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Articles

Affichage des articles du août, 2019

La Nuit ne dure pas, Jules Gassot (Rivages) ★☆☆☆☆

       Quadra divorcé, Paul Broca se lamente, prend le car en direction de Méribel avec d'impolis Hollandais, se moque de ses contemporains, dîne avec sa belle-famille. Se lamente, prend place sur un télésiège débrayable à six places, ne voit que des nuages troubles, des amas laiteux. Il regarde les autres manger du pop-corn à la spiruline et ne croit plus en rien.      Bienvenue dans l'enfer du quotidien. Chaque phrase écrite ici résonne des textes de Cioran. La Nuit ne dure pas en est donc le titre. Mais Sur les cimes du désespoir aurait convenu aussi. Chamfort et ses maximes ne sont pas loin non plus. Voilà pour les références. Mais ce livre est agaçant et vite oublié. En gros, faut-il croire à cette litanie dépressive, bien trop noire ou floue pour être réelle ? Je bois pour immerger les trous noirs. Je bois pour m'oublier. Je bois pour rendre le monde flou. Les prostituées et les contractuelles ne font qu'un dans un monde flou. Les hommes ne se bercen

Mikado d'enfance, Gilles Rozier (éditions de l'Antilope) ★★★★☆

    Joli et touchant livre de Gilles Rozier,  Mikado d'enfance , sur la construction d'un ado de douze ans dans la France des années 70. L'auteur y convoque ses souvenirs de petit garçon en marge, les reconstruit à la lumière de la honte coupable ressentie lors de ce jour gravé dans le marbre. Des souvenirs enfouis qui remontent à la faveur d'un événement traumatisant. L'envoi d'une lettre menaçante, antisémite, à un professeur d'anglais, M. Guez... Le narrateur, élève modèle aux yeux bleus issu d'une famille bourgeoise mais néanmoins en marge, vivait " dans la culpabilité du filliste ". Soit un garçon qui préférait jouer aux poupées avec les filles plutôt que jouer au rugby avec les gars bien virils de sa classe, Pierre et Vincent.        Une identité en construction, un jour traumatique et un garçon qui rentre en exil intérieur. L'identité comme le fruit d'un va-et-vient entre souvenirs refoulés, tentatives de (re)constructio

Le Dernier loup, László Krasznahorkai (Cambourakis) ★★★★★

          La sortie d'un nouveau livre de László Krasznahorkai est toujours un événement. Mais que pouvait bien donc écrire l'écrivain, génie des lettres, après l'indépassable Guerre et guerre ? Car, précisons-le, on tient l'auteur hongrois pour l'un des plus grand de son temps.        La réponse est donc là, dans un petit format : une nouvelle de 60 pages, au titre plein de résonances, Le Dernier loup, réponse angoissée au vide d'une époque, à sa façon de broyer le monde . Un monde parfois réenchanté par le spectacle tranquille d'une plaine désertique, verte par endroits. Le Dernier loup , comme un titre-énigme, prend l'allure d'un flot de conscience déroutant, perçu dans un lent va-et-vient de pensées, paroles et silences entre Berlin —  ses rues crasseuses, sa triste solitude, ses bars pour immigrés turcs —, et l'Estrémadure lumineuse, en Espagne. 60 pages mais une seule et unique phrase ponctuée de questions-digressions, autant de divag

Trois jours chez ma tante, Yves Ravey (éditions de Minuit double) ★★★☆☆

  Avant d'attaquer la rentrée littéraire, une petite friandise de polar avec Trois jours chez ma tante   (paru en 2017, en poche ici) d'Yves Ravey, que j'ai découvert cette année avec Pas dupe , exercice de style truculent. Je voulais retrouver cet univers cocasse, ces personnages retors et pathétiques, cette écriture concise, blanche, faussement minimaliste.   Autant être franc, on a eu l'impression de lire à peu de chose près le même livre, avec un pitch un peu différent. Rien de grave, c'est justement ce qu'on recherchait, comme discuter avec un vieux pote, un verre à la main. Les mêmes histoires que l'on se répète avec le sourire, sans jamais s'ennuyer. Ici, Marcello Martini habite en Afrique après avoir fui la France et y tient un dispensaire pour orphelins. Mais voilà, sa vieille tante fortunée qui vit en France dans une maison médicalisée de luxe, le convoque et lui fait savoir qu'elle met fin à son virement mensuel, en plus de le

L'épaisseur du trait, Antonin Crenn (Publie.net) ★★★★☆

   Comme une géométrie de l'intime, L'épaisseur du trait nous embarque dans un Paris de fantasmes, une irréalité familière, suspendue, à la croisée des chemins et des plis, entre la quête initiatique du passage à l'âge adulte et la façon dont nous sommes habités par les lieux. Car tout part d'une idée un peu folle. Vous connaissez ces petits plans de la ville de Paris qui tiennent dans la poche, rendus illisibles par la volonté de tout représenter (ou presque) : impasses, passages, cités, villas, rues, allées, chemins, cours... Sans oublier la foisonnante toponymie abrégée ! Le format du papier comme facteur limitant, comme les nombreux coins et pliures qui coupent l'urbain. A tel point, parfois, que le plan les fait tout bonnement disparaître. Format pratique, "découpage rationnel" (un arrondissement sur deux pages) mais usage laborieux. Car rationnelle, Paris ne l'est pas. Alexandre vit dans un petit appartement à Paris, face à des tableaux suspe

Cherbourg, Charles Daubas (Gallimard) ★★★☆☆

    Un bon premier roman pour Charles Daubas, urbaniste de son état (une qualité), placé sous le signe bien commode du secret défense. Alors c'est quoi "Cherbourg" ? Dans l'inconscient collectif, une triste ville de France du bout du monde adossée à la mer, paumée comme Brest, dont le cœur bat au rythme des réacteurs nucléaires tout proches, au son du Redoutable, le vieux sous-marin fleuron de la marine française, et résonne de la gouaille résignée de ses pêcheurs de saumon. Mais ici, c'est surtout un bon thriller à l'ambiance lourde. Lourde de non-dits et on-dit, de rumeurs et de bruits, le tout balayé par un vent tenace mais capricieux. Cherbourg , c'est une histoire à suspense qui tient la barre avec fermeté sans dévier de sa ligne de flottaison.    Un (non?) événement a eu lieu dans la rade de Cherbourg à l'été 2012. Une digue s'effondre en partie, causant la disparition de trois adolescents. Cette version vient d'un petit jeune

Le train pour Tallinn, Arno Saar (La fosse aux ours) ★★★☆☆

    Petit polar venu du froid, Le train pour Tallinn a comblé nos attentes de lecteur estival. Ambiance post-Guerre Froide avec, pour personnage central, un flic narcoleptique hanté par le souvenir de son père, Marko Kurismaa. Un Russe bedonnant, la soixantaine, vient d'être assassiné dans un train assurant la liaison Saint-Pétersbourg-Tallinn, après avoir avalé l'alcool local. Overdose, suicide, négligence, assassinat ? L'inspecteur veille au grain avec les moyens du bord... C'est-à-dire presque rien.     Je n'attendais pas grand chose de ce bouquin qui avait la saveur de mondes inexplorés. Mais avec cet éditeur, disons-le, nous n'avons jamais été déçus. Allez savoir pourquoi, j'ai toujours eu l'impression de me retrouver en Finlande. Peut-être à cause du froid, du ski de fond (le flic se rend au boulot à skis !) ou des noms et leur sonorité. Surtout en raison, je crois, de notre ignorance totale de ce pays. Qui peut me citer là, tout de suit