Bienvenue en Pornésie (pas en Polynésie, malgré les cocotiers et les cocktails), pays de la pornographie poétique, du poème érotico-porno. Les langues se mélangent sur une fesse de Faye, de l'english et du François en pixels de mots, les fluides se déversent sur le corps de Faye. Chirurgie visuelle, plans cliniques de Faye, gros plan d'un sexe qu'on ne voit pas. Faye comme un concept qui nous échappe, une image qui disparaît dans d'autres images de jouissance et de vide sur une crête entre la mort le néant et l'illusion de la vie intense. Des simulacres en réalité, d'amour et de sentiments, d'orgasmes et de peaux. Je te chante parce que tu ne m'appartiens pas, je te rends présente car tout le monde te possède : des gosses de douze ans qui n'ont encore rien vu, des vieux qui s'étranglent et des quadras fatigués. Or le plaisir et l'amour sont exclusifs. Faye, muse sans partenaire, offerte aux foules computérisées, muse incendiaire des caleçons sales, vulgaire représentation de nos soirées fatiguées. Faye, c'est un enfer et un paradis du capitalisme 2.0. Faye, qui es-tu ? On voit bien ton corps, mais ton âme, qu'ont-ils fait de ton âme ? Salie, bâchée, désirée. Tu n'existes pas, Faye, tu es un poème, un slam kitsch, un fleuve de regrets et d'émois, une chanson de gestes mécaniques, une industrie à recycler les triques et les instincts. Faye temporelle, faille sexuelle, des buissons ardents au bord du précipice, des descentes au Paradis, des montées en enfer, ô muqueuses diaboliques dessinées en $. (Ô Faye / tu es mon fantasme / mon ire et mon dégoût / mon rire et ma première foi /ma faute mon regret fou / mon éternelle fois / Ô Faye / tu seras la femelle / que toutes j'ai aimées).
Chez Syrac, ça claque autant que ça fouette, ça débite les words autant que ça gicle des bites. Des mots et des éloges, des jours gris en hommages pop. Faye, la femme qui est toutes les femmes, le fantasme absolu d'une époque vitrifiée, désincarnée. Pourtant, nostalgie moite d'un moment en bord de piscine, hommage dans une bouteille qui atteint la page et la plage. On voulait voir l'amour, peinte et dépeinte sous une plastique rousse, mais c'était une feinte de l'image, une ruse de l'écran filtrant. Une image, juste une image à fabriquer des fantasmes kitsch, à recycler des désirs solitaires, dépeuplés par une époque obscène, sans futur et pleine de vergetures. Des corps gonflés mais fatigués. 18 ans qui fixent l'éternité, 18 ans pour figer l'obsession des formes d'une jeunesse durable, inépuisable. Moins des poèmes à Faye que les failles désenchantées d'aujourd'hui, rythmées par les saccades désargentées des sigles, des marques des étiquettes. POV réalité qu'on nous vend en HD. La marchandise est bien vivante mon dieu, elle est rousse et protubérante. Mais la dame n'existe pas, juste une femme symbole dans le cerveau étoilé d'une armée de phallus charlatans.
Ô Faye / que rien n'inquiète / au fond de la piscine / à balles / danse / danse entre les / rafales / danse ô Faye / danse / entre les bulles / danse / entre les lignes / danse comme / une sirène / danse la / concordance / du Love et de la Haine
Délire flip flop, tout en invention de rimes et d'assonances ricaines, le sombre sur ces lèvres de sel, le voyeur démasqué. Il faut de l'humour et du fluide pour alléger, sublimer l'ordinaire, pour accepter le sordide véhiculé par le canal wi-fi, oh oui, Faye, le porno est poor et la poésie funky, le foutre glisse et les tombes se remplissent, non pas sur des lits mais des tables grisées de froid où les glands cherchent asile. Mélancolie, melancholia du poète dans l'instant, dans l'instinct, fasciné et perdu, pas dupe de l'enfer de son désir. Il fallait bien l'inventivité (et le talent) de Julien Syrac, son énergie slamante, sa musicalité sur un fil pour capter la tendresse du Kleenex et la poésie de l'hygiène. Where do we go dans ce monde si sale parfois, où l'on s'aveugle de silky swallow ? Foi en la poésie qui claque qui ne lâche rien, foi en l'humain qui aspire à autre chose qu'à la Global Tristesse des corps mécaniques sur tables d'équarrissage. La beauté et la toute petite mort, l'illusion du désir qui ne s'épuise jamais, quelques dollars pour des vies foutues en l'air, et des va-et-vient vides de romantisme, normal, mais pleins de sons. Un corps tout près, Faye, vu sous toutes les coutures, obsession pour des seins inaccessibles, transparents et toujours plus lointains. En chasser les images, en conjurer l'impossible et absolue possession. Derrière les poitrines, des mots très musicaux, ricochets d'une pornésie en deuil de son désir d'éternité, d'une jeunesse foudroyée et hagarde, orpheline de son rêve en piXelle. Pornésie qui claque, par Julien Syrac.
Poèmes à Faye, Julien Syrac, Quidam, novembre 2021, 136 p., 15€
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