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Richard Powers : Générosité

Richard Powers : le bonheur est-il génétique?

L'Espadon vient d'achever la lecture d'un grand roman, orchestré de main de maître par l'indispensable Richard Powers, une des grandes plumes de la littérature américaine. Le pitch de Générosité est simple : Thassa Amzwar, jeune Algérienne dont la famille a été massacrée au cours d'émeutes en Kabylie, vient à Chicago pour suivre des études. Malgré toutes les horreurs vécues, Thassa incarne à elle seule le bonheur de vivre, et ce, en tout lieu. Son professeur, Russel Stone, et Candace Weld, psychologue de l'université, tombent littéralement sous le charme. Puis les médias et la police vont s'en mêler, histoire de comprendre l'origine de ce bonheur insolent...Car son bonheur est contagieux mais aussi trop subversif pour être réel. Il y a là un mystère à élucider, une clé à trouver et un message à comprendre. Euphorique, sereine, joyeuse, jamais triste, Thassa est plus qu'un individu, c'est une question philosophique qui défie l'entendement...

Le roman pose des questions éternelles et universelles : sommes-nous dignes d'être heureux, et surtout, comment atteindre cet état de félicité absolu, partout et tout le temps ? Le bonheur est-il génétique (auquel cas il faudrait circonscrire le gène du bonheur) et l'homme, doué d'un libre-arbitre, est-il capable de décider lui même s'il est apte au bonheur? Des questions pertinentes, de la science et de l'émotion, des impasses aussi, il n'en faut pas plus à R. Powers pour nous embarquer dans cette quête passionnante et stimulante, première et authentique ambition du genre humain. Sommes-nous déterminés par nos gènes ou sommes-nous libres? Les vies sont-elles vécues d'avance, inscrites dans un passé déterminant? Thassa incarne d'ailleurs moins un personnage qu'un horizon narratif et fictionnel, une manière de penser la littérature à l'ère des blogs, le livre oscillant en permanence entre chronique sociale et allégorie métaphysique. L'idée que l'on puisse un jour maîtriser son destin est illusoire, mais rien n'empêche de se poser la question et d'y réfléchir, semble nous dire Powers...Et l'un des derniers territoires de liberté a peut-être pour nom littérature, ou encore fiction, car lieux d'imaginaires sans limites...

Ce qu'on apprend, en définitive, c'est que la tristesse est peut-être condition du bonheur et que "la croyance en notre liberté n'est peut-être que l'ignorance des causes qui nous déterminent"...Défiant ainsi les interprétations mécanistes des scientifiques et le déterminisme absolu, Powers déroule un conte morale d'une grande lucidité, doublé d'une grande inventivité (voir le rôle du narrateur, personnage métafictionnel par excellence). Belle réflexion sur le genre humain et la possibilité d'un réenchantement, mais aussi analyse pertinente des rapports qu'entretient le lecteur avec la littérature, Générosité est à lire absolument. (4/5, voir interview sur le site Chronic'art).