Lire des livres, c'est bien. En
creuser le sens, c'est encore mieux. Arrivé un peu par hasard sur nos
tablettes, voilà un beau texte de nature à enflammer les cœurs. Le Cantique
des cantiques, chant d'amour par excellence, issu de l'Ancien testament et
attribué par certains exégètes au roi Salomon (admis au canon des Juifs au Ier
siècle après J.C.). Bel exemple de texte qui résiste à toute tentative
d'analyse définitive, tout en créant ses propres ombres.
D'abord,
il faut se laisser bercer par ces paroles suaves nées d'un amour fou entre un
homme et une femme même si — et c'est troublant—, on ne sait jamais, au fond, qui
s'exprime. Un roi, une princesse, un amant ordinaire ? Deux personnages ou un triangle amoureux ? Mais le plus
surprenant s'agissant de la Bible,
c'est l'incongruité du texte, avec ses allusions suggestives et ses accents
érotiques, au milieu du sacré teinté de solennité. Le Cantique des cantiques
ne serait-il finalement qu'une allégorie ? Car pour lever toute ambiguïté sur
le message, il fallait trouver du symbolisme au texte.
« Je vous en prie, filles de Jérusalem, par les gazelles et les biches des champs, ne réveillez pas, ne réveillez pas la bien-aimée, avant qu’elle le veuille. »
La préface, signée Jean-Jacques
Pauvert, revient justement sur les différentes interprétations des "spécialistes"
au cours des siècles. Pour les Juifs, dès le début, il s'agit d'une allégorie,
comme l'amour de Yahvé pour la nation choisie et de son union avec elle dans un
mariage mystique. Au Ve siècle, Théodore de Mopsueste en fait un chant d'amour
profane. Au Moyen-Age, on penche plutôt vers une interprétation mariale du
texte. Ernest Renan, plus astucieux, tente de dépasser les contradictions
: "Le poème n'est ni mystique, comme le voulaient les théologiens, ni
inconvenant, comme le croyait Castalion, ni purement érotique, comme le voulait
Herder ; il est moral, il se résume en un verset, le 7e du chapitre 8, le
dernier du poème : "Rien ne peut résister à l'amour sincère ; quand le
riche prétend acheter l'amour, il n'achète que la honte ".
« Tu es belle, mon amie, comme Thersa, charmante comme Jérusalem, mais terrible comme une armée en bataille. Détourne tes yeux de moi, car ils me troublent. Tes cheveux sont comme un troupeau de chèvres suspendues aux flancs du Galaad. »
En 1969, Stanley Kramer y voit
une simple collection de chants d'amour et de passion quand le révérend R.J. Tournay,
en 1967, confirmant l'interprétation définitive de L’Église, y voit "un
sommet de la révélation de la Première Alliance".
Mystère des origines, de la portée
et de la signification d'un texte. Il n'y a sans doute rien de plus beau en
littérature, l'impossibilité de tout saisir. C'est donc un texte en forme
d’énigme, semant son mystère à coup d'évocations suggestives ou lascives. On aimera d'autant
plus le dessin illustratif d'André Barbe qui s'immisce dans les silences du
texte par un grand zoom délicat, tout en élégance, sur le corps d'une femme,
pour épouser les contours des mots sans en épuiser les mystères. Images d'une
volupté, du désir et d'une émotion sensuelle. En un mot, l'érotisme : "Les
gestes, les attitudes, les regards - si bien rendus-, tout concourt à nous
ramener au concret, à la chair, à l'éternel fugitif du plaisir" écrit
Pauvert. Un appel au plus beau, au plus pur des amours. Une forme d'idéal,
un absolu, le mythe de l'amour total. Et bien sûr, inutile de trancher pour apprécier la sensualité toute spirituelle (ou la spiritualité toute sensuelle) de ce très beau texte.
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