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Articles

Affichage des articles du 2022

Le code Twyford, Janice Hallett (trad., Cécile Leclère, Denoël)

 Un petit thriller de temps en temps, pourquoi pas. Mieux, on s'est rendu compte qu'on n'en lisait pas assez à L'Espadon. Se laisser prendre par des voix multiples, s'abandonner à des horizons cassés, au suspense d'une narration bien ficelée fait du bien, beaucoup de bien même. Alors, c'est décidé, l'esprit plus léger (ou pas d'ailleurs), on ira fouiner du côté de page turner qui offrent en outre, si possible, l'originalité d'un regard sur le monde. Soyons honnêtes, ça n'est pas trop le cas dans Le code Twyford même si on ne va pas bouder notre plaisir. Un roman de 400 pages assez vif, qui raconte deux histoires en une. D'une part le destin d'un malfrat qui a passé onze ans en prison : son "recrutement", l'origine de ses errances, ses casses, sa chute et sa rédemption. D'autre part, le même personnage qui évoque une révélation à partir de la lecture d'un livre quand il était en cours de soutien pour élèves e

Voici des ailes, Maurice Leblanc (Libretto)

 Maurice Leblanc, le père d'Arsène Lupin, en connaissait un rayon sur la petite reine ! Avec Voici des ailes  publié en 1898,   nous voilà lancés sur les routes de Normandie et de Bretagne, à vélo, en compagnie de deux jeunes couples en quête de nature et de liberté. Régine, Madeleine, Guillaume et Pascal découvrent les joies de la bicyclette avant de redécouvrir au détour d'un carrefour, d'un bosquet ou d'un chemin, les plaisirs de l'amour. C'est que le vélo exige des efforts et des peines. C'est une conquête, de soi et de l'équilibre. Le vélo purge et libère. Nos quatre héros, enivrés par une liberté retrouvée, vont d'abord penser se brûler les ailes, présumer de leurs maigres forces. Mais non, bien au contraire, après quelques tours de pédales sur les routes de France entre Jumièges et Dieppe, Cany et Mortagne, après la sueur aigre et les brûlures aux mollets, ils vont faire corps avec des paysages et des émotions enfouies depuis longtemps avant d

Mort aux geais !, Claire Duvivier (Capitale du Nord T2, Aux Forges de Vulcain)

 Voilà le quatrième tome d'une série-concept de fantasy pour laquelle L'Espadon n'a cessé de s'enthousiasmer ( voir nos trois articles déjà publiés sur le blog ). Et n'y allons pas par quatre chemins, nous avons été passablement déçus par ce Mort aux geais ! situé à Dehaven (la néerlandaise ?), capitale du nord sur le point de sombrer dans la guerre civile comme Gemina (l'italienne ?). Ça cause ça cause mais, parfois, il ne se passe pas grand-chose. Tandis que les trois tomes précédents étaient de véritables page turner, ce dernier est assez plan plan et tourne parfois en rond, reposant sur une quête un peu molle (se venger d'Ebelin et sauver Delhia de Wautier). Encore de l'aventure certes et des révoltes préparées dans les alcôves, mais les scènes de palabres, de pensées et de pourparlers prennent hélas le dessus au détriment de l'action. Les scènes dans le bouge de la Popine m'ont un peu gonflé, en plus de me faire perdre le fil des personnages

Vendredi poésie #12 : Kae Tempest, Isabelle Bonat-Luciani, Emmanuel Régniez

On reprend de façon ponctuelle, sans pression de parution et la plume libre, nos "vendredi poésie", avec un beau programme, ce jour : l'énergie douce et rageuse de Kae Tempest dans Let them eat chaos (L'Arche), la jolie poésie mutine, et drôle (!) de Isabelle Bonat-Luciani (Aérolithe éditions) et l'art du jeu littéraire mêlé de fêlures de Emmanuel Régniez (Dynastes éditions).  On avait laissé Kae Tempest sur une parole de combat, libre, dans Étreins-toi , parcours d'un garçon transformé en femme et s'inspirant de la vie de Tirésias, devin aveugle de Thèbes puni par Héra. Examen de nos identités multiples et des voix qu'on leur prête, sous-tendu par la persistance du désir qui aveugle ou éclaire. Dans Let them eat chaos, on retrouve cette parole du combat dans un titre sans équivoque. En le lisant, j'ai tout de suite pensé à l'album de Bad Religion, Let them eat war. Des instincts révoltés qui refusent le monde tel qu'il va, tel qu'il ir

Black-Label, Léon Gontran Damas (Gallimard Poésie)

 Poète de la "négritude" aux côtés d'Aimé Césaire et de Léopold Sédar Senghor, Léon Gontran Damas dévoile une parole de combat, libre et parfois tendre aussi dans ce recueil de poèmes qui puise son énergie dans la succession des exils, "intérieur" et géographique", nous dit la notice de Sandrine Poujols. Des chants révoltés, une parole qui devient incantatoire au fil des vers, des idées, des coups portés "à sa qualité de nègre". Une poésie de lutte et de plaintes au goût de whisky, complaintes éthyliques mêlées de désespoir, ruisselant sur le zinc d'un bar, refrains déchirants d'une humanité perdue. Lui le Guyanais, frère africain qui embrasse la condition de déclassé en s'adressant à ses aînés, par leur voix démultipliées. Cri du coeur blessé, cri de l'intérieur, hymne des répudiés, Black-Label déverse ses gouttes de souffrance sur un monde parfois aveugle à la dignité de l'être. On aime beaucoup la fureur déployée ici, qui no

Restons bons amants, Virginie Carton (Viviane Hamy)

 Il est parfois des bouquins qui vous tombent dans les mains (mais ne vous tombent pas  des mains) sans savoir pourquoi. Ça nous arrive souvent en ce moment. Un roman acheté par le plus grand des hasards, sûrement une question de titre que j'ai trouvé très malin, et de libraire persuasive. Mais pas une question de couverture, oh non. Ni même son sujet qui avait tout pour me faire fuir. J'en étais resté à Flaubert et Proust dans ce domaine.  Restons bons amants , donc, signé Virginie Carton, évoque le plus vieux sujet du monde qui, encore et toujours, fait tourner les consciences en boucle. Soit l'amour, le désir, les sentiments, l'amour-passion, le triangle amoureux. Une histoire diablement simple, pour un roman vif et très court. On suit les pas d'Hélène, jeune femme de 23 ans, moderne, sûre de son désir mais pas toujours de sa direction. Une femme qui a deux hommes dans sa vie. Un mari qu'elle aime sincèrement, et un amant qu'elle désire sincèrement, un c

Et elles se mirent à courir (éditions du Volcan)

 Voici des vers qui m'ont donné envie de courir aux côtés de Julie Gaucher. Et pourtant dieu sait que je déteste ça, courir. Mes jambes, mes genoux, mes mollets n'aiment pas. À l'Espadon, vous le savez, on est plutôt vélo. Mais, rien de grave, puisque la poésie est là pour nous unir, nous réunir le temps d'un run, d'une nage, les fesses bien posées sur les gradins. Oui, trois parties pour ce recueil (Courir, Nager, Dans les gradins) dont les poèmes font la part belle aux femmes, aux femmes dans le sport. L'autrice, Julie Gaucher, universitaire et spécialiste de la place des femmes dans le sport, s'était déjà fendue d'une belle somme sur le sujet aux éditions du Volcan ( De la femme de sport à la sportive , une anthologie, 2019). Disons-le d'emblée, il est rare d'écrire sur le sport, encore plus des poèmes, et des poèmes qui parlent des femmes dans le sport. Elle-même sportive, Julie Gaucher fait d'un matériau intime une expérience universelle

Mécanique d'une dérive, Dominique Porté (L'Antilope)

 L'auteur, Dominique Porté, est âgé de dix ans lorsqu'il voit le film Kapò. Des films, des lectures, des visites et des rencontres vont ensuite faire naître en lui un besoin obsessionnel, "le désir intense de comprendre". Il écrit, page 162 : "(...) j'étais constamment envahi par une curiosité que plus tard quelqu'un qualifia en fait de rien moins que cynique : la curiosité du naturaliste qui se retrouve transplanté dans un environnement qui est effroyable mais nouveau, effroyablement nouveau." Au fil de ses recherches aiguisées par une curiosité toujours plus grande, une fascination émerge pour la figure de Chaïm Rumkowski, désigné en octobre 1939 chef du ghetto de Lodz par les nazis. Il doit y organiser la vie, mettre en place une administration pour répondre aux besoins élémentaires. Une figure du mal se dessine, avec ses banales contradictions. Faire le jeu de l'ennemi tout en protégeant les siens. Hanté par les faits, les personnages, les po

Attaquer la terre et le soleil, Mathieu Belezi (Le Tripode)

 Pour justifier la colonisation, les puissances européennes ont invoqué la "mission civilisatrice". Il fallait élever, éduquer les ignorants, arpenter et s'approprier les terres riches et convertir les dominés. 1830, la France se lance dans la conquête de l'Algérie. C'est ce moment que choisit d'explorer Mathieu Belezi dans Attaquer La Terre et le soleil , à partir du point de vue des victimes, des bourreaux et nous, lecteurs, spectateurs du désastre à l'oeuvre, barbarie sans nom. On y suit le quotidien des colons, la mort, les maladies, la chaleur étouffante, les razzias, les massacres. In fine , l'infinie violence de la conquête couplée à sa vanité, son absurdité, sa brutalité. C'est une histoire de la folie des hommes, d'un défaut d'humanité. Par la force, militaires et prêtres vont croire apporter par-delà la Méditerranée civilisation et progrès. Peu de points, une ponctuation réduite à la portion congrue, des bribes de dialogues et une

Démo d'esprit, La Dactylo (Verticales)

Une Démo d'esprit, des mots et tu ris, comme une tuerie à l'écrit. Merci aux éditions Verticales de penser à ceux qui ne fréquentent pas les réseaux sociaux. L'aphorisme a de beaux jours devant lui sur les réseaux, mais il est tant consommé, à la chaîne, qu'il finit par accumulation à en perdre sa saveur. Comme noyé, invisibilisé. Il a besoin de temps, et nous avec, pour produire son effet. Aussi bref qu'il soit, l'aphorisme mérite que nous, lecteurs, nous nous pausions un instant, avec un livre, pour l'écouter et l'apprécier à sa juste valeur. En retrouver la fraîcheur. J'avais croisé ici ou là ces aphorismes posés, au pochoir, sur les murs de nos villes chéries. Du street art, de la poésie, des punchline, des mots d'esprit et de l'intelligence dans ces jeux de lettres savoureux, regroupés dans un petit recueil tout mignon où se côtoient photos, aphorismes autres prismes, et poèmes-miroirs. Vous les avez sûrement croisés, vous aussi, au te

Fantaisies Guérillères, Guillaume Lebrun (Christian Bourgois)

 Let me tell you, this novel is not a bullshiterie, mais alors pas du tout. C'est même un fucking bon roman ! Avec des English, des grenouilles, des Bourguignons et la meilleure d'entre nous, Jehanne notre sauveuse, notre guérillère aux visions spectrales qui n'entrave pas grand-chose aux bibleries. Jeanne qui sculpte elle-même son mythe. Comprenez bien, cher Guillaume Lebrun, j'ai la comprenette difficile. Alors au début, t'entraves pas tout, le temps d'installer ta teste dans la lecture. C'est Yo qui parle, et qui nous parle, d'un élevage de Jehanne pour bouter vous savez qui, et sauver et le royaume et le roy de France. Plus tard, c'est Jehanne. Jehanne qui, parmi une dizaine de Jehanne de la Knight Academy, a été reconnue entre toutes pour bielle et grande mission. Et Jehanne, "bien au-dessus du lot genré", en a dans le heaume, "Hardie à la lutte", "Dévorante à mains nues", "Druidesse parmi les Druidesses".

Éloge de l'imperfection, Hassan Wahbi (Al Manar)

 La poésie de Hassan Wahbi, professeur au Maroc, est une modeste lumière dans une nuit sans rivages, mais pas sans étoiles. Elles veulent briller dans une moitié de connaissance, au pays du non-savoir, dans une ignorance heureuse et salutaire. Il faudrait saluer nos failles, nos manques, là où rien n'est achevé et là où le destin choisira pour nous car trouver, c'est toujours trouver ce qu'on ne cherchait pas, ce qu'on n'osait pas chercher. C'est bien connu, c'est en ratant la cible qu'on touche le centre, souvent. Éloge de l'imperfection comme une ode à nos caresses manquées, à nos souffles inachevés. Hassan Wahbi procède par petits chemins et petites branches qu'il sème sur des sentiers inconnus. Il existe un monde caché, invisible mais bien réel, celui du possible des possibles que la force des habitudes est impuissante à étouffer. C'est là, juste là, dans les mystères et les énigmes, les signes ennuyeux d'un alphabet répété qui, pourt

Not Love Perhaps, A.S.J. Tessimond (Faber Finds)

 Maybe, it is not love. That is the repeated or nagging question of those selected poems by Tessimond. Little miracles of sweetness and wit in these texts, reflecting the haunting condition of lovers, cats ("no less liquid than their shadows") and stairs. Do you love me or not ? Is it passion or just boredom ? Our lovers love chatting after attempted escape from love. Tessimond may not be the most famous poet on this Earth and it is a pity for his work is deliciously sensitive and funny, the kind of giving you fun and making you smarter. Yes, it is possible to entertain yourself and reflect without hassle while reading poetry. Of course, it deals with love to embrace more than just love. It is about our failures as lovers, our vulnerability when it comes to feelings. We are haunted and obsessed with the figures of perfection, we still believe the charming prince will save us, and fill in all the gaps but animals like humans are deaf. We talk but don't listen, we have the