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Articles

Affichage des articles du juin, 2021

So Sad Today, Melissa Broder (trad. Clément Ribes, L'Olivier)

Sachez-le, Melissa Broder est ma nouvelle idole. On vous parlait récemment du magnifique Sous le signe des poissons , roman dépressif et hilarant d'une femme en proie à la rupture amoureuse. Publié deux ans plus tôt chez un autre éditeur, So Sad Today révélait déjà l'univers déchirant de la poétesse américaine. Déchirant oui, à vous faire hurler de rire et vous plonger dans des océans d'anxiété. Il suffit de lire les titres des parties de ce livre pensé comme un essai drolatique mais sérieux, issu des nombreux tweets publiés par l'auteure ( L'art de ne jamais être à la hauteur, Un texto, c'est trop, et mille, ce ne sera jamais assez, Mon incapacité à ne plus t'idéaliser se porte bien ). Cette fille est dingue et nous montre à quel point nous le sommes tous dans son tambour de machine à laver qui n'épargne jamais son auteure. Seule, dépressive, anxieuse, droguée, alcoolique, anorexique, elle nous raconte tout dans une sincérité nue et bouleversante, avec

Demain s'annonce plus calme (Eduardo Berti)

Ma foi, un livre qui parle de sport et de météo est rarement un mauvais livre. Alors un livre qui en outre parle des livres et de traduction, de lecteurs passionnés, de lecteurs rendus malades par leur lecture des livres de Kafka ne semble pas plus dangereux que d'aller dans une bibliothèque municipale. Attendez, pas de blague, tout ça est très sérieux, c'est écrit dans la gazette locale, dix chapitres et dix coupures de presse bien pressées (entre un et quelques paragraphes). Si demain s'annonce plus calme, attention tout de même aux lucioles du quotidien remplies de coquilles. La hantise des éditeurs ! Une erreur et la possibilité du pilon s'ouvre à vous car les auteurs sont tatillons, c'est un fait. Il font attention à leurs faibles marges. Petite friandise de micro-récits en pays imaginaire, disons la Littérature Dans Tous Ses Costumes, Demain s'annonce plus calme a de quoi réjouir le lecteur pris au piège des ressemblances, des quiproquos, des couilles, des

Entre les jambes, Huriya (Le Nouvel Attila)

 Presque arrivé en juillet, je me suis fait une petite réflexion : c'est une année de dingue ! Je dois en être à une petite dizaine de livres marquants pour 2021. C'est plutôt rare malgré une exigence toujours plus forte avec les années. Il faut le dire, ce  Entre les jambes  d'Huriya est assez bouleversant. Une justesse des mots conjuguée à la beauté simple ou crue des images, sans s'interdire la radicalité du ton ou du regard dans des passages assez trash. Pour faire simple, imaginez un garçon bâtard élevé par ses grands-parents, qui se sent femme et devient femme au Maroc. Une femme aime les femmes en terre d'Islam. Élevée dans sa jeunesse par une grand-mère oralement très pieuse mais réellement et symboliquement odieuse. Imaginez ce françaoui , grand-père colon et alcoolo dont la seule religion est l'amour des livres, la belle littérature devant laquelle on n'a qu'une chose à faire, s'incliner. Mais Huriya a une conscience, alors elle écoute les

La littérature inquiète, lire écrire ; Benoît Vincent (publienet)

 Pour qui lit, écrit et s'intéresse à l'acte de mettre en mots et en pensées des impressions, du vécu, une nécessité, une pulsion, l'essai de Benoît Vincent est souvent passionnant. Ils sont même plutôt rares ces livres qui s'intéressent aux livres, c'est-à-dire aux textes, à ce qu'ils disent d'une époque, d'un monde, d'un état, et à ceux qui les font. Un postulat, donc, la littérature inquiète, vue et analysée dans les écritures de Nicole Caligaris, Guillaume Vissac, Pierre Senges, Antoine Volodine Blanchot et bien d'autres... Royaume de l'incertitude, du silence, de la violence, de l'ambivalence, la littérature semble ici une façon " de ne pas céder à la tension de l'image". "Les mots sont alors le secours de celui qui réfute l'obscénité du déjà-vu". Cet essai à ceci d'enthousiasmant qu'il n'est pas nécessaire de connaître par coeur l'oeuvre des auteurs cités, Benoît Vincent sait nous faire en

Si la mort t'a pris quelque chose, rends-le (Naja Marie Aidt, trad. du danois par Jean-Baptiste Coursaud, Do éditions)

 La mort d'un proche est un choc, met en pièces, fait voler en éclats. Une mère se rappelle un fils brutalement disparu à 25 ans par les mots qu'elle n'a pas, qu'elle n'a plus, qu'elle n'aura jamais. Comment traduire en littérature cette expérience ineffable ? Comment faire entendre et faire voir ? Comment parler de tristesse, de deuil, du bonheur d'une lumière désormais éteinte ? Récemment, Melissa Broder tentait à sa façon de rendre visible le néant, le vide ( Sous le signe des poissons ). Ici, dans Si la mort t'a pris quelque chose rends-le , Naja Marie Aidt tente de rendre présent l'absence, de remplir cette sensation de vide par la littérature, d'incarner une personne à partir de souvenirs, de littéralement personnifier un être qui n'est plus.  Ce livre, comme tous les livres qui ont quelque chose à dire du monde, est d'abord un livre sur l'impuissance à dire, à montrer, à traduire. Citations d'auteurs connus, récits circ

Sous le signe des poissons, Melissa Broder (trad. par Marguerite Capelle, Christian Bourgois)

 "Et si la pudeur, c'était de parler de cul" écrit Nicolas Mathieu sur Instagram ces jours-ci, ajoutant : "(...) tandis que l'étalage des grandeurs d'âme et la guimauve à la truelle constituaient l'obscénité véritable." (à propos de Vice de Laurent Chalumeau). Une phrase à mon sens parfaitement en phase avec ce livre absolument génial de l'Américaine Melissa Broder. Seuls quelques auteurs de génie sont capables d'écrire "bites" et "chattes" toutes les trois pages avec la plus grande élégance qui soit. Récemment, c'était Olivier Bruneau avec Dirty Sexy Valley dans une version sanguinolente et drolatique. Mélissa Broder, dans le même registre, lui ajoute le néant et la dépression. Peu évident au départ mais c'est tordant, désarmant de vérité et de sincérité, à en pleurer. Car, au fond, de quoi parle Sous le signe des poissons ? Du plus vieux sujet du monde, de sexe et de sentiments, de notre place dans le monde et d

Vendredi poésie #8 : Camille Sova, Thierry Radière et Amélie-Lucas Gary/Julien Carreyn

La serial-killeuse du poème s'appelle  Camille Sova , découverte grâce à ses formidables collages sur Instagram (collagessauvages). La dame découpe des mots de toutes les couleurs dans les magazines de psychologie positive et les détourne sous forme de poèmes. Génial ! Un petit tour ensuite sur son site, érudit et d'une écriture limpide, et me voilà absolument convaincu du talent de la poétesse. Je me donc suis empressé d'acheter l'un des trente exemplaires faits main et vendus sur la toile (j'ignore s'il en reste). Tout ce que j'aime dans ce recueil : l'esprit DIY, du soin, du temps, de l'élégance et du talent mis dans des objets singuliers puisque l'épigraphe de ces Humeurs printanières est unique à chaque fois. Suivent dix pages de poèmes-collés en reproduction couleurs, le tout signé à la main et numéroté. Première saison, premier volume qui évoque le retour à la pensée de la terre qui fait des plantes et des arbres le terreau d'une renai

En mon faible intérieur, Alain Turgeon (La Fosse aux Ours)

 La Fosse aux Ours sait toujours nous trouver les textes qui font du bien. Avec ce roman d'Alain Turgeon sans suspense, sans intrigue mais truffé de bons mots, on suit les errances alcoolisées d'un narrateur privé d'ambition, d'avenir et de femme mais accro aux petites flasques. Le voilà dans sa tour d'ivoire, un centre de traitement pour junkies où il devise sur l'absurdité du monde, ses aveuglements langagiers et sa logique, qui est celle que veut bien lui prêter le narrateur, un alcoolique-non-mais-j'arrête-promis qui revoit ses ambitions à la baise... Détournements d'expressions populaires, syntaxe qui défaille, mise en bouteille des lieux communs littéraires, ce roman sait promener sa logique toute personnelle, faite de glissements et de dérapages, pour souligner un tempérament bancal : le narrateur soliloque en ses errements de bucolique anonyme, façon Actors Studio, enchaînant les anecdotes comme on s'enfile les pintes de chouffe. Un chouya ma

Zones à risques, Olivier Bodart (Inculte)

 Aux Etats-Unis, un homme se rend sur les lieux bien réels qu'il a choisis pour son roman, un roman qu'il n'a jamais pu terminer. En parallèle, on suit l'histoire du roman inachevé qui met en scène deux personnages, Rook Rope et Mat Check, aux prises avec des lieux où la nature s'est déchaînée. Nos vies ne sont peut-être que des fictions qui glissent et s'envolent, transparentes au mouvement, insaisissables secousses dans un monde rattrapé par l'imminence de l'effondrement. Comme du vent qu'on tenterait d'encapsuler dans un sachet Ziploc. Écrire alors pour leur donner de l'épaisseur, une matérialité qui deviendrait réalité car on ne supporte pas qu'elles nous échappent. Écrire alors comme on se pince pour vérifier qu'on n'a pas rêvé, épuiser des situations et saisir leur puissance romanesque. Quoi de mieux que les lieux pour incarner et recevoir nos projections sensibles ? Mettre des mots sur ce qui n'est plus et approcher l&#