Accéder au contenu principal

Articles

Affichage des articles du avril, 2020

Giro, Pierre Carrey (Hugo Sport)

Je suis en manque, comme tous les cyclistes du monde, au point de ressasser et d'oublier de manger. Je suis en manque de chutes et de victoires, de Stelvio et de Mortirolo, de maillot rose et de maillot cyclamen. Alors pour éponger sans solder ce désir qui te transperce, tu lis le bouquin de Pierre Carrey pour grimper le Zoncolan au côté d'Alfonsina l'inconsciente, l'Etna aux côtés de Gino le Juste.  Le Giro nous dit-on, c'est la passion des ultras, les fumis dans la gueule, une course de connaisseurs, loin de la tradition circassienne gauloise en jaune. Un peu faiblarde la citation de Tibopino en quatrième de couverture : "Le Tour est une course cycliste, le Giro est une aventure". Le romantisme face au Ricard, le panache contre le calcul. Un peu binaire et facile cette idée, la caricature au bout des roues. Le débat a été soulevé à maintes reprises ces dernières années, petit problème journalistique sans importance à mon avis : t'es plutôt Tour

Au pays de la fille électrique (Marc Graciano, Corti, 2016) et Dans la forêt du hameau de Hardt (G. Le Floch, L'Ogre, 2019)

On revient avec deux notes de lectures par Julien H., deux livres majeurs pour fouiller les âmes entre magie et folie, obsession et violence. Cruauté abjecte du décrit, splendeur de la langue. On dirait Irréversible (Gaspard Noé) dans une version plus subtile, grave, élégante et aérienne. On entre par la destruction d'un corps, dans quelque chose d'immensément physique et dur, comme une torture, pour continuer sur le chemin d'une onde comme une grande caresse que rien ne peut arrêter. La phrase, longue comme une grande respiration, douce comme un voyage, ne peut être lâchée  comme une montée au ciel qu'on ne peut décliner. Et comment l'on se relève du plus terrible des viols pour vivre dans la pureté et l'ascèse des jours qui s'ensuivent. Assez magique.  Le livre de L'Espadon en 2019 , avec l'interview de Grégory Le Floch et les débuts prometteurs d'un écrivain à la plume entêtante, sidérante. Un long monologue comme une litanie

Laura, Éric Chauvier (Allia)

L'aura en toc de Laura, la fille la plus belle du bled, qui suscite mépris et excitation, qui sait l'effet qu'elle produit. Éric veut la bannir et la posséder. Laura Palmer, Laura de Johnny, toutes les Laura qu'imagine le narrateur. Un fantasme de Laura, une Laura ensorcelante à la beauté vulgaire, une splendeur de banlieue sur un parking désaffecté. Elle aime les gars virils, méprisants, les bad boys. Il faut la brusquer la petite Laura. Éric est le bon pote de toujours, l'éternel confident à qui on aime raconter ses déboires et ses ratés. Il travaille à Paris et vit à Bordeaux, lui l'universitaire timide complètement fasciné par la beauté de Laura depuis le collège et l'épisode de la piscine. Ils se retrouvent entre bourgeois et prolo devant une usine de prothèses qui va brûler, mais plusieurs mondes les séparent... Laura , d'Éric Chauvier, est le roman de l'impossible rencontre amoureuse qui est toujours un rendez-vous manqué entre les m

Ça fait longtemps qu'on s'est jamais connu, Pierre Terzian (Quidam)

Vêtu d'un chandail bleu et rouge, on savoure ces tranches de vie comme de puissants slapshots, on goûte ces portraits aussi vite qu'on engloutit une Molson au Centre Bell devant un match du Canadien. Criss de punk, on ne peut passer qu'un bon moment ! Calisse, les fous rires en plus. On est donc au Québec la rebelle comme la féministe québecoise du narrateur, à naviguer entre les garderies du secteur. Expat' français qui remplace les éducateurs malades à brûle-pourpoint. Un pionnier de l'impossible, garde-chiourmes intérimaire, en voilà un bon boulot qui te retourne le ciboulot. Un bon chum le Patrick, toujours là au pied-levé à six heures du mat' pour le déjeuner, le dîner et le souper des mômes, les lectures et les jeux éducatifs sans le silence et avec la neige qui tue : sympas, horripilants, fonceurs et vivants, le plus souvent dégénérés ces gosses qui se frottent la langue contre une barrière gelée. Mais ce n'est pas leur faute, ils vivent chez les pa

La Bête creuse, Christophe Bernard (Le Quartanier)

En ces temps de confinement, on inaugure une nouvelle série de notes de lecture, rapides comme l'éclair mais aussi précises qu'un tir couché de Martin Fourcade sur une cible à Östersund. Et bien sûr, comme d'habitude, on vous réserve la crème de la crème. On commence avec La Bête creuse du Canadien Christophe Bernard paru en 2017 chez nos cousins et l'an passé en Gaule. Un pavé d'une ambition folle, digne héritier de Thomas Pynchon et Rabelais, rien que ça ! Par Julien H. Gaspésie hallucinée. 1911. Un pavé épique, truculent, mystico-mythique, d'une vivacité dans la langue qui donne envie d'en voir l'adaptation par Audiard. Le décor et l'exubérance des mots combinés ancrent en mémoire de nombreuses scènes comme cette incroyable divagation ferroviaire où l'on voit les gens et les objets grossir, se réduire, devenir flous, pour finir dans une ellipse alcoolique magistrale. Sauf qu'il s'était pas fait que des amis, le Bradl

Esther, Olivier Bruneau (Le Tripode)

Après le tonitruant slasher Dirty Sexy Valley , Olivier Bruneau nous revient avec le très attendu Esther , variation sur notre futur proche entre la comédie, la chronique de sentiments et le polar technologique teinté de série B et de porno sympa, ou un truc comme ça. Un goût pour le cinéma aussi (tiens, tiens) dans tous les sens du terme. Un pavé et des machines donc pour répondre à l'unique question : qu'est-ce qu'un être humain ? Ce qui revient à poser l'autre question : qu'est-ce qu'un robot ? Entre étranges et flippantes ressemblances, le livre s'évertue à sonder quel est en chacun la part de l'autre. Et si l'âme n'était pas le propre de l'homme, et si une créature de laboratoire avait plus de conscience que l'être humain ? Et si elle avait plus d'humanité ? Qui du créateur ou de la créature est le plus fou ? Passionnant et impossible défi qu'Olivier Bruneau relève haut la main.  Comme mélanger dans le même livre l