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Articles

Affichage des articles du mai, 2019

Sur la route du Danube, Emmanuel Ruben (Rivages) ★★★★★

Lendemains d'élections européennes. Gueule de bois. On préfèrera le " blues du Danube " d'Emmanuel Ruben, auteur du splendide et nécessaire Sur la route du Danube, odyssée cycliste, quête d'une perte et tableau vivant d'une Europe des confins . Emmanuel Ruben n'a pas l'ambition d'enfiler les KOM sur Strava mais plutôt de se la couler douce le long du Danube en mode endurance et observation. Très louable et noble ambition. Il arpente, enregistre et délivre par le filtre d'une plume inspirée. Alors quand, dans un ambitieux road-trip de 600 pages et 4000 kms, il nous invite à prendre sa roue bien calés sur notre selle, mains au creux du cintre, tête baissée mais l’œil attentif, on enfourche notre bicloo face au fleuve de fer qu'est Éole, on se dresse fièrement sur les pédales et on se lance dans l'aventure vélocipédique le long de ces méandres d'un autre temps, figés dans la nostalgie d'une Europe pleine de rêves. Déchus

Les Outrages, Kaspar Colling Nielsen (Calmann-Lévy) ★★★☆☆

Tantôt brillant, tantôt ennuyeux, à la fois fascinant et exaspérant, Les Outrages signé de l'auteur danois Kaspar Colling Nielsen, va droit au but. L'Occident est dépassé, la gestion du capital et les hautes technologies dessinent un futur cerné d'insécurité migratoire, vaines compensations d'un homme blanc européen frustré et voué à la solitude éternelle. On est bien dans un "roman houellebecquien" où la misère sexuelle le dispute au vide affectif. Christian incarne l'artiste plein de thunes (ça vaut quoi en euros 200 000 couronnes ?) qui, à quarante ans passés, passe ses journées à profiter d'une petite jeune à peine majeure. Stig, l'ex-punk drogué désormais galeriste sans talent, fait la leçon à sa fille suicidaire alors que son mariage avec Elisabeth bat de l'aile. Leur ville est en proie à des tensions communautaires sur fond d'islamisation rampante. Et pour réguler les flux de ceux qui ne veulent pas vivre avec les règles danoises,

C'est un beau jour pour ne pas mourir, Thomas Vinau (Le Castor Astral) ★★★☆☆

 Un bout de pain, la cacophonie du vide, des claques et des nuits en train de rire. De l'autre côté, mon pays ou une pomme, l'arme légère se recueillir parmi les monstres hirsutes. Promis, je ne chercherai rien. Juste la lecture et la poésie. Pas de traduction nécessaire, juste s'alléger, d'une manière ou d'une autre. Comme chaque matin au moment d'avaler son café, comme un addict incapable de décrocher de Facebook, lire son petit poème signé Thomas Vinau . C'est le programme en 365 actes de ce recueil. Et C'est un beau jour pour ne pas mourir.  Lire de la poésie, pour nous, c'est avant tout se faire bercer par la musicalité des mots assemblés. Et non pas se bercer d'illusions. C'est donc une façon de croire en quelque chose, au-delà des tristes apparences. La poésie, c'est de plus en plus rare et pourtant ça fait du bien. Commencer sa journée par un poème, c'est le gage d'une journée réussie ou du moins, de partir du

Mes coureurs imaginaires, Olivier Haralambon (Premier Parallèle)

Giro mon ami ! Et bientôt le barnum annuel en jaune ! L'occasion d'enfourcher notre bicloo et de foncer tête baissée, mains au creux du cintre pour vous chroniquer les bonnes sorties sur la Petite Reine. Ok, on vous voit froncer les sourcils, faire la moue et croiser les bras : du vélo sur L'Espadon, franchement, un sport de benêts et de bourrins dopés ? C'est pour les Marcel, du pastis, du béret et de la baguette...   Vous auriez tort car Olivier Haralambon est aujourd'hui l'une des belles plumes du cyclisme moderne, aux côtés de Philippe Brunel, journaliste à L’Équipe . Lire Mes coureurs imaginaires , c'est saisir autrement les subtilités du pédalage et de la danseuse. Éclairer notre regard sur ces corps en mouvement, offerts en sacrifice à une foule electrisée. Car Olivier Haralambon griffe les pages comme on caresse les pédales. Avance plutôt en vélocité qu'avec la braquasse, même si les bûcherons ont leur charme. Si vous avez lu son précé

Etat de nature, Jean-Baptiste de Froment (Aux Forges de Vulcain) ★★☆☆☆

 Même quand on apprécie un éditeur — on vous parle bientôt d' Une bouche sans personne —, l'honnêteté nous oblige à écrire pourquoi on a moins aimé l'un de ses livres. A tort ou à raison. Et force est de reconnaître qu’ État de nature nous a déçus et parfois ennuyés. C'est un premier roman et il faudrait être indulgent. Sans doute, mais reste que notre exigence est la même, premier roman ou pas. Soyons clairs, ce n'est pas un mauvais livre, loin de là. Et si un livre est chroniqué sur L'Espadon, c'est d'abord qu'il a suscité notre intérêt. Un pitch , la confiance accordée à l'éditeur ou une simple couverture (très belle ici, encore un beau travail d'Elena Vieillard). Et un intemporel sujet d'actualité, le jeu politique, un livre sur l'exercice du pouvoir et les révoltes qui en découlent. État de nature , c'est de circonstance avec les Gilets Jaunes et les Européennes, s'incruste dans le petit monde des luttes de pouvoirs à

Terres de sang. L'Europe entre Hitler et Staline, Timothy Snyder (Folio Histoire)

 Par Jean-Marc Goglin En 2010, T. Snyder, Professeur d’histoire de l’Europe centrale et orientale à l’université de Yale (Etats-Unis), propose une étude innovante sur l’histoire de l’Europe centrale et orientale entre 1933 et 1945. Cette recherche, d’abord traduite en français et publiée par les éditions Gallimard en 2012, vient d’être rééditée en « format de poche ».    T. Snyder fait œuvre de pédagogue. Il rappelle que la Première Guerre mondiale a fait éclater les grands empires européens et a donné naissance à de nouveaux États, la Pologne, l’Ukraine, la Biélorussie et les États baltes qui forment une « zone tampon » entre l’Allemagne et la Russie. La construction des États totalitaires en Allemagne et en Russie s’accompagne d’une remise en cause de la légitimité et de l’existence de ces États. Staline et Hitler, arrivés au pouvoir, mettent en œuvre des projets coloniaux . Ils entendent s’approprier, réorganiser ces territoires pensés comme des réserves de terres.

Une ville de papier, Olivier Hodasava (Editions Inculte) ★★★★★

  Si tout est vrai, alors cette histoire est fascinante. Si tout n'est que fiction, c'est encore plus fort. Entre les deux, la seule grande question qui vaille, celle du réel ("Si être réel c'est exister dans l'esprit des gens, alors oui, pour moi, elle est bien réelle"). Car la beauté de la littérature tient dans son incertitude, un art des possibles déployé à l'infini. Un vertige. Comment parler d'un livre dont le sujet n'existe pas ? Qui n'a jamais existé sinon dans la tête des gens, sur une feuille de papier comme Copyright Trap ? C'est le principe abyssal de ce livre pensé comme un film ou un album photo, par strates et plans-séquences.   Le sujet en deux mots. Avril 1931,  Desmond Crothers, cartographe passionné, travaille à la General Drafting, entreprise florissante de production de cartes routières qu'a créé un certain Otto G. Lindbergh. Le patron confie à l'employé une tâche importante, comme une belle marque de

L'ombre de son nom, Jean-Baptiste Labrune (Magnani) ★★★☆☆

  Premier roman signé Jean-Baptiste Labrune, L'Ombre de son nom est aussi le premier roman de son éditeur, Magnani. Un excellent éditeur de livres illustrés et BD que l'on connaît bien à L'Espadon pour avoir déjà chroniqué certains albums. Allez voir du côté de Marion Fayolle et Simon Roussin si le cœur vous en dit, la fine fleur du 9e art actuellement ( Les Aventuriers , Les Amours supendues ). Mais revenons donc à ce roman et son programme inépuisable, ambitieux. Un livre sur les voix qui nous traversent, les démons qui nous hantent. L'image de la mort à Paris à des époques différentes. Pendant la semaine sanglante de la Commune, en 1871, pendant les émeutes de 2005 en banlieue, échos diffus d'une violence qui traverse les générations. A l'image d'André Fauré, mort en 2005. Difficile de résumer ou raconter cette histoire. Tout est jeu d'échos, de correspondances, de va-et-vient. Qui commence par le décès d'un père dans des circonstances troubl

Pas dupe, Yves Ravey (Editions de Minuit) ★★★★☆

   Yves Ravey n'est pas islandais mais français et écrit des polars bien de chez nous dont l'action se déroule aux États-Unis. Un polar minimaliste d'une belle ampleur qu'il ne faudrait pas prendre pour ce qu'il n'est pas tout à fait. A savoir un polar... Vous n'y comprenez rien ? Normal !  On n'est pas dupe de l'absence de suspense M. Ravey ! Car tout se joue, ou presque , dans les deux premières pages. Et même sur le bandeau bleu qu'on vous laisse lire. Le coupable est connu au bout d'une scène. Ou presque , mon cœur balance. Et bien sûr, si on lit l'enquête au premier degré (ce qui est tout à fait possible) on peut avoir le (légitime ?) sentiment de s'être fait berner. A l'image du récent Willnot de James Sallis , vrai-faux polar existentiel, Yves Ravey maintient l’ambiguïté jusqu'au bout sur les véritables enjeux de son enquête. Tout le sel de ce bouquin.    Pour faire court, un accident louche : Tippi, au vol

Guide L'Espadon : les livres du moment

   Passées les limites sur ce type de bilan, on aime vous conseiller quelques bouquins et vous renvoyer vers des articles pertinents. Après un premier "carnet de lectures" optimiste, on le répète, les sorties de ce début d'année sont d'un très bon niveau : par leur exigence formelle, leur sujet, leur ambition, leur ton. Voici notre sélection des titres à ne pas manquer en ce moment. Cliquez sur les liens des livres pour lire les critiques.    Du côté de l'écriture, une littérature ambitieuse et "coup de poing" . Le rageur La Dévoration des fées signée Catherine Lalonde, poème fiévreux écrit avec les viscères, une invention langagière de toute beauté qui laisse sans voix. Toute bonne littérature devrait ressembler à ça. A l'image du spectral Des voix de Manuel Candré, une histoire de fantôme mort mais vivant, possédé par les voix. Là encore une écriture du rêve à vous bercer pour des jours entiers. Il y est question de spectralisme et de

La Dévoration des fées, Catherine Lalonde (Le Quartanier) ★★★★★

Bon, le livre est sorti en 2017 chez l'éditeur québécois Le Quartanier, il ressort en mars 2019 et débarque sur nos tablettes suite aux fameux conseils de la librairie Myriagone d'Angers (merci à Andreas !). Il est là, sous nos yeux brûlés, avec sa belle couverture verte pleine d'espoir et on ne s'en est pas encore remis ! Comme un plaquage cathédrale pleine face, un Boeing en plein thorax, un kick au foie par Cédric Doumbé... Voilà ce qu'on appelle de la littérature. Une poésie des viscères, avec les tripes et le cœur, dans la fureur et la rage au ventre. La fièvre sémantique, combustible d'une urgence à cracher, expulser. Autant vous dire qu'on se sent un peu idiot à l'heure d'écrire ces lignes : comment rendre compte de la beauté de ce texte ? C'est impossible, à l'image du récent Des voix de Manuel Candré . Quand la langue dit tout, invente des mondes, récrée les conditions de notre appropriation des textes, il faudrait inventer une au