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Articles

Affichage des articles du janvier, 2021

Baiser ou faire des films, Chris Kraus (Belfond)

 Jolie couverture kitsch-pop qui rappelle à sa façon le souvenir doux-amer d'une Beat Generation disparue. Après La Fabrique des salauds, l'auteur revient avec la chronique new-yorkaise d'un jeune étudiant allemand en cinéma, qui doit réaliser un film sur le sexe mais surtout pas un film à la con sur les nazis. Jonas, envoyé en éclaireur par son professeur pour préparer l'arrivée des autres étudiants, se retrouve balancé dans la jungle urbaine de la grande pomme. Il croise des beatniks, des artistes, des homos, des junkies, des criminels, des réalisateurs, sa Tante Paula rescapée de la Shoah et son grand-père Apapa qui hante sa mémoire avec des Sturmbannführer et des chambres à gaz en Lettonie... Mah, la compagne de Jonas restée en Allemagne, psychote sur la fidélité de son petit copain. Jonas, malgré sa jeunesse, va bientôt mourir. Une grosse cicatrice au front rappelle au monde son accident de moto et sa vie en sursis... Un livre qui séduit d'abord par son humour

Le Consentement, Vanessa Springora (poche)

 À la faveur de la sortie en poche, je me suis lancé dans la lecture du Consentement , un témoignage de V. sur sa relation avec un ancien écrivain connu du tout Paris littéraire. Avant ce livre, je ne le connaissais même pas et n'en avais jamais entendu parler. Alors précisons-le tout de suite, ce n'est pas un roman mais bien un document, un récit-témoignage sur la mécanique mortifère qui pousse un quinquagénaire-écrivain-artiste-connu à séduire de très jeunes filles, et même à les utiliser comme matériau romanesque pour ses propres livres. La question du consentement entre une fille de treize ans et un homme de cinquante ans est ensuite scrutée à la loupe par l'auteure, à la fois objet et spectatrice de son propre livre parfois. Mais surtout pour Vanessa Springora l'occasion de redevenir le sujet, de se réapproprier sa propre histoire, somme des récits volés et trahis par son agresseur mielleux. Une façon de reprendre le contrôle de ce qu'elle ne pouvait pas tout à

Nos corps étrangers, Carine Joaquim (La Manufacture de Livres)

 On frôle souvent le pire dans ce roman pour finir par s'y jeter les yeux fermés, un peu hagards et sidérés face à la négation de ces corps à peine libres et souvent contraints, toujours un peu étranges ou même étrangers à nos désirs réels. Rien ne nous sera épargné dans ce "roman pavillonnaire". Un couple fragile quitte Paris pour rejoindre la banlieue et se donner une nouvelle chance. Stéphane, Élisabeth et leur fille unique Maëva vont vivre une nouvelle vie à l'air libre, avec jardin, espace vert et pavillon. Mais très vite, Stéphane ne supporte plus les trajets interminables en R.E.R et Maëva déteste ses parents qui l'ont coupée de ses amis d'enfance. Dans son nouveau collège, elle fait la connaissance de Ritchie, un grand gars aux épaules larges dont l'âge, treize ans, suscite le doute. Et dans cette classe, un autre élève atteint d'une maladie suscite les sarcasmes de ses camarades... Vague impression que l'histoire ne démarre jamais dans Nos

Avant le jour, Madeline Roth (La Fosse aux Ours)

 J'avais vu passer deux trois mots positifs au sujet de ce livre sur les réseaux et mon goût pour cet éditeur m'a convaincu d'aller y voir de plus près. Eh bien ce court livre de Madeline Roth est très beau, sur le fil des émotions et d'une intimité à fleur de peau. L'auteure nous raconte une histoire très simple. La quarantaine, un court voyage en Italie à Turin qu'elle effectuera seule, sans Pierre, son amant, retenu par un deuil familial. Cet homme est donc marié, avec Sarah. La narratrice partira donc seule, repensant au père de son fils, aux moitiés de jours, de semaines et de mois passés avec cet enfant de parents divorcés, au désir, à l'amour, aux liens du couple et de la famille. Tous fragiles, délicats, dessinés par le va-et-vient entre les doutes et les certitudes, les tourments et les bouts de joie arrachés au temps qui passe, imperceptiblement.  Un petit roman tout en épure, succession de phrases brèves pour dire les tâtonnements des sentiments,

Suivant l'azur, Nathalie Léger (P.O.L)

 Comment dire la mort d'un proche ? C'est d'abord l'écrire nous dit Nathalie Léger. Une mort "en seconde personne" (Vladimir Jankélévitch), celle de son mari en 2018, la perte d'un être unique et donc irremplaçable. L'horizon à partir duquel surgit la pensée du néant, du vide, du silence, la représentation de l'absence. Comme si la mort à sa manière pouvait orienter l'amour, ce à partir de quoi la vie peut prendre un sens. Rassembler un sens épars, écouter le silence imposé par les circonstances, raviver une présence, recoller les morceaux de l'existence. Comment parler de ce qui n'est plus ? Du vide, du rien, d'une présence disparue ? Du souvenir de l'amour ? Une élégie en quête du mot juste, toujours en recherche de la phrase exacte à même de s'approcher de la douleur, de dessiner une représentation de ce qu'on est toujours impuissant à appréhender. Court mais étonnant et puissant livre de deuil. Quand on ne peut rien

Le bonheur est au fond du couloir à gauche, J.M. Erre (Buchet Chastel)

 Et si le bonheur consistait à se trouver un ennemi à détester ? Le meurtre comme voie privilégiée vers le bonheur ? Hébétude ou béatitude ? Antidépresseurs ou anxiolytiques ? Mais peut-être le bonheur rend-il malheureux ? Ce serait fâcheux, vous en conviendrez. Michel H. s'implique avec zèle dans l'activité de ramassage des tessons. Il pense à la planète, au recyclage. Il veut aussi récupérer Bérénice et adopter un mode de vie sain. Bye bye le gluten, adieu le lactose ! Mais le voisin, M. Patusse (ça sonne comme suisse), est très à cheval sur les règles... Michel, raté dépressif, lit la presse de gauche et de droite, affronte donc son terrible voisin le vigilant et va même jusqu'à payer un Grand Maître sur le web. Mais trouvera-t-il la recette du bonheur pour faire revenir Bérénice ? Alors que le dernier roman de Fabcaro m'avait bien déçu, avec sa mélancolie et son désenchantement souvent drôles mais lourdauds, celui de J.M. Erre m'a convaincu de bout en bout même

La Disparition du paysage, Jean-Philippe Toussaint (éditions de Minuit)

 Je ne sais pas si Jean-Philippe Toussaint est un grand écrivain mais, que voulez-vous, j'y reviens de temps à autre, appâté par un titre ou une vague promesse de repos. Car l'écriture du monsieur me berce et m'apaise et si je n'éprouve jamais le grand vertige du dépaysement, je m'y sens plutôt bien dans ses livres. Tandis que  Les Emotions attend sagement dans ma bibliothèque, je m'attaque entre deux romans à ce court texte de 40 pages qui devait être joué au théâtre des Bouffes du Nord le 12 janvier 2021 (reporté à novembre) par Denis Podalydès. La Disparition du paysage est la construction d'un univers mental et son lent effacement depuis un point aveugle, ce traumatisme que le narrateur a oublié, disparu dans les limbes de sa conscience. Vous savez, comme ces rêves très prégnants au réveil mais dont on a tout oublié. Ils sont là mais plus là. Le discours alors comme une caisse de résonance du choc physique.  Le narrateur tente de rassembler les pièces du

Bruit dedans, Anna Dubosc (Quidam)

 Un bien joli livre ce Bruit dedans, porté par l'urgence de sa prose, ses phrases courtes comme des pulsations et son désir photographique de tout saisir dans l'instant, de peur que l'image ne s'échappe, par crainte que la vie ne s'enfuie. La grande réussite du livre étant de faire de l'écriture — de l'acte-même d'écrire —, une condition de la survie. La narratrice raconte sa vie en même temps qu'elle l'écrit et la fixe sur ses carnets. Des carnets remplis de notes et de mots, raturés et épuisés une fois qu'ils sont posés dans un fichier Word. Ce livre parle d'un quotidien où les mots sont un révélateur, le filtre d'une émotion toujours un peu floue ou vague que les mots vont pouvoir fixer, éclaircir, intensifier ou même simplement faire exister. Car notre vécu est toujours un peu du vent, un souffle qui glisse et échappe. Le projet de Bruit dedans , impossible, serait ainsi de retenir l'eau fuyante du tonneau des Danaïdes. Et cet

L'Avantage, Thomas André (Tristram)

 Avantage service, 40A, break, égalité. Alors, tu chopes ou tu liftes ? Premier roman assez intrigant, indécidable jusqu'au bout, qui m'a rappelé les deux Nathalie, Tauziat et Dechy. Forget, Pioline et Thierry le champion. Bon, vous le savez, sport et littérature font bon ménage chez L'Espadon et quand un livre paraît chez Tristram, c'est plutôt gage de qualité (Nina Allan). Bon. Ce roman m'a confirmé une chose, je préfère largement le tennis en littérature qu'à la télé ou en vrai — donc sa représentation—, un des rares sports à m'ennuyer, à me mettre en rage quand je m'y adonne. Un certain nombre de grillages se souviennent de mes emportements après un coup raté, les raquettes ébréchées aussi. Car L'Avantage nous rappelle que le tennis est un sport de brèches et de failles. Il faut un mental en béton pour renvoyer les coups, droits, liftés ou chopés. Slicés (slayecés ?) ou lobés, un peu de talent aussi mais alors un talent qui s'ignore peut-être

Le Démon de la Colline aux Loups, Dimitri Rouchon-Borie (Le Tripode)

C'est l'histoire d'une vie qui se termine avant d'avoir commencé. Une vie qui n'a jamais vraiment commencé. C'est l'histoire d'un enfant passé deux fois par les tribunaux. La première en tant que victime, la deuxième en tant que bourreau. Et autour, des gens incapables de comprendre ce que le personnage principal est lui-même incapable de comprendre. La colline aux loups, un nid qui est l'autre nom de l'enfer mais aussi le seul souvenir, presque rassurant, de l'enfance. Et un démon, ou plutôt deux, le père et la mère mais pas papa ou maman, jamais, puisque Duke discerne à peine qui ils sont. Mais il sait ou plutôt il sent ce qu'ils lui ont fait. Quelques frères et soeurs au destin identique et le grand brouillard mental ensuite. Le Démon de la Colline aux Loups est un grand livre sur le langage et sur ce qui nous hante, notre impuissance à le formuler. Tout le talent de Dimitri Rouchon-Borie est d'avoir su restituer les nuances infin

Freshkills, Lucie Taïeb (La Contre Allée)

 L'invisible, l'autre nom des déchets, des déclassés. Ou plutôt l'autre nom de ce(ux) que l'on refuse de voir et la reconversion des paysages comme métaphores de lendemains qui chantent (ou pas). Les discours technocrates qui aveuglent et font oublier, qui neutralisent le changement dans un langage cosmétique et propret, "la parole neutre et désincarnée de la bureaucratie urbaine (qui) renomme et classifie, efface l'aura trouble et l'image négative de la décharge en un geste langagier qui signe la disparition de ce tas immense, monstrueux, où pullulent les organismes vivants de toutes sortes et tous types". Nous serions déjà morts écrit Lucie Taïeb, privés "de toute énergie vitale", à l'image de cette langue professionnelle de la résignation et de l'aveuglement qui trouve dans les injonctions culpabilisantes le moteur de son discours sous-tendu par la logique de rentabilité. Car recycler doit profiter à tous, d'une manière ou d

Sans adresse, Pierre Vinclair (Lurlure éditions)

C'est quoi la poésie ? Et la bonne poésie ? Je l'ignore car je ne suis pas spécialiste. Je ne suis spécialiste de rien d'ailleurs, vous le savez bien. Alors joie de me retrouver à lire des poèmes avec la naïveté de l'enfant qui découvre les mots, les textes, les rimes, les mètres. Joie de me faire un avis sans préjugé pour une fois, simplement aiguillé par la passion d'autres lecteurs assidus qui ont trouvé dans ces vers d'autres "beautés supérieures". Joie de goûter le charme des premières fois. Je l'avais déjà écrit ailleurs mais j'ai honte de ne pas lire davantage de poésie, je m'en veux encore plus d'avoir perdu tout ce temps. Et un poème, c'est court, beau, une musique comme un éclair, doux ou pas, et très pratique pour le chroniqueur pressé, en manque de temps. Alors j'ai commencé 2021 par  Sans adresse  de Pierre Vinclair,  acheté à la librairie Labbé de Blois, au rayon "Poésie" assez fourni. Je crois avoir vu p