qui êtes-vous, Edgar Melethy ? Un écrivain féru d'alpinisme ? Le plumitif de l'expédition, de toutes les ascensions, spirituelles et physiques ? Seriez-vous poète de l'air et metteur en scène ? C'est bien dommage, j'aurais aimé lire vos autres romans d'élévation, et même vos poèmes en spirale, il paraît que vous en écrivez. "Un roman d'aventures alpines non-euclidiennes" comme un retour au mont Analogue avec Log de X, un chanoine, Edgar Melethy, dans un tonneau mal logé en quête du discolopax, cet oiseau infoutu de voler droit. Il faudra à l'équipée sauvage braver des torrents, des sentes, les lèvres du grand surplomb, renoncer aux alphabets existants, se frotter de science et d'anagrammes, débusquer les énigmes retorses du langage. Ah ces lettres en gras semées ici ou là telles un long fil torsadé. Loue la montagne chantait René Daumal, ce traité d'ascension à flanc de versant où la poésie se pique d'absurdités terrestres, pr