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Articles

Affichage des articles du juin, 2019

Equipiers, dans l'ombre de la Petite Reine, Grégory Nicolas (Hugo Sport)

    C'est de circonstance, le Tour de France arrive à grandes roues et va en saouler plus d'un en juillet. Pas nous, fondus de la Petite Reine, férus de bitume et de cartes Panini. Entre deux romans, voici donc un ouvrage léger à lire l'été, une pression à la main et les Ray-Ban bien calées sur le nez. De préférence lors d'une étape de plat qui se finira au sprint...     Équipiers , signé Grégory Nicolas, aborde le vélo par l'envers du décor. Si les Bardet, Pinot et Démare captent toute la lumière (parce qu'ils ont le talent tout en montrant qu'ils sont au-dessus) on oublie trop souvent qu'ils ne gagneraient tout simplement pas sans l'aide de leurs équipiers, ces prolétaires de l'ombre œuvrant à la victoire collective. Comme des travailleurs de l'invisible, dans le cagnard ou sous la pluie, et catalyseurs de victoire. Car le cyclisme est une affaire de gestion, d'économie d'énergie, de tactique, de caractère. De bidons à al

En attendant Eden, Elliot Ackerman (Gallmeister) ★★★☆☆

     Les dernières publications Gallmeister ne font pas dans la dentelle : un suicidaire pour David Vann ( Un poisson sur la lune ),  un jeune vétéran de la guerre de Corée à qui l'on prend ses enfants ( Nuits Appalaches ) et Eden donc, qui vient de sauter sur une mine et se retrouve en état de mort cérébrale. Mary, sa femme, et leur petite fille, Andy, qu'il n'a pas eu le temps de connaître, lui rendent visite depuis trois ans à l'hôpital après son retour d'Irak. Oui, oui, c'est plombant comme ambiance et le roman ne vous ménage jamais. Mais avec les auteurs américains, on en a souvent pour son argent. Dans le corps d'Eden elle perçut de nombreuses choses différentes. Un sol gelé. L'écorce d'un arbre. Du sable cuit. Une poignée de gravier. Du verre, parfois brisé, parfois intact. Les textures d'Eden formaient une mosaïque variée, piégée dans l'épaisseur de sa peau. Les premiers chapitres sont d'une grande efficacité.

Grégory Le Floch : "Ecrire est de l'ordre de la distillation."

      Parmi les lectures marquantes de L'Espadon cette année, Dans la forêt du hameau de Hardt   figure tout en haut. Premier roman d'un jeune auteur au potentiel sans limite, ce troublant monologue vous embarque dans la psyché d'un homme incapable d'exprimer ce qui l'obsède. Sinon par à-coups. Coup de maître et tour de force littéraire, ce "thriller psychologique" n'a pas fini de nous hanter. De nous émouvoir (hein Richter ?). Curieux, L'Espadon a donc voulu s'engouffrer un peu plus loin dans ces lisières mentales en donnant la voix à son Liéchi... Question anecdote : pourquoi avoir écrit La Forêt du hameau de Hardt à la main ? Je crois que chaque roman essaie de naître d’une façon différente du précédent, comme si chaque roman voulait inventer une formule inédite, qui lui soit propre, comme une formule magique ou alchimique. J’imagine qu’il y a, dans le choix de l’écriture à la main ou à l’ordinateur,

Success Story, Romain Ternaux et Johann Zarca (Editions Goutte d'Or) ★★★★☆

    Romain Zarca, j'ai lu ton livre en une après-midi lénifiante de surveillance de bac. Il m'a revigoré, il m' a fait rire et je trouve bouleversante l'histoire avec Anna. Je ne suis pas le seul à le penser, tous les lycéens ont adoré (ma fille de 6 ans aussi, qui est fan de Megg, Mogg et Owl). Tu ne te rends pas forcément compte mais ce que tu as écrit est plus qu'un feel good , c'est un manifeste en faveur des bonbons. Tes parents seraient fiers de toi, mon Johann Ternaux.     Mais qu'est-ce qu'on a go-leri ! Jubilatoire ! Ah ces deux couillons de Johann Ternaux et Romain Zarca, indéboulonnables clowns de la défonce, assument jusqu'au bout leur feel good provoc'. Plutôt responsable à notre goût. Ah si des Anna Jocelin peuplaient tous les bahuts de France, la vie serait plus fun... Avec Success Story , tu pourras picoler et sniffer gratos sans craindre les effets secondaires ; faire ce que tu n'as jamais osé : animer une maison d

Les Forces étranges, Leopoldo Lugones (Quidam) ★★★☆☆

   Par Pierre Charrel (Bifrost, Temps Noir)    Avant de sonder ces Forces étranges , sans doute n’est-il pas inutile de présenter en quelques mots leur auteur, l’Argentin Lepoldo Lugones. Né en 1874 et suicidé en 1938, ce polygraphe – sa plume s’est frottée à tous les genres, de la poésie à l’essai en pass ant par les diverses formes de fiction – fut en son temps tenu pour l’une des figures majeures des lettres latino-américaines. En atteste ce jugement de Jose Luis Borges, écrivant en 1955 que « certaines [des] pages [de Lugones] comptent parmi les plus abouties de la littérature espagnole. » Une reconnaissance qui n’a cependant pas empêché Lugones de sombrer dans un oubli littéraire quasi-total. La faute en incombe, sans doute, à l’engagement politique de l’écrivain qu’Antonio Werli évoque en introduction des Forces étranges ,   qu’il a en outre traduit. On y appre

Socrate à vélo, Guillaume Martin (Grasset)

Guillaume Martin, leader de l'équipe cycliste belge Wanty Groupe Gobert, n'a peut-être pas le moteur de Froomey en montagne. Qu'importe, il reste l'un des meilleurs grimpeurs au monde et surtout, il a un stylo et un cerveau ! Le muscle dans les mollets et dans la tête ! Et se fait vélosophe, tel un cycliste qui réfléchit à sa pratique de sportif de haut niveau en ayant recours non pas à l'EPO mais à quelques concepts de philo . Car précisons-le, Guillaume Martin a suivi des études de philo jusqu'au mémoire avant d'écrire sa propre pièce de théâtre. Tout en s'enfilant des kilomètres de bicloo le reste du temps pour tutoyer les sommets. S'il s'engouffre au début du livre dans le cliché journalistique de "l'intello du peloton"—une incongruité dans le monde du vélo, ou le croit-on —c'est pour mieux s'en détacher au fil des pages. Il l'assume d'ailleurs : oui, je suis cycliste de haut niveau et je lis Kant et Nietzsche.

Né d'aucune femme, Franck Bouysse (La Manufacture de Livres) ★★☆☆☆

  Le livre traîne dans notre pile depuis janvier et, il est vrai, le succès venant, on a préféré différer notre lecture par crainte d'en manquer l'esprit. Alors, que vaut ce Né d'aucune femme, par un auteur dont on découvre l'écriture ? Soyons clairs, on a comme un doute sur le texte même si on va louer certaines de ses qualités, sans avoir été touchés plus que de raison. De notre côté, pas le chef-d'oeuvre attendu pour ce roman noir classique, un peu poussiéreux.   Dans un milieu paysan, Onésime vit avec sa dame et leurs quatre filles. L'une d'entre elles, quatorze ans, s'appelle Rose. Ils sont pauvres et sur la brèche. Onésime va "léguer" la petite Rose au maître de Forge, dans une forêt pour le moins inquiétante en un temps reculé...  Tout ça on le sait car Rose, pourtant peu éduquée, a consigné sa vie dans les pages d'un carnet retrouvé par hasard... Onésime, ce que tu as fait est mal, tu en payeras le prix, moins que ta chère

Madame Jules, Emmanuel Régniez (Le Tripode) ★★★★★

L'Amour en sa foi et ses ruptures, ratures et déchirements. Madame Jules aime éperdument, follement, amoureusement M. Jules. Se l'imagine. Et Madame Jules aime baiser avec M. Jules. Pardon pour la trivialité mais c'est un peu l'esprit du bouquin, un grand livre sur des fantasmes d'amour. Un splendide texte sur l'ubiquité du désir qui, pour exister, se nourrit du secret. Ou plutôt " de la fiction du secret ". Amour vient du latin amor, "amour", "affection", "vif désir". La tendresse et l'attirance physique, proximité tendue entre la politesse du sentiment et l'obscénité du désir, les années de fidélité et l'irruption du vertige. Le cadre bourgeois et l'envie de tout exploser. Conflit entre l'amour pur et l'injonction des sens. Quand l'amour est civilisé, les sentiments nobles, le désir est sauvage et l'élan vital. Et si " le désir n'est qu'un complot " ? L'A

Sillages, Kallia Papadaki (Cambourakis) ★★☆☆☆

Parfois, ça ne le fait pas. Sillages, premier roman de l'auteure grecque Kallia Papadaki, a pourtant reçu le prix littéraire de l'Union européenne en 2017, tout comme Arcueil , un livre qu'on avait adoré. Tout sur le papier incitait à l'optimisme. Une saga familiale digne d'un grand film de gangster par moment, genre Le Parrain II , et des trajectoires de migrants — Grecs, Irlandais, Italiens — empêtrés dans la misère mais tendus vers un avenir meilleur, à défaut, moins mauvais. Entraide, solidarité, on devrait se serrer les coudes et tenter de se sortir du marasme qui assomme. Plein de belles intentions dans Sillages mais, hélas, un livre lu de loin. Tentative d'explication. On suit donc les pas de la petite Minnie avec ses tresses inégales, la famille Kambanis avec Susanne et Basil pour parents, leur fille unique Lito. Tout se passe dans la ville de Camden, New Jersey, en face de Philadelphie. Prospérité industrielle, migrations d'Européens,

Laisser des traces, Arnaud Dudek (Editions Anne Carrière) ★★★☆☆

  Il y a du Nicolas Sarkozy chez Maxime Ronet, en début de livre. Jeune, volontaire et ambitieux aux dents longues, il est en outre maire de la petite commune de Nevilly. Un peu de Macron ensuite (vous savez, faire de la politique autrement, changer les choses de l'intérieur, dépasser le jeu des partis). Pour finir plutôt du côté de l'abbé Pierre, tourné vers les autres. Oui, on sait, on grossit un peu le trait d'autant que Maxime Ronet, personnage ni attachant ni détestable, effleure les caricatures d'ambitieux et de cyniques sans s'y soustraire, préférant évoluer au gré des aléas d'un mandat dont les marges de manœuvre sont réduites à la portion congrue.   Avec Laisser des traces , Arnaud Dudek réussit une petite prouesse. Pondre un page turner à partir de la trajectoire d'un simple élu de la République, tantôt sympa tantôt requin. Raconté comme une épopée du quotidien à hauteur de petites gens qui œuvrent dans l'ombre, le récit évoque les roua