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Articles

Affichage des articles du mai, 2021

Hotel Andromeda, Gabriel Josipovici (Quidam)

 Beau livre sur le rôle de l'art, pensé comme un récit-gigogne qui multiplie les boîtes magiques à la croisée de l'essai, du roman, de la biographie (?). A l'image des oeuvres de Joseph Cornell dont Helena tente d'écrire la biographie et, à travers elle, le mystère de son art "dans toute son étrangeté et sa confusion, dans toute sa douleur et ses souffrances". La plupart des romans chez Quidam porte en eux la question des moyens, et donc la question du langage. Qu'elle apparaisse sous la forme de dialogues ou de la critique d'art, elle ne cesse de porter l'enjeu du roman et de l'art en général, l'ambiguïté. Dans le roman, Helena, critique d'art, tente d'écrire un livre sur l'artiste Joseph Cornell tandis qu'elle croise au hasard des étages de son immeuble une vieille dame, Ruth, d'une grande sagesse, Tom, un amant occasionnel et Ed, mystérieux bonhomme apparemment photographe qui débarque de Tchétchénie et connaît bien A

Milieu, Adrien Lafille (Vanloo éditions)

 Adrien Lafille a écrit un court livre impossible à chroniquer. J'aime bien faire le malin d'habitude avec mes phrases et mes mots pour tenter d'approcher un tant soit peu une vague impression de lecture. Mais là, frérot, je baisse les armes et vous ouvre mon âme. Vous dire que ce livre m'a passionné ne serait pas tout à fait vrai. Vous dire que ce livre m'a ennuyé ne serait pas tout à fait vrai. Vous dire que je ne sais pas quoi écrire, là, tout de suite (et depuis cinq mois) n'est pas tout à fait faux. Vous dire qu'il m'en reste un truc bizarre, ancré loin dans mon esprit, c'est une évidence. Ce bouquin, je l'ai posé dix fois et l'ai repris autant de fois, comme une obsession. Je pourrais résumer l'histoire de ces deux filles, Violette et Lucie, vous dire qu'Antoine est parti avec le chien Rotor un beau jour, que ça ne servirait à rien. La mise en bière du roman et de ses attentes, extension du domaine littéraire au milieu de tout,
Le premier souper  de Alexander Dickow – Éditons La Volte – 18 mars 2021 (roman inédit. 272 pp. GdF. 18 euros.) Par Pierre Charrel Spécialisé dans les littératures de l’Imaginaire (S.F., fantastique, Fantasy), La Volte combine un engagement esthétique et politique pareillement assumé. L'éditeur privilégie en effet les textes aux écritures aussi recherchées que singulières, acclimatant notamment le poétique au romanesque, explorant encore des constructions hors-normes. Soit une forme d’audace stylistique à laquelle répond celle politique de livres usant des potentialités subversives de l’Imaginaire pour porter un regard critique sur les processus de domination, tout en inventant d’autres manières de penser, d’autres façons de vivre. Le premier souper  d’Alexander Dickow répond en tous points à ces ambitions. La structure même de l’ouvrage en fait d’emblée un objet dérogeant aux règles communément admises du roman. Si  Le premier souper  est en effet présenté comme relevant du champ

Vendredi poésie #7 : Sébastien Ménard, Noémie Pomerleau-Cloutier, Nawel Ben Kraïem, Éric Sautou

  La Patience du lichen , Noémie Pomerleau-Cloutier, La Peuplade, mars 2021, 18€ Quête poétique et vagabondage au bout du monde pour ce livre échappé sur la côte nord du golfe Saint-Laurent. Après le panneau marquant la fin des terres, l'arrêt du bitume, il faut franchir les airs, l'eau ou la glace pour croiser les Coasters, gardiens des confins sur les routes blanches des jours aveugles. Les mots comme une boussole de douceur quand la neige craque, quand le moteur vrombit sur la glace insulaire, cassant le silence des territoires invisibles. On ne les voit pas, alors il faut d'abord les entendre ces pêcheurs, ces peuples assis sur des matelas et des îlots de liberté. L'auteure mélange le français, l'anglais et la langue des Innus pour incarner ces peuples loin de tout, loin de la fièvre du monde. Une magnifique poésie de l'errance et de la résistance, non pas au sens politique (quoique) mais au sens d'une intimité à partager, à écouter au coeur d'une im

Fièvre de cheval, Sylvain Chantal (Le Dilettante)

 L'histoire d'Anatole, consultant en quelque chose, qui atterrit un beau jour au bar PMU Le Platane à Nantes.  Il s'ennuie dans sa vie, Anatole, alors il boit beaucoup avec ses copains turfistes (enfin copains, façon de parler) et devient rapidement accro aux petites courses de chevaux qui peuplent ses après-midis sans fin de bucolique anonyme. Il en fait des rencontres : la patronne, sympa mais désenchantée car la clientèle a bien changé. Les Chinois rachètent tout. Et puis tous ces joueurs qui claquent leurs allocs dans des demis et l'espoir de gains rapides en sus de l'ivresse. On tape la discute et on espère le jackpot dans la cinquième à la borne des paris car le pari est une fête. Et allez comprendre, chance du débutant ou de cocu, le Anatole remporte une somme rondelette, 1200€. Coup d'essai, coup de maître, le voilà lancé tel un étalon sur la piste aux étoiles...de mer, car sa nouvelle addiction au jeu, à l'alcool, aux petits chevaux à la corde va le

Les Fils du pêcheur, Grégory Nicolas (Les Escales)

 Bienvenue en Bretagne au pays des pêcheurs côtiers et hauturiers, navigateurs au long cours qui triment à trois heures du mat' pour joindre les deux bouts du compte en banque. C'est le cas de Jean, père de trois gamins, qui aimait comme un fou ses enfants et sa femme. À tel point qu'il avait abandonné la "grande pêche" le jour où il avait décidé de fonder une famille : "Il voulait des choses simples et petites, celles qui font une vie pleine et heureuse". Et ce père avait une fascination pour son bateau, pour Ar c'hwil, un coquillier blanc et bleu. Mais un beau jour, la mer a frappé au hasard, le coquillier a sombré "corps et biens", laissant une petite famille orpheline de son quota de Saint-Jacques, et surtout, de son pêcheur de père... Le précédent livre de Grégory Nicolas, Équipiers , dans un autre genre et chez un autre éditeur avait montré combien l'auteur était attaché aux histoires de famille. Les premiers chapitres montraient

De terre, de mer, d'amour et de feu par Marc Alexandre Oho Bambe (Mémoire d'Encrier)

 Si vous voulez slamer sur la Lune ou raper au soleil, demandez à Captain Alexandre, poète tambour et "dandy de grand chemin", avec ce splendide recueil de nature à faire chavirer les âmes. Larguez les âmes rares et flottez aux côtés du capitaine dans des navires sans chaînes, pour enchaîner les flow de sons et les phrases à l'unisson, d'Afrique à Haïti en passant par les mystères du langage. On y embrasse les visages creusés du soleil des tempêtes, on y bifurque au milieu de nulle part en quête des "utopies qui manquent à nos vies". Je n'ai découvert que récemment la poésie chaleureuse et pleine d'empathie de Marc Alexandre Oho Bambe. On m'a raconté qu'il slamait ses poèmes a capella dans les salons littéraires. En toute franchise, j'aurais aimé voir ça tant ce recueil donne une idée de la puissance sonore de cette poésie. On le sent à chaque mot, chaque vers, chaque rime, c'est une poésie de griot, faite pour être clamée et acclamée

Olympia, Paul-Henry Bizon (Gallimard)

 Il existe de curieux livres qui, des noms à l'histoire en passant par les lieux, semblent avoir été écrits pour vous. Pire, vous avez même parfois le sentiment étrange d'avoir inspiré l'auteur d'une façon ou d'une autre. Etonnant. Et même fascinante histoire qui embrasse la mythologie d'une athlète hors normes pour, non pas vous livrer des réponses, mais épaissir encore davantage l'aura et la légende de Marie-José Pérec, "la gazelle des Antilles", " héroïne puissante, élégante et sexy ", triple championne olympique des années 90, reine du 400 m et titrée aussi sur 200 m. Rappelez-vous, Marie-Jo achève sa carrière sur un effacement, une disparition :" Je n'y étais pas. " Un geste digne d'un génie (j'y reviens plus bas). Je l'ai compris en lisant ce roman. Nous sommes en septembre 2000, aux J.O. de Sydney et l'athlète renonce au dernier moment à courir les séries du 400 m dont elle était la grande favorite fac

Les Dynamiteurs, Benjamin Whitmer (trad. par Jacques Mailhos, Gallmeister)

 Bienvenue à Denver, Colorado, à la fin du XIXe siècle, avec ses tripots, ses flics véreux, ses odeurs de crasse, de fumées, ses gangsters et ses misères, ses orphelins tous sales, ses rues poisseuses. Voilà, un tableau funèbre des laissés-pour-compte avec quelque part, dans la ville effervescente, son Usine, peuplée de gamins empêtrés dans la débrouille et la survie, sur lesquels veillent Sam et Cora, jeune duo de galériens qui se sont donnés pour mission de protéger les kids des "Crânes de Noeuds", tous ces adultes clodos et miséreux aux cerveaux embrouillés qui leur veulent du mal. Un beau jour débarque le troisième personnage fort du roman, Goodnight (un nom comme un programme) un géant barbare à la tête effrayante, au visage décapé par une explosion de dynamite. Vidé de tout affect, il va entraîner dans sa misère Sam et sa bande pour qui la survie est une lutte au quotidien. Les enfants contre les adultes, l'innocence au filtre de la corruption, la pureté et le crime

Un voisin trop discret, Iain Levison (trad. par Fanchita Gonzalez Battle, Liana Levi)

 L'Amérique fabrique ses héros de guerre en Irak, en Afghanistan et même au Vietnam à une époque. Bon, quand on gratte un peu le vernis, ces héros sont en fait des poivreaux, de piteux époux, des gays qui ne s'assument pas ou des repris de justice. L'Amérique de Iain Levison, c'est celle du petit épicier de quartier jovial mais hanté par ses faits de guerre, celle des médecins pas très compétents mais sympathiques, celle des immigrés qui tant bien que mal tentent de se faire une place au pays de l'Oncle Sam, de ses dollars et de son patriotisme spectaculaire. On croise ainsi un sniper de plus en plus bordeline au gré des missions, sa compagne Corina qui pense que c'est un gros con ou un sale type, Kyle Boggs l'ambitieux, à tel point qu'il se marie avec son amie de lycée pour préserver les apparences, ou encore le mystérieux Jim, un voisin trop discret, chauffeur Uber à ses heures perdues, insociable mais amoureux des liasses de billets verts. Et vous vou