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Articles

Affichage des articles du 2021

Le mode avion, Laurent Nunez (Actes Sud)

 Un avion de guerre, ça bombarde et c'est dangereux. Mais si t'es en mode avion, tu les entends pas, les bombes et les avions. Voilà ce qui arrive à nos deux agrégés de grammaire, professeurs émérites à la Sorbonne, Étienne Choulier et Stefán Meinhof. Zéro reconnaissance, des copies par milliers, peu d'implication et, il faut bien le dire, un peu bizarre le Choulier, plus jeune agrégé de France : "Je vois le langage". À 25 et 30 ans, les  deux profs  doivent bien l'admettre, ils ont beaucoup de points communs : doués et discrets, ils ont la passion de la transmission, le goût de l'apprentissage mais il leur manque un truc, quelque chose de nouveau : "ils auraient aimé apposer leurs noms sur un nouveau continent mental, déterrer un trésor philologique, construire un beau système philosophique". Fini les répétitions, ils veulent découvrir, inventer, produire du savoir. Quel comble d'être savant ! Il ne leur restait plus que l'ironie moqueus

Rétro 2021

 Petit retour sur une riche année de lectures. Pas de classement, je ne suis pas là pour distribuer les bons points, juste un rapide aperçu sur quelques romans marquants (on fera un spécial poésie demain), drôles, émouvants, féministes, intelligents, qui disent la puissance de la fiction. Beaucoup nous ont plu, beaucoup me sont aussi tombés des mains, on ne pourra pas tous les citer. Honneur à ceux qui restent. Avant le jour  de Madeline Roth, très beau livre sur l'amour, le désir, l'attente et les sentiments contrariés, avec une écriture sobre et profonde. L'anti Feu de Maria Pourchet, qu'on avait détesté, il faut bien le dire. L'Avantage de Thomas André, récit d'un adolescent nulle part à sa place, au miroir d'un tournoi de tennis et d'un désir en construction. Un grand roman de 2021, Le Démon de la Colline aux Loups de Dimitri Rouchon-Borie, le récit bouleversant d'un gars en prison, comme si l'enfer lui était tombé dessus. Ecriture magistr

Le Roman du siècle, José Carlos Llop (traduit de l'espagnol par Jean-Marie Saint-Lu; Do éditions)

 Au risque de se répéter, allez faire un tour dans le catalogue de Do éditions, l'un des plus séduisants actuellement au rayon littérature étrangère. Étrangère, justement, puisqu'il est souvent question d'étrange et de mystère, d'ambiances fortes chez les auteurs de cette maison. José Carlos Llop aujourd'hui, écrivain espagnol-catalan qui, dans cette dizaine de nouvelles crépusculaires, ausculte les dimensions du mal au miroir des guerres, de l'Histoire et des fantômes qu'elles produisent inlassablement. Moins pour en comprendre les origines qu'en déployer la puissance littéraire qui est promenade sur une crête avec d'un côté, la fiction, et de l'autre, ce truc bizarre qu'on appelle le réel. Cette crête est la limite, la frontière floue, le territoire même où peut vivre l'écrivain avec ses personnages. Ou plutôt ses ombres, ses fantômes, ce que sont les personnages pris dans le courant des guerres destructrices. Surtout ce qu'il aurai

Agacement mécanique, Olivier Hervy (L'Arbre Vengeur)

En ce moment, je traque les aphorismes comme un alpiniste en quête de son shoot d'air. Avec une tendance Ito Naga, Paul Lambda (récemment chroniqué sur ce blog), et désormais Olivier Hervy, qui roule sa bosse depuis un certain temps déjà dans le domaine des petites phrases couperets. Je m'éclate littéralement. Cet Agacement mécanique , publié en 2012 à L'Arbre Vengeur, est follement malin et très drôle. Si la fonction de l'art est de faire voir ce qu'on ne voit pas, alors Olivier Hervy est un grand artiste des mots. Les paradoxes du quotidien sont toujours incongrus, tellement routiniers qu'on a fini par ne plus rien voir, plus rien comprendre. Il fallait donc la logique toute poétique d'un auteur inspiré, d'un observateur affûté. Qu'il évoque une couscousserie pas à sa place, une étiquette de Champagne, le parti socialiste en action (haha), la mêlée des joueurs de foot, un voisin désagréable, les groupes de niveau en natation, Olivier Hervy fait sou

Un vide, en Soi ; Marc Verlynde (Abrüpt)

 "Au fond, toute parole s'élance du fantasme de penser à partir de rien (...)." Vertiges et auscultations du vide pour prendre de la hauteur. En soi, dans le roman, car "tout désir de dire s'élance d'un vide". Passionnant essai de Marc Verlynde publié chez Abrüpt, sur ce que l'on projette dans le roman de nous, de nos attentes, ce qu'on écrit parce qu'on ne parvient pas à le dire autrement. Paysages de l'inachèvement, de l'impuissance, du manque, phrases qui dérivent, pensées qui détonnent et détournent. Refléter, spéculer, laisser ouvertes les portes du vide, sans jamais essayer d'épuiser ce dernier. J'aime ces textes qui nous poussent à penser plus loin, à penser autrement, à penser plus haut, à partir d'images ou d'auteurs, en nous suggérant des pistes ou des clés de lecture sans jamais nous les imposer. Libre ensuite de nous y retrouver ou pas. Cet essai propose donc un horizon vertigineux à partir de quelques réfé

Je sais, Ito Naga (Cheyne)

 Ito Naga sait qu'il ne sait pas vraiment. Il sait peut-être, au moins, 469 choses, nombre de remarques que contient ce recueil. Esprit sage qui observe, s'interroge sur les grands riens, les petits tout et tous. L'enjeu, nous dit la quatrième de couverture, c'est l'enquête vers le réel immédiat, un inventaire amusé, imprévu, forcément provisoire de données d'évidence qui présentent le réel pour ce qu'il est : un univers en expansion infinie. Contempler les vérités microscopiques et en tirer, pourquoi pas, une façon d'être universelle. Réflexions ou observations en trois lignes, Ito Naga veut capter des bribes d'instantané qui, par définition, échappent toujours. Il faut donc le filet des mots et des phrases pour capturer l'essence d'un instant, l'âme d'un moment, dans les regards, les attitudes, les paroles, les biffures, les manqués, les absences, les doutes, les objets, les expressions toutes faites, les habitudes habituelles, les

À fleur de chair, Chloé Saffy (La Musardine)

 L'hiver sera chaud avec Chloé Saffy et son roman À fleur de chair . Précisons-le d'emblée, je ne lis jamais de littérature érotique, encore moins de livres sur les pratiques de BDSM. Mais Chloé Saffy avait publié un essai autofictionnel consacré au Maître des Illusions de Donna Tartt, bien troussé et emballant. C'est donc avec curiosité qu'on se lançait dans cette expérience. Un thriller érotique qui met en scène Delphine, l'épouse d'Antoine depuis dix ans, qui découvre des lettres dans lesquelles sont racontées la double vie BDSM de son mari. Delphine connaissait cette vie — ils avaient passé un accord — mais a toujours fermé les yeux. Le jour où elle découvre réellement la nature de ces relations, ses repères vacillent, dans un lent jeu de dévoilement. Triangle secret où se mêlent désir, honte parfois et plaisir extrême souvent. Un roman qui m'a semblé avoir une valeur documentaire sans pédagogie pesante. Pour qui ignore tout de ce monde, Chloé Saffy se f

J'envisage l'impossible, Arthur Navellou (Iconopop)

 J'envisage l'impossible, comme faire mes cartons fissa et emménager à Chartres. Non, sérieusement, c'est un peu la phrase qui m'est venue à la fin de ma lecture. Un bouquin de poésie qui te donne envie d'aller te promener (déambuler plutôt ?!) dans Chartres, ça ne court pas les rues. Autrement dit, Arthur Navellou n'est pas un vendeur de navets mais un poète des pavés, des places abandonnées, des lieux disparus à réinventer par les mots, qui n'oublie pas d'incarner les souvenirs par les pierres, et les personnages par les anecdotes. J'envisage l'impossible est de loin le recueil Iconopop qui m'a le plus séduit jusqu'à présent. Une poésie fine et accessible, sobrement touchante, comme a pu l'être celle de Victor Pouchet dernièrement dans La Grande Aventure . La grande force de ce recueil, à mon sens, c'est ce flot de malade, d'une simplicité absolue. Le texte coule et roucoule sur la page, chante sa petite musique urbaine un

Mollo sur la win, Christophe Esnault & Lionel Fondeville (Cactus Inébranlable éditions)

 Un éditeur au destin funeste, un solitaire égaré sur le site de rencontres Similitudes , un RMiste qui décuple sans le savoir les capacités de sportifs angevins, des essais de nouvelles, une rixe avec Philippe Sollers, des refus de manuscrits dans des revues obscures, des séances chez le psychanalyste... Les losers, l'amour, la détresse sentimentale et littéraire au miroir de treize nouvelles rigolardes qui auscultent notre désir de tendresse, de reconnaissance, toujours un peu vain. L'élégance de l'échec. Du punch et de l'humour à tout va dans ce recueil de nouvelles qui, à l'image de la couverture, a des airs mal fagotés. Les airs, seulement, d'un réel trop étroit ou trop grand pour des personnages pas toujours adaptés au monde tel qu'il va. Paumés et romantiques à la dérive, les personnages naviguent entre leurs aspirations un rien ambitieuses et la médiocrité du milieu intellectuel/culturel où ils évoluent. Avec quelques écorchures en bandoulière et qu

Le désespoir, avec modération (Le Cactus Inébranlable)

 Je découvre un auteur et un éditeur dans le même élan : Paul Lambda et le Cactus Inébranlable. Un bon bouquet bien touffu, pas ordinaire, qui pique un peu beaucoup. Avant d'y aller mollo sur la win avec Christophe Esnault et Lionel Fondeville, une petite pause poétique avec Paul Lambda et ses aphorismes jaillis d'un délicieux pot aux mots. Avec lui, le désespoir est doux et drôle, 65000 signes de poésie espaces compris où les mots finissent par se jouer de nous... Si ta vie est triste et morne, le désespoir te redonnera un coup de fouet. Adieu solitude et ennui, des bouffées d'amour vont te submerger au coin d'une table, entrecoupées de quelques vertiges galactiques et de silences qui en disent long sur le bruit ambiant. Quelle posologie ? Tout le temps et jamais, quand tu veux, quoi. Aux toilettes ou avant de dormir, entre deux couches ou avant la partie de squash, n'oublie pas de bien caler ton exemplaire dans une poche de pantalon ou de short. Mais pas trop au r

Carrousel encyclopédique des grandes vérités de la vie moderne, Marc-Antoine K. Phaneuf (trad. par un hockeyeur, La Peuplade)

 Il existe des bouquins qui, s'ils ne sont pas parfaits, ont pourtant un charme fou. Ce sont même leurs défauts qui nous les rendent sympathiques. Vous trouverez le pire et le meilleur dans ce carrousel hilarant, jusque dans ses ratés. Dans "encyclopédique", il y a cyclo, qui rappelle d'ailleurs le carrousel. Les phrases tournent et retournent dans ce livre qui enfile les maximes ("les vérités") les faits et les observations, au fil de dix chapitres un peu fourre-tout sur l'origine du monde et celle des plaines, les caractères nationaux et les plaies physiques, les petits mensonges et les grandes vérités, les traits d'animaux et les réflexes périmés, les tiraillements et les tirés à quatre épingles, les mal fagotés et les bancals. C'est absurde, hilarant et parfois ça tombe à plat. Des sentences balancées presque au hasard avec un aplomb jamais vu ("la méchanceté fait maigrir", "les ramoneurs sont maladroits, mais savent danser&quo

Le Magasin de jouets magique, Angela Carter (Christian Bourgois)

  Le Magasin de jouets magique  de Angela Carter – Collection Titre. Christian Bourgois Éditeur – avril 2018 (roman traduit de l’anglais – UK – par Isabelle D. Philippe. 304 pp.  LdP . 8 euros.)   «  L’été de ses quinze ans,  Melanie  découvrit qu’elle était faite de chair et de sang  ». Cette phrase liminaire du roman  Le   Magasin de jouets magique  dévoile aussi bien sa protagoniste que le cœur de son propos. Le deuxième roman de la Britannique Angela Carter – par ailleurs autrice des phénoménales  Machines à désir infernales du Docteur Hoffman  – narre en effet l’initiation de son héroïne aux mystères d’Eros («  la chair  ») et de Thanatos («  le sang  »). En "bonne" sadienne – p ar  ailleurs essayiste, Angela Carter est l’aut rice  de  La Femme sadienne , une réflexion féministe sur l’œuvre du divin Marquis, publiée en français chez Henri Veyrier   – elle lie plus qu’étroitement les découvertes de la sexualité et de la mort par  Melanie . C’est ainsi aux instants mêmes d

Consumée, Antonia Crane (traduit de l'anglais par Michael Belano, Tusitala)

On l'écrit depuis un certain temps, Tusitala, jeune et très chouette maison d'édition, présente un catalogue magnifique. Souvenez-vous de Jacqui par Peter Loughran, de Francis Rissin par Martin Mongin ou encore La Bouche pleine de terre par Branimir Scepanovic... Mais ça manquait d'autrice, vous en conviendrez. Voici que débarque Consumée par Antonia Crane, travailleuse du sexe fière et militante, battante, tiraillée et écorchée, dont la vie se résume au strip-tease, dans les grandes lignes. Antonia est fauchée et il faut bien manger, payer les soins de sa mère mourante. La jeune Antonia voudrait arrêter mais tout la retient, une vie de mensonges, de drogue, d'alcool, elle l'ancienne boulimique sujette aux addictions. Des émotions sous cloche, des débuts de viol, apprendre l'art de la dissociation pour accepter le réel en échange d'une dépendance au travail du sexe. Comment en sortir ? Pourquoi se prostituer ? Des migraines à n'en plus finir, des sei

Élise sur les chemins, Bérengère Cournut (Le Tripode)

 Il existe des rencontres qui bouleversent des vies. Il existe des bouquins qui vous tombent des mains au bout de deux pages. Il existe des pages qui vous rendent captif de leur magie au bout de deux vers. Elise sur les chemins, dernier livre de Bérengère Cournut ( De pierre et d'os ), fait partie de cette catégorie. On connaît bien le géographe anarchiste, Élisée Reclus, et la quatrième de couverture nous précise : "un roman librement inspiré de la vie familiale du géographe et écrivain anarchiste Élisée Reclus (1830-1905)". Des prénoms qui sonnent comme, des promenades au rythme d'une carte, les paysages pour chansons et les enchantements des premières fois, le désir comme mantra. L'auteure nous embarque dans son petit monde peuplé de tritons, de tontons, de bidons et de coteaux, où l'on franchit des montagnes, où l'on croise des femmes-serpents, héros de contes et de légendes ancestrales. Tout ça fleure bon la géographie, une poésie du chemin et du lien

Vendredi poésie #11

  Du bon et du beau en ce vendredi poésie, onzième du nom. On commence avec l'anthologie Chants must go on (poèmes farandoles), chez Mots Nomades éditions, une chouette maison de "petits bras associatifs". On y trouve une quarantaine de plumes, différents formats — du court, de l'haïku, du très court , des pubs, des annonces, des récitations, des maximes, des poèmes bien sûr, regroupés sous la forme d'une farandole poétique "qui s'est vécue au printemps 2020 pendant la Grande Quarantaine". Un livre qui parle d'une époque à sa façon, en chanson et chez soi, à la maison avec des voix par mails interposés. Une symphonie souvent drôle, une polyphonie émouvante et pleine de tendresse. Le masculin se change en féminin, on disserte sur les ex, les experts et les ex pères, on joue avec les mots et les sons, on tire des conclusions pour refuser de conclure quoi que ce soit, on bégaye, ça sonne, ça rigole et ça touche. Une petite émotion, une grande par t