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Articles

Affichage des articles du avril, 2019

L'Embâcle, Sylvie Dazy (Le Dilettante) ★★☆☆☆

     Un P.L.U. en couverture, des friches à exploiter, une gentrification à bâtons rompus, des fleuves corsetant une ville en mutation, des promoteurs gloutons et un monde qui disparaît, remplacé par une étrange modernité et, il faut bien le dire, un peu ridicule, faite de magasins bio et de hipster. Ce livre, pour les géographes que nous sommes, avait sur le papier tout pour nous séduire. Un peu de sociologie urbaine et une mélancolie née d'envies rapaces d'aménagements. La rénovation comme un mantra . Mais le traitement nous a moins convaincus.     On suit d'abord la vie de Paul Valadon, vieil aigri atteint du syndrome de Diogène et reclus chez lui. Barricadé même, misanthrope de son état, qui prophétise l'effondrement à venir. La compagnie des autres humains lui est insupportable. A une époque d'indifférence généralisée et d'anonymat citadin, il fait pourtant l'objet de toutes les attentions. Théo, agent immobilier, doit mettre la main sur sa viei

Le Chien de Madame Halberstadt, Stéphane Carlier (Le Tripode) ★★★★☆

   D'habitude les chiens, très peu pour nous. Vous savez les odeurs de chien mouillé, les sorties à heure fixe, les aboiements insupportables. Ajoutez à cela une couverture affreuse comme un carlin, un titre vieillot et un pitch digne d'un téléfilm peu inspiré, rien ne prédisposait à aller vers ce bouquin. Mais voilà, Le Tripode est un éditeur de confiance. L'association chien-Le Tripode, il faut l'avouer, nous a tout de suite intrigués. Ça sonnait un peu faux. Et puis les chiens, dans un livre, ça passe mieux, ils n'existent pas vraiment. Alors on s'est lancé. Lecture finie, quand Stéphane Carlin (euh Carlier, pardon !) s'y colle, le résultat donne une belle surprise. Et une couverture soignée, qu'on a fini par adorer . Qu'il est bon de se tromper parfois. Explications.    Les meilleurs livres sont sans doute ceux dont on n'attend rien ou pas grand-chose. C'était le cas avec " Le Chien de Madame Haberstadt ", d'autant

Willnot, James Sallis (Rivages/Noir) ★★★☆☆

Découverte d'une fosse commune, des cadavres non identifiables, des ados en quête de re-création, des coups de feu, un afflux d'étrangers... Quel est le sujet de Willnot ? Passées les 30 premières pages, on s'interroge sur ce pitch qui n'avance pas : des corps décomposés sont retrouvés dans une carrière en marge de la ville de Willnot. Une communauté choquée, des questions en suspens, l'agitation qui s'empare de la ville. Il y a bien un shérif, Hobbes, mais l'enquête n'avance pas. Ou si, peut-être. Mais nous, lecteurs, n'en saurons pas grand-chose. Car l'intérêt semble ailleurs au fil des états d'âme des nombreux personnages. En premier lieu, Lamar, médecin de son état, qui croise tout ce que la ville compte de paumés, de malades ou vieux en sursis. Le polar supposé disparaît très vite derrière la chronique douce-amère d'une petite ville, avec son lot de désœuvrement. Le polar n'est plus que le prétexte d'un roman existentiel

Des voix, Manuel Candré (Quidam) ★★★★☆

Voilà un livre qui devrait nous poursuivre quelques années. Car le spectral Des Voix, signé Manuel Candré, vient défaire notre manière de lire, notre façon d'appréhender l'objet. Point d'interprétation ici, on en serait incapable car Des Voix se situe à un autre niveau pour nous. Notre curiosité nous pousse en général à aller traquer toutes les références et éléments de contexte mais, allez savoir pourquoi, on se l'est interdit ici pour mieux se laisser bercer par cette écriture de fantôme. Peut-être pour, en fin de compte, être davantage possédé par ses silences transparents. On livrera donc plutôt des impressions de lecture, prolongements d'une véritable expérience physique et mentale. Rarement un livre nous a touché — au sens premier — physiquement. Rares sont ces livres dont on ne sait pas quoi penser de façon définitive (plutôt un bon signe). On ignore si c'est un chef d’œuvre mais c'est un livre marquant. Pardonnez l'expression terre-à-te

J'entends des regards que vous croyez muets, Arnaud Cathrine (Verticales) ★★☆☆☆

 Superbe titre pour le dernier livre d'Arnaud Cathrine. Un programme plein de promesses, de celles que l'on a tous faites. Empruntant les transports en commun, qui ne s'est pas un jour ou l'autre posé cette question sur son voisin de siège : qui est-il/elle ? Quel est son âge ? Comment s'appellent-ils ? Que font-ils dans la vie ? Quelle est leur vie ? Une myriade d'histoires extraordinaires guettent à la terrasse d'un café, dans un train en partance vers Deauville, dans le regard d'un ami ou dans une rame de métro...  65 microfictions (de une à trois pages) balisent ce livre en forme de carnet, où l'auteur "vole" la vie ou une partie de la vie des autres, comme chacun le fait — on l'imagine — dès qu'il a une minute à penser. L'auteur observe des détails, mime des paroles, invente des vies, fixe, scrute et sourit à ceux qu'il croise. Des hommes, des femmes, des enfants, imagine leur relations, suppose une manière d

Nuits Appalaches, Chris Offutt (Gallmeister) ★★★★☆

 En avoir ou pas. La vie se résume parfois à ça. Avoir de la chance ou pas. Tucker, sorte de figure white trash condamnée à la vilénie morale, à l'infamie, est né du mauvais côté. Celui des losers , des victimes du destin, dommage collatéral de la guerre de Corée. Non pas qu'il soit mort. Mais pire, d'avoir vu et donné la mort. Même pas majeur le gamin. A vous forger comme un roc pour la vie. On est en 1954. Né au mauvais endroit, au mauvais moment, comme Rhonda, sa femme, rencontrée après une tentative de viol par un oncle. Déjà la volonté de sauver le monde pour Tucker, d'inverser les rapports de force et le cours des choses. Faire des enfants absolument sains de corps et d'esprit. Éviter la dégénérescence programmée d'un milieu social. Pauvre et responsable de ne pas réussir ?    D'une puissance âcre, mélange de sueur, de désespoir et d'amour absolu, Nuits Appalaches déchire le cœur et prend aux tripes . Vous dire comment, pourquoi, à l

Oyana, Eric Plamondon (Quidam) ★★★☆☆

   Oyana est donc notre premier livre de l'auteur québécois Eric Plamondon. Son précédent, Taqawan, a rencontré un petit succès public et critique, relayé par des libraires tombés sous le charme de son écriture. C'est dans ce contexte qu'on attaquait cette histoire a priori pas faite pour nous. Une double trame en réalité, faite d'une histoire d'amour en rupture entre Oyana Etchebaster et Xavier, sur fond de terrorisme basque . L'intime et le politique. Ou est-ce l'inverse. Qu'importe, un livre lu d'une traite (enthousiaste) en une toute petite soirée. Plusieurs récits se chevauchent ici : une histoire politique du pays basque en lien avec l'abandon de la lutte armée de l'ETA. Le 3 mai 2018, l'organisation annonçait sa dissolution. A laquelle se greffe la romance en rupture d'Oyana et Xavier, cette dernière rattrapée par les erreurs et traumatismes d'une lutte armée involontairement choisie. Mais attention, l'auteur

Au nom du père, Balla (éditions Do) ★★★☆☆

    Voilà un livre qui nous a fait beaucoup rire. Avant les dernières pages tout du moins, glaçantes ou d'une "inquiétante étrangeté". Au choix. Et pour cause, on aurait beaucoup de mal à trouver un héros aussi peu vendeur. Tenez : le narrateur est un père à l'air renfrogné, vieil homme aigri qui fait le constat d'une vie amère : du haut de son phare, il ressasse les échecs sans en comprendre les causes. Que reste-t-il d'une vie triste et solitaire ? Une maison familiale, construite par lui-même et son mystérieux frère. Ses deux fils, désormais adultes, ne l'ont jamais aimé. Trop volage, égoïste et méprisable. Son ex-femme, soupçonnée d'être folle, il la méprisait aussi. Ses parents, il n'a jamais pu s'entendre avec eux. Un mariage en ruines, une femme humiliée par des infidélités, des fils ignorés et cette maison, miroir de toutes les folies... Ce que l'on retient d'abord, c'est le comique, d'une cruauté cynique qui

L'Ours qui cache la forêt, Rachel Shalita (L'Antilope) ★★★☆☆

 Mélancolie de l'exil, blessure du déracinement, douleur de la perte... L'Ours qui cache la forêt de Rachel Shalita chante sa petite musique de l'éloignement qui vous trouble par son absence d'explication stable ,  seule façon de donner le sentiment des abîmes de l'âme humaine. Une musique de fond qui capte l'absence d'une utopie sur des airs de conte moderne. Intrigant, ce livre de Rachel Shalita croise les trajectoires et les destins pour mieux cerner cette identité d'entre-deux — comme un non-lieu en attente — celle d'Israéliens exilés aux États-Unis et ballottés entre leurs désirs et leurs renoncements, déchirés entre leur culpabilité et leur amour. Par volonté ou contrainte, chacun recherche pourtant son chez soi. Être pleinement chez soi pour être pleinement soi-même. Ce lieu, c'est Israël, ses oliviers, sa sécheresse bienveillante, ses monts, sa guerre et son armée, comme une ombre pesante. Les États-Unis aussi, terre d'a