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Articles

Affichage des articles du 2023

Le Diplôme, Amaury Barthet (Albin Michel)

 À ne fréquenter que les éditeurs indépendants, j'avais oublié qu'on pouvait lire de bons romans chez les "gros". Oui, je ne lis jamais de livre Albin Michel mais tout ça, on s'en fout un peu. Je débarque donc dans ma librairie préférée le sourire aux lèvres et j'ouvre au hasard Le Diplôme d'Amaury Barthet, appâté par un réseau social. Je lis les trois premières pages. Ça parle d'un prof d'histoire-géo désabusé : "Au fond, j'avais hâte d'être à la retraite." Ce style accrocheur dès les premières lignes, je ris dans ma barbe et aussitôt j'achète la bête. "Si l'auteur parvient à tenir ce rythme, je risque de ne pas m'ennuyer" me dis-je. Eh bien ce fut le cas. Mieux, il m'est arrivé de rire franchement juste après m'être dit, l'air pénétré, oui la France a un gros problème dans son rapport au diplôme, comme être planté devant des serrures rouillées dont on ne trouvera jamais les clés. Parce qu'i

Le Dernier jour du tourbillon, Rodolphe Casso (Aux forges de Vulcain)

 Roman du partage, des orages amoureux, des confessions avinées, de la gentrification, du blues et du jazz aussi. Les buveurs se font poètes du zinc, fantasment leur vie et vivent leurs rêves en sirotant des Get 27 ou en rejouant à Street Fighter sur arcade, le tout dans une ville en mutation. Les bobos, les hispsters, les babas veulent prendre le pouvoir mais les bars PMU résistent en plein Paris. Les amitiés d'un soir résistent aux voisins grognards, aux trafiquants de drogue, à la police, et même la musique s'en mêle pour enchanter les derniers jours du Tourbillon, ce rade qui sent bon le passé avec ses piliers de comptoirs, ses descentes et son sol, un carrelage de casson où s'épanouit Casso, bel écho aux caissons du quatuor à l'envers, des Quartet bien à l'endroit. Oui, ce roman enlevé et gourmand retourne la tête comme un voyage éthylique au bout de la nuit. L'alcool libère la parole, libère les frustrations au rythme des lampées d'Apérol (boivent-ils

La Foudre, Pierric Bailly (éditions P.O.L.)

 Oh le mauvais jeu de mots, mais je vais le faire. Le nouveau roman de Pierric Bailly m'a foudroyé, bouleversé, ému, pour des raisons évidentes. A chaque nouveau livre du gus, l'émotion est encore plus forte. Les Enfants des autres m'avait scotché, Le Roman de Jim aussi, tandis que Polichinelle  m'avait donné le sentiment à l'époque, en 2008, d'être en présence d'un grand de la littérature française. Après sept romans, mon intuition s'est largement confirmée. Et puis, rien à voir, mais comme Pierric Bailly, je porte des casquettes et des sweats à capuche. Bon, je ne lirai pas cinquante bouquins de la rentrée littéraire, pas le temps, pas l'envie, pas tout un tas de trucs. Rien de grave, un bouquin de Pierric Bailly vaut à lui seul toutes les rentrées littéraires. Bien malin celui ou celle qui réussira à m'émouvoir à ce point. Alors, de quoi cause La Foudre ? Du Jura bien sûr, le Haut-Jura en particulier, de la Valserine, de la vallée de Joux,

Roman géométrique de terroir, Gert Jonke (Monts Métallifères éditions)

 À quoi reconnait-on un bon texte en littérature ? Mystère, même si notre expérience nous permet de mieux savoir quel lecteur nous sommes, ce que nous attendons d'un bon texte. Un roman qui désoriente, nous arrache à nos habitudes, à notre de désir de personnage, d'intrigue, de style. Un bon roman nous défenestre, nous déroute, et bien malin le critique qui voudra, pourra cerner l'originalité d'un texte dans ses notes de lecture. Monts Métallifères éditions est une petite et récente maison appelée à figurer plus régulièrement sur L'Espadon, parce qu'elle propose une littérature qui excite et dissone, perd et difforme. Offrir et ouvrir le champ des possibles, faire exploser notre petit coeur de lecteur, le promener sur des chemins étonnants et déroutants, c'est le programme de ce Roman géométrique de terroir, réédition d'un premier livre paru en 1969, écrit par Gert Jonke, écrivain autrichien, et remarqué à l'époque par Peter Handke. Les bons romans r

Le Bonjour de Christopher Graham, Guillaume Decourt (AEthalidès éditions)

 Grande joie de vous parler de ma dernière découverte, les pépites poétiques de Guillaume Decourt. Une actualité riche pour le tennisman-musicien puisque deux recueils paraissent coup sur coup chez deux éditeurs différents. On vient de vous parler de Lundi propre   à La Table Ronde. Chez AEthalidès, dans la bien nommée collection Freaks, paraît Le Bonjour de Christopher Graham . L'Amérique en ses fictions, ou plutôt les Etats-Unis en ses mondialisations, disparitions, dérisions. Ce pays m'a toujours laissé dans un entre-deux, mi-effrayé mi-amusé, mi-fasciné-mi navré que je retrouve ici. 37 poèmes de forme fixe pour passer les clichés du pays à la moulinette de la métrique Decourt. Et le voyage est formidable. On lit beaucoup à L'Espadon et on ne tombe pas tous les jours sur des recueils aussi puissants, insolites, exotiques. On a coutume de dire qu'on lit de la poésie, des romans, de la littérature, blablabla... Non, ce sont plutôt les livres qui nous lisent. La furieu

Spoèmes, Olivier Hervé (éditions du Volcan)

 Grande joie de vous annoncer la parution de mon deuxième livre, un premier recueil de poésie dédié au sport, l'autre grande passion de ma vie avec la littérature. La tête et le corps, l'athlète et l'effort, un programme musclé et oublié en poésie. Alors on enfile ses baskets, on enfourche son biclou pour enfin savoir de quel bois on est fait. Du hockey au bûcheronnage sportif, du patinage au hippisme en passant par l'île Marante et le Racing club de France, j'ai évoqué mes paradis perdus, situés quelque part entre la pelouse du stade Yves-du-Manoir et les cols mythiques des Alpes. De l'énergie, de la mélancolie, du jeu de la joie des succès, des défaites et des peines chassées par la petite reine. Enchaîner les tour des pédales pour combler le vide, faire parler les silences et mettre du son dans nos absences. Un peu de sport, beaucoup d'espoir. Bonne lecture ! En vente et en commande dans toutes les bonnes librairies, et sur le site de l'éditeur, c'

Lundi propre, Guillaume Decourt (La Table Ronde)

 Merveilleuse découverte poétique avec les dizains de Guillaume Decourt. Dizains, poèmes de dix vers, munis de décasyllabes rimés. Oui les portables sont insupportables / Mais pas les chansons de court canasson / Tell me Guillaume tennis ou idiome. Allez, j'arrête, mais comment évoquer ce recueil de soixante-dix poèmes sans trahir l'intention ? On se fout pas mal de l'intention finalement, ce qui compte c'est la réception. Aucune analyse ici poétique, juste des impressions en fuite, un feeling lifté sur des mots assemblés. De quoi parle Lundi propre ? De la Calabre et des States, des Calabraises et de Disney, du calendrier et de la peur de ne pas tout comprendre. Nager en mots libres, comme une danse pour muscler son coeur et surveiller la murène innocente. Guillaume Decourt fabrique des caraco de mots, des vers d'Acapulco, prépare des cocktails au rhum-coco en compagnie de son fidèle guanaco. Ailleurs on s'offusque de la domination masculine dans des décors roc

Gérôme et Jérôme, Matthieu Jung (Le Cherche-Midi)

 Mathieu Young nous revient avec grand bonheur chez un nouvel éditeur. J'ignorais qu'un roman devait sortir et c'est en le voyant dans ma librairie que j'ai foncé les yeux fermés (oui, je vois les yeux fermés). Avec cet auteur, inutile de lire la quatrième de couverture. Il pourrait écrire sur le bottin, l'inspecteur Gadget ou les pneus Pirelli que j'achèterais le bouquin. Je crois en plus que le bougre aime la poésie. N'en jetez plus ! Depuis l'excellent Principe de précaution , on n'a cessé d'apprécier la plume tendre et cruelle de Matthieu Jung, et regretté aussi la relative indifférence dans laquelle il évolue. Son dernier roman, Triangle à quatre ( chroniqué ici ) était tout aussi jubilatoire. Matthieu Jung aime peindre des personnages un peu ratés, un peu bancals, des losers magnifiques pris dans les affres de l'amour ou empêtrés dans les filets du réel. C'est toujours grinçant, finement vu et écrit avec une délicate ironie. Dans G

Les Deux dormeurs, Samy Langeraert (Verdier)

 Encore un hasard (et un joli plaisir) de lecture. Enfin, pas tout à fait. Le nom de l'auteur me disait quelque chose, sans savoir quoi exactement. Puis Verdier, toujours un éditeur de confiance en matière d'écritures. La première page lue en librairie m'avait convaincu et me voilà parti pour deux heures de lecture avec ce court roman (90 pages) ou cette longue nouvelle aux allures de journal intime mêlant pensées, observations et questionnements, le dernier paragraphe indiquant finalement une direction, une piste, une manière de regarder ce roman. Un roman qui offre un jeu de regards et de perceptions, plus ou moins brumeux, plus ou moins désabusés. Le miroir se contentant ici de refléter sans jamais prêter le flanc à l'injonction ou au commentaire, et c'est heureux. Un narrateur qui recoupe trois voix, celle du rédacteur, du plumitif et du poète. Et deux dormeurs donc. Il s'agit peut-être aussi du lecteur. Pas tout à fait concerné tout en étant très attentif,

Des choses sans importance, Lilia Hassaine (Iconopop)

 De l'importance, de l'urgence de parler des choses sans importance. Un très beau recueil sur la force de la tendresse et de la douceur, cette douleur volcanique qui parfois traverse le bras pour arriver au coeur de la main. J'ai beaucoup aimé les douces pulsions de Lilia Hassaine, ses impulsions poétiques sans fard qui isolent le temps pour en extraire la chaleur, la candeur, l'invisible, ses rêves de fuite qui ne sont jamais des vers futiles. S'arrêter et regarder ceux que l'on suit, "tous ces gens heureux qui cherchent à être heureux". Très belle plume de Lilia Hassaine qui ne cherche jamais à intellectualiser. Plutôt ressentir, se laisser porter par les vagues de l'enfance, les ignorances retrouvées au filtre de l'innocence. Les mots qui remontent, les blessures qui affleurent au fil d'une plume voyageuse, entre le merveilleux et les nuages. Retrouver une saveur perdue, le goût des premières fois, tout ce que l'on a oublié et qui, p

Shit !, Jacky Schwartzmann (Gallimard)

 Éthique du béton, pratique du terrain. Oubliez les diplômes, l'école de la vie c'est le tiéquar, peuplé de bons gars, de familles pauvres et de grosses raclures. Des chouffeurs près du four, des scooters qui vadrouillent et c'est tout un paysage de la loose, de la maille, du banditisme, qui apparaît. C'est bien simple, j'ai l'impression de connaître par cœur le quartier de Planoise sans y avoir jamais posé le moindre pied. Merci donc aux cartes IGN au 1/25 000e, exhausteurs de rêves estudiantins, et à Jacky Schwartzmann, héraut du béton bisontin, des montres et des fortifications. Et puis ce ciment tout gris peuplé de petites gens, comment faire pour mettre un peu d'espoir dans tout ce bordel ? Ciel ! Le biz qui marche, ce sont les trafics ! Fidèle à sa gouaille rigolarde capable d'envoyer du lourd du Luxembourg à Planoise en passant par la Suisse et le Maroc, le runner Jacky S. poursuit son exploration du terrain, à Planoise donc. Point de Politique de

L'arrière-saison des lucioles, Henri Raczymow (L'Antilope)

Si l'on ne sait jamais tout à fait de quoi parle L'arrière-saison des lucioles , il faut attendre les dernières pages pour en avoir un aperçu. En apparence assez banales, les histoires personnelles d'Henri Raczymow ont en réalité ce petit goût d'aventure qui sied aux livres bien écrits. Reprenant (p. 186) une phrase de La Nausée , l'auteur dit en peu de mots la possibilité d'une intention : "Voici ce que j'ai pensé : pour que l'événement le plus banal devienne une aventure, il faut et il suffit qu'on se mette à la raconter." Voilà, écrire un bon livre n'est pas bien compliqué. Il faut savoir raconter, et savoir raconter, c'est savoir écrire, bien écrire. Quézako "bien écrire" ? Y mettre des anecdotes, de l'intelligence, du recul — l'autre nom de l'autodérision —, un regard sur le monde, des regrets, des douleurs, et de belles images. Par les mots, la littérature, rattraper le retard qu'on prend sur la vraie

Au téléphone, Alain Freudiger (Héros-Limite)

 Au moment où je m'apprêtais à écrire la chronique du dernier livre d'Alain Freudiger, Au téléphone , j'ouvre par hasard les Poèmes dispersés de Jack Kerouac aux éditions Seghers, et je tombe sur cette phrase programmatique pour mon billet : "Ne vous servez pas du téléphone. Les gens ne sont jamais prêts à répondre. Servez-vous de la poésie". Oui, répondre au téléphone est toujours surprenant. Qui m'appelle, qui veut m'appeler, que veut-on me vendre, de quoi suis-je coupable ? Il paraît d'ailleurs que le téléphone fixe a gagné en mobilité ces derniers temps. Il a perdu ses fils, mais nous a-t-il fait gagner en partage, en liens, en amour, en solitude ? Le téléphone, qui unit désunit, sépare réunit. Quand le quotidien déconnecte, la poésie du mobile nous fixe à l'étonnement, ravive un temps disparu et reconnecte à l'essence d'une parole, d'un amour qui, toujours là, a besoin des silences parlés. La sidération d'une nouvelle. Une gra