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Articles

Affichage des articles du 2023

Au téléphone, Alain Freudiger (Héros-Limite)

 Au moment où je m'apprêtais à écrire la chronique du dernier livre d'Alain Freudiger, Au téléphone , j'ouvre par hasard les Poèmes dispersés de Jack Kerouac aux éditions Seghers, et je tombe sur cette phrase programmatique pour mon billet : "Ne vous servez pas du téléphone. Les gens ne sont jamais prêts à répondre. Servez-vous de la poésie". Oui, répondre au téléphone est toujours surprenant. Qui m'appelle, qui veut m'appeler, que veut-on me vendre, de quoi suis-je coupable ? Il paraît d'ailleurs que le téléphone fixe a gagné en mobilité ces derniers temps. Il a perdu ses fils, mais nous a-t-il fait gagner en partage, en liens, en amour, en solitude ? Le téléphone, qui unit désunit, sépare réunit. Quand le quotidien déconnecte, la poésie du mobile nous fixe à l'étonnement, ravive un temps disparu et reconnecte à l'essence d'une parole, d'un amour qui, toujours là, a besoin des silences parlés. La sidération d'une nouvelle. Une gra

Un simple enquêteur, Dror Mishani (série noire, Gallimard)

 Après quelques ratés de lecture (notamment le Bois-aux-Renards d'A. Chainas, écrit avec des gros sabots), un grand plaisir de se plonger dans le nouveau polar de l'auteur israélien Dror Mishani, après le très bon Une deux trois. Avraham Avraham, dit Avi, à peine marié à Marianka, une détective slovène, et usé par les petites affaires policières —des trafics, des homicides sordides qui n'intéressent personne —aspire à intégrer un service central tourné vers l'international, luttant contre le crime organisé ou la corruption. C'est décidé, le commissaire de Holon demande sa mutation. Au même moment, deux affaires anodines en apparence s'offrent à lui : un touriste suisse égaré, qui a abandonné ses valises dans un hôtel. Qui, en tout cas, a disparu mystérieusement. Et une femme, la quarantaine, qui abandonné son nouveau-né dans un sac en plastique à proximité d'un hôpital. De Tel-Aviv à Paris en passant par Gibraltar, Avi va découvrir  une affaire qui le dépas

Et pourtant je m'élève, Maya Angelou (édition bilingue Seghers, trad. par Santiago Artozqui)

 On le savait déjà mais c'est toujours une surprise. Plus on lit, plus on se rend compte qu'on ne sait rien. Avec la lecture vient la conscience élargie. Ainsi je ne connaissais absolument pas Maya Angelou, encore moins son oeuvre. Camarade de Martin Luther King, de Malcolm X, portant la voix des femmes, des noirs, luttant pour l'égalité des droits, Maya Angelou a connu une vie de traumas. On apprend dans Et pourtant je m'élève pourquoi elle se tait à huit ans, ne s'adressant alors qu'à son frère. On comprend pourquoi prendre la parole devient peu à peu une nécessité, une urgence, comme un instant, un instinct de survie. J'aime de plus en plus les éditions Seghers qui me font découvrir des pépites (la dernière en date est Grisélidis Réal) et mettent en valeur les textes dans de beaux livres-objets. Voir cette belle couverture orangée et ce format poche avec, comme un éclat, le sourire lumineux de Maya Angelou, la tête légèrement incliné, les yeux fermés. Pop

Les Mots nus, Rouda (Liana Levi)

 Les mots nus plutôt que la main de fer. Le velours de la poésie, l'âme du slam plutôt que les coups, sourds, sur un crâne à terre qui ne pèse pas lourd. Notre narrateur, jeune banlieusard ordinaire, est en lutte, en fuite ou en quête d'un truc. De l'amour manquant d'un père, d'une identité, de mots capables d'enserrer la réalité bancale, méandreuse. Ben, qui porte des jeans, est un "babtou" issu du quartier de La Brousse. Il traverse une France de fin de siècle, ses violences, son chômage, sa Coupe du Monde, ses violences policières en mode Black-Blanc-Beur. Ben est malin, pas mauvais en histoire, habité par un coeur de révolté. Il passe entre les gouttes, assez rusé pour ne pas se faire choper, entre l'ennui et les galères. Au tournant du millénaire, les premières amours, la Sorbonne, le périph' qu'on franchit comme une frontière. A l'école de la vie de la banlieue, Ben a appris sa leçon par corps, nouant les bonnes amitiés autour du

Vendredi poésie #13 : Louise Dupré, Guillaume Dorvillé, Suf Marenda, Ron Padgett

  Vendredi poésie, treizième du nom, où il sera question de sens, de son, de vitesse, de joie et de tendresse, d'humour et d'écriture. Mais surtout de joie, trois fois la joie à fond les ballons dans le ciel où plus personne ne rêve. Panorama large d'une poésie qui met la gomme et fait son burn-out. À moto, avec nos potos mobiles. Heureux de retrouver la douce poésie de la Canadienne Louise Dupré, aux vertus consolantes et apaisantes. Une poésie simple, épurée, un baume tendre sur nos fantômes, où il s'agirait d'écouter, tranquille, la mélodie du monde, en pratiquant la douceur, aka un sport de combat. Une rivière qui serait la vie avec quelques gros cailloux —la maladie, la vieillesse, les bombes, le deuil — qu'on accueille à bras ouverts, pas dupes de notre talent d'humain pour la mort, avec la lucidité des gens de foi, de peu. Une poésie prête à débusquer la joie et la tendresse, comme une ascèse par les mots qu'on sait à peu près vains et pourtant pu

Le Crépuscule des licornes, Julie Girard (Gallimard)

Alors, je vais faire court pour Le Crépuscule des licornes. Je suis un simple lecteur qui a dépensé 20 € pour acheter ce roman, sur la base de la quatrième de couverture, d'un pitch alléchant et d'un mot : NFL. Comme une porte ouverte sur la tech, la fintech et les States, pays qui à la fois m'horripile et me fascine. Et puis New York, la belle et mythique grosse pomme. Et puis Gallimard chez qui normalement on fait attention, et puis premier roman, pour lesquels j'ai toujours eu un penchant. Je fondais pas mal d'espoirs. Alors voilà, soyons clairs, je ne comprends pas comment un texte pareil a pu passer un comité de lecture, encore plus chez Gallimard, dans la Blanche. D'abord, un problème de style et d'écriture. Il n'y en a pas. Pire, on a parfois l'impression, au détour d'une phrase bancale, d'un dialogue qui sonne faux ou d'un mot (morigéner, rétorquer, s'esclaffer) que l'autrice est allée chercher dans le dico des synonymes,

Baisse ton sourire, Christophe Levaux (Do éditions)

 Je connais Do éditions, bien sûr. Pour avoir navigué dans le monde de la BD, je connaissais également Aurélie William Levaux, la soeur de l'auteur, et je connais un peu la Belgique. Mais je ne connaissais pas les textes de Christophe Levaux, le frère d'Aurélie, donc. Vous me direz, on s'en fiche un peu mais, dans l'équation, je suis tombé sur ce roman qui évoque, entre autres, la violence dans le couple. Les coups, les vrais, qu'on donne et qu'on reçoit sans toujours savoir pourquoi. Sans jamais savoir pourquoi, à vrai dire. L'amour qui se transforme en haine, en haine de soi, la haine qui devient l'amour, la passion et les sentiments qui se baladent un peu là où ils veulent. Baisse ton sourire , donc, livre au titre énigmatique d'abord, qui s'éclaircit à proportion d'un mal qui s'étire. Le narrateur va au stade, au milieu des années 90 et s'intéresse à Gilles de Bilde, "un petit blond au regard frondeur". La violence ne va

Le Pouvoir des bulles quantiques sur Pro/p(r)ose Magazine

  Un grand merci à la revue littéraire Pro/p(r)rose Magazine qui met en ligne (gratuitement) ma dernière petite création, avant la parution de mon deuxième livre en juin prochain. Que "le pouvoir des bulles quantiques" soit en vous. Bonne lecture. https://proprosemagazine.wordpress.com/2023/01/29/le-pouvoir-des-bulles-quantiques/

Le Frisson, Ross Macdonald (Gallmeister, trad.Jacques Mailhos)

 Alex Kincaid vient à peine de se marier que sa femme, une certaine Dolly, le quitte le lendemain. Ou plutôt la jeune épouse semble fuir un truc, un homme menaçant ou un passé qui la hante. Alex fait appel à Lew Archer, détective privé spécialisé dans les affaires familiales tordues. Très vite, l'hypothèse de la fugue ne semble pas tenir debout, d'autant qu'un meurtre, sûrement en lien avec cette affaire, annonce des investigations délicates. De fil en aiguilles, Archer va découvrir un dédale de mémoires en lambeaux, des personnes apeurées ou déboussolées, des secrets compromettants au sein d'une petite communauté où tout se sait, ou rien n'est dit, sous le règne de l'argent-roi... Un petit polar assez plaisant, pas tonitruant il est vrai, qui fait son office. Du suspense, des voyages entre les Etats américains, des personnages louches auxquels on ne peut jamais se fier. Dans ce petit chaos, à Lew Archer de démêler les fils de la vérité même si l'argent manq

Mon mari, Maud Ventura (L'Iconoclaste)

 Le meilleur moyen de me pousser vers un livre, c'est de m'en faire une mauvaise pub. Intrigué, j'en avais donc lu quelques pages en librairie, avant de m'y mettre sérieusement. Eh bien ce livre fut une excellente pioche de la rentrée littéraire 2021. Du genre qui ne donne pas envie d'être en couple, mais alors pas du tout. Le grand amour, le prince charmant etc...blablabla c'est un truc de roman... Voilà un livre net, propre, impeccable, sans bavure et truffé d'obsessions, de passion, de friction, de manipulation, de fission sentimentale. L'histoire d'un couple marié depuis quinze ans. La femme vit un truc incroyable, puisque, tenez-vous bien, elle réalise l'impossible : la passion éternelle, proportionnellement croissante aux années qui passent. Pire (ou mieux), la dame semble encore plus amoureuse qu'au premier jour. Elle vit par son mari, pour lui, en lui, sa vie lui est dédiée corps et âmes, peaux et mots sans repos. Car oui, la dame est