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Articles

Affichage des articles du novembre, 2019

L'horizon qui nous manque, Pascal Dessaint (Rivages/Noir)

    Quelle bande de babaches ! Lucille, Loïk et Anatole forment un trio d'éclopés accablé par le destin, privé d'avenir. Encore que, Loïk brille dans le crime, agressant des pizzaïolos ou des contremaîtres. Mais Lucille, ancienne instit', est désoeuvrée depuis le démantèlement de la jungle, tandis qu'Anatole est paumé dans son monde peuplé d'oiseaux et de huttes. Pas loin de Gravelines, pas loin de Calais, la vie de ces trois perdus se dessine entre une baraque à frites, un mobil-home et des plages de sable fin, balayées par les cerfs-volants et les chars à voile. Au loin, l'Eglise des sables. C'est le pays des beffrois et du FN, de la frite et des crevards. Au milieu, quelques mares aux canards, théâtre tragique du fait divers ordinaire. Au détour d'un blockhaus ou d'une berge, le quotidien, sordide, prend forme. Les chasseurs ne savent rien, pas plus que les poulets semble-t-il...  On entrait dans cette lecture avec des a priori posi

Bleuets, Maggie Nelson (Éditions du sous-sol)

     Livre plein de couleurs et de chaleur, ce Bleuets, signé Maggie Nelson, a le charme des conversations au coin du feu : sérieuses et badines, légères et profondes. Un verre à la main, le regard levé vers les étoiles, en direction de " la galaxie laiteuse et bleu marine de Fantasia ". Un livre sur le bleu et ses mille nuances en 240 fragments. Je n'ai presque rien retenu de ce livre acheté au hasard — tout m'échappe — mais j'en garde déjà un souvenir ému. Alors d'où vient ce miracle de lecture ?      Bleuets ne raconte pas une histoire mais avance par fragments, pensées diffuses, aphorismes lucides et impressions.  Cite Deleuze et rappelle Cohen pour mieux partir et suggérer un temps suspendu à l'instant présent. Non pas les états d'âme d'une femme éplorée dans une version sinistre mais la douce langueur d'une intimité partagée, la mélancolie rêveuse de soirées que l'on aimerait sans fin. Bleuets sécrète une ambiance, la nour

Ceux que je suis, Olivier Dorchamps (Finitude)

  Ceux que je suis évoque les douleurs de l'exil et du déracinement, l'identité de ceux qui croyaient en avoir une et se découvrent apatrides, la quête trouble des origines. Chez eux partout, nulle part chez eux. L'immigration et son histoire au prisme du deuil, la mélancolie de ce que l'on ne sera plus jamais, c'est l'horizon tout en retenu déployé par Olivier Dorchamps pour son premier roman. Réussi dans sa façon de se tenir loin de tous les poncifs et clichés du genre. Une entreprise ô combien délicate.   Les premières pages, naïves, inquiètent. Le roman évoque un prof' d'Histoire-Géographie, Marwan, Français d'origine marocaine qui a brillamment réussi l'agrégation et vient de se faire larguer par sa copine un brin bobo, Capucine. Un père qui décède sans prévenir en France et veut se faire enterrer au Maroc, son pays. Le roman bifurque alors rapidement sur les territoires de l'identité, dans cet espace d'entre-d'eux où l&

Classe de mer, Benjamin Taïeb (Lunatique)

   Aux éditions Lunatique , Le Collège de Buchy (Jérémie Lefebvre) décrivait la folie collective qui s'emparait d'une meute d'ado pour qui infliger la souffrance relevait du jeu sans conséquence. C'était noir, clinique, saisissant. Dans un autre registre, plus factuel et (faussement) naïf, Benjamin Taïeb ne parle pas d'autre chose : de souvenirs d'enfance, d'un trauma lointain, quand quatre de ses "meilleurs amis" s'amusaient à le faire souffrir, à le rouer de coups, dans le ventre, le dos. Problème sans fin, actuel. Sujet littéraire ô combien délicat. Mais Benjamin Taïeb trouve l'exacte distance avec des mots sobres, justes. Dans un format court.    Plutôt que d'accuser, juger ou tirer des larmes, Benjamin Taïeb s'interroge : sur l'aveuglement  d'adultes passifs occupés à régler leurs problèmes, sur l'indifférence des institutions, sur le silence qu'on s'inflige par honte coupable, sur les réflexes d

La Fabrique du rouge, Ariane Jousse (Éditions de l'Ogre)

      Décidément, on aime bien les forêts aux éditions de l'Ogre. Comme chez tant d'autres où la forêt est (ou devient) un topos littéraire. Moins la forêt d'ailleurs que des rencontres, des interactions entre des "héros" en quête — qui (se) cherchent—, et une Nature qui filtre, révèle en nous confrontant à un élan. Animal, vital. Pour mieux, à notre tour, saisir notre sauvagerie. Autant les forêts mentales que physiques, donc. Après la forêt pas si verte de Grégory Le Floch en début d'année ( Dans la forêt du hameau de Hardt ), nous voilà donc plongés dans la forêt pas si rouge d'Ariane Jousse. Oui, les fantômes et les mots, drapés de mille nuances, ont encore des choses à nous dire sur la magie du langage. Ou est-ce l'inverse ?        Disons-le d'emblée, on n'a pas tout compris à ce livre-hybride que l'on s'interdira d'étiqueter. Réflexe facile et vain de lecteur-chroniqueur. Toujours rassurant d'affubler un mot-v

Samedi soir, dimanche matin / Alan Sillitoe (L'Échappée)

      Paru au Royaume-Uni en 1958, Samedi soir, dimanche matin est le premier roman d’Alan Sillitoe (1928-2010), figure de proue de ceux que l’on appelait alors les Angry young men . Une manière de fraternité littéraire réunissant des écrivains ayant en commun des origines sociales le plus souvent modestes – Sillitoe est un fils de la working class de Nottingham – et une vision plus que critique de la société britannique d’alors. S’ancrant certainement à la gauche de l’échiquier politique, cette relecture contestataire par les Angry young men de l’Angleterre des années 1950 ne relevait pas tant d’un communisme soviétisant que d’un socialisme libertaire.          En témoigne Arthur Seaton, le protagoniste de Samedi soir, dimanche matin . Sorte d’alter-ego romanesque d’Alan Sillitoe, Arthur est un jeune ouvrier de Nottingham, exerçant le métier de tourneur-fraiseur chez Raleigh, le fabricant fameux de vélos. Le portait qu’en dresse Sillitoe n’est nullement celui d’

Par les routes, Sylvain Prudhomme (Gallimard)

    Le monde est divisé en deux catégories : ceux qui partent et ceux qui restent. En littérature, les bons et les mauvais romans. Celui de Sylvain Prudhomme est au milieu, un peu mou, un peu mélancolique. Nonchalant. Pas très tonique. Limite fleur bleue. Loin d'une littérature qui gratte et accroche. C'est pesé, propre et gentillet. Un livre qui contemple et dit que les choses sont ainsi. Qu'elles pourraient être autrement si l'on prêtait davantage attention aux autres, à leur humanité, si l'on était fidèles à nos rêves d'enfant, si l'on se laissait aller à la surprise... Un livre sans question, seulement des intonations et des réponses.    Voilà un livre souvent agaçant. D'autant plus agaçant qu'il n'est pas nul. Par les routes  est d'abord un livre baba cool avec des personnages têtes à claques. L'un, Sacha, est artiste, casanier, un peu rêveur et un peu paumé à quarante balais (je crois). L'autre, l'autostoppeur, a la