Accéder au contenu principal

Articles

Affichage des articles du 2011

Les Lumières du Ciel réenchantent la Terre

Après de longues vacances, l'Espadon revient sur quelques romans de la rentrée littéraire.  On commence par le cinquième roman de l'écrivain français Olivier Maulin, auteur au style fougueux, vif et précis, dont la prose enchanteresse égale l'humour ravageur. Banal road-book proposant une excursion de pacotille en apparence, le livre nous emmène en réalité faire un petit Tour de France complètement dingue sur le mode ivresse et liberté communautaires, d'un parking de Saint Denis dans le "neuf-trois" à Maisons-Lafitte dans la banlieue chic parisienne, en passant par Jérusalem et la côte d'Azur. On y croise des "dude" paumés, chômeurs et pas ambitieux pour un sou : l'un est DJ dans une patinoire, l'autre vendeur de sapins halal ou revendeur de camelotte à 5000 euros à ses heures perdues, histoire de finir le mois. Ces couche-tard vont croiser un chirurgien thuné et lève-tôt mais bien naïf, et une femme au foyer sans enfant, qui a "l

Richard Powers : Générosité

Richard Powers : le bonheur est-il génétique? L'Espadon vient d'achever la lecture d'un grand roman, orchestré de main de maître par l'indispensable Richard Powers, une des grandes plumes de la littérature américaine. Le pitch de Générosité est simple : Thassa Amzwar, jeune Algérienne dont la famille a été massacrée au cours d'émeutes en Kabylie, vient à Chicago pour suivre des études. Malgré toutes les horreurs vécues, Thassa incarne à elle seule le bonheur de vivre, et ce, en tout lieu. Son professeur, Russel Stone, et Candace Weld, psychologue de l'université, tombent littéralement sous le charme. Puis les médias et la police vont s'en mêler, histoire de comprendre l'origine de ce bonheur insolent...Car son bonheur est contagieux mais aussi trop subversif pour être réel. Il y a là un mystère à élucider, une clé à trouver et un message à comprendre. Euphorique, sereine, joyeuse, jamais triste, Thassa est plus qu'un individu, c'est une ques

Match aller, ou l'enfer de la République; Julien Capron

Match aller est avant tout un roman français d'une grande ambition formelle, détournant tous les codes habituels du polar et du roman, pour livrer au final une épopée magistrale en forme de match de rugby âpre, qui exige du lecteur abnégation et patience. Difficile de ne pas sortir complètement sonné de ce roman, comme si le lecteur s'était pris un plaquage cathédrale pleine face par Chabal.  Dans une République imaginaire, 14 équipes de rugby se livrent une lutte sans merci : au sommet deux superpuissances, les semeurs de Garamène toujours vainqueurs mais jamais séduisants dans le jeu, le Lyon du rugby en fait, et la mythique Volmeneur, éternel poulidor du championnat. Problème : un corps carbonisé est retrouvé dans les vestiaires de l'équipe de Volmeneur. L'enquêteur Fénimore Garamande, fraîchement débarqué de sa province, est chargé de mener l'enquête. Intello cultivé souvent haut perché, fan de films, de théâtre et de littérature, Garamande est aussi paumé en a

Fête ou farce du siècle?

Niccolo Ammaniti: La Fête du siècle? Et voici le retour de l'auteur italien Niccolo Ammaniti, déjà remarqué pour son roman Comme Dieu le veut, chronique sociale sur des prolos un peu nazis alcoolo mais toujours attachants. Délaissant le monde ouvrier et sa misère, Ammaniti s'attaque dans La Fête du siècle à la upper-class bling-bling, ivre de soirées VIP clinquantes, n'hésitant pas à se vautrer dans  le luxe exubérant. On suit donc deux histoires en parallèle : celle, pathétique, d'un écrivain à succès en panne d'inspiration et celle d'un gourou de secte satanique (la secte, sur le point d'être dissoute, compte quatre personnes), prisonnier d'une femme, d'une famille et d'un travail qu'il n'a pas choisi, prolo la journée, chef un peu gauche le soir. Son problème : il n'a jamais su dire NON! A qui que ce soit, sauf à Satan, le seul à l'avoir compris! Et les destins de ces deux paumés vont se rejoindre au cœur de Rome l'é

Wonderful, mister Clowes!

Marshall, quinquagénaire un brin désabusé, attend son rendez-vous dans un diner. Mais la demoiselle se fait attendre. Entre désenchantement et espoir d’une renaissance, une romance de milieu de vie bouleversante, signée Daniel Clowes. L’histoire : Les cheveux sont comme les illusions, on les perd parfois en vieillissant. Marshall, quinqua grisonnant doté d’un physique banal, blasé et déprimé, est ce que l’on appelle un homme en milieu de vie. Célibataire divorcé esclave de ses obsessions, avec en prime un niveau de vie très modeste, Marshall vit une véritable crise dans son suburb ordinaire des Etats-Unis. Heureusement, deux de ses amis lui ont arrangé un rendez-vous galant avec Nathalie, une de leurs connaissances communes. Sonnant comme sa dernière chance, l’homme y voit là un coup de pouce de destin, une chance à saisir. Le jour J est donc arrivé et Marshall, à la fois impatient et impuissant, voit les minutes s’égrener : la demoiselle est en retard. Plus le temps passe, plus l’esp

Artères souterraines, Warren Ellis

Warren Ellis, célèbre scénariste de bande dessinée, a pris la décision de tâter de nouveaux terrains de jeu. Après la perle que fut Transmetroplitan , brûlot acide et jubilatoire d'une Amérique corrompue, Ellis s'attaque au  roman avec l'ambition de faire aussi bien. Presque une gageure! Au menu des festivités, un pitch simple d'abord : il s'agit pour le pâteux et lénifiant détective Mike de retrouver un document susceptible de modifier le destin des Etats-Unis, en l'occurrence la deuxième Constitution qui a été égarée. Le commanditaire : la Maison-Blanche, mission payée 500 000 euros net. Réveillé de sa torpeur mais poursuivi par la poisse, c'est le moment ou jamais de changer de vie à peu de frais. Mike accepte, et entame alors un road-trip à travers les States, rencontrant des marginaux en compagnie d'une marginale, sa future copine. N'hésitant pas à s'acoquiner avec le sordide et le comique, Ellis enchaine les scènes loufoques à

Stanley Elkin, Un sale type

Un sale type, vraiment? A l'issue de la lecture d' Un Sale Type , il faut bien le dire, quasi hypnotique, deux références majeurs de la littérature contemporaine viennent à l'esprit : Kafka et Beckett, maitres de la narration métaphysique empreinte d'absurdité. Imprégné de leur prose, Stanley Elkin y ajoute sa singularité en tentant de maximiser l'ambiguïté de son anti-héros : Feldman, patron enrichi de grand magasin, est manipulateur, égoïste et même parfois violent. Page 300 : "je crois dans la diversion, le stratagème, la manœuvre et la conspiration. Je crois dans l'espionnage, le coup d'Etat, l'assassinat, la révolte de palais et dans les révolutions à moindres frais". Voilà la nature même de la psyché feldmanienne. Et en même temps, ce serait trop réducteur. Car on perçoit néanmoins chez Feldman une humanité enfouie dans les limbes d'un passé volé. L'histoire est simple : Feldman vient d'être arrêté en raison d'un bug info

Imperial bedrooms: suite de luxe

Retour sur le devant de la scène d'un monument de la littérature américaine, Bret Easton Ellis. Souvenez-vous d' American Psycho, plongée cauchemardesque dans le quotidien d'un serial-killer, au cœur du New-York des yuppies: un grand coup littéraire, jubilatoire pour bon nombre de lecteurs. 20 ans plus tard, BEE délaisse  NY et la côte Est des "golden boy" pour rejoindre la côte Ouest des bimbos siliconées, avides de gloire malgré leur médiocrité et leur absence de talent. A noter que Suite impériale est en fait le roman qui suit Moins que zéro . L'histoire est simple: Clay, scénariste de talent habitant NY et plébiscité par Hollywood, revient à Los Angeles pour organiser le casting de son prochain film. Il y croise d'anciennes connaissances, notamment Blair, son ex-petite amie. Mais organiser un casting, c'est surtout le moyen pour Clay de s'offrir des filles à peu de frais en leur faisant miroiter la gloire. Il tombe donc sur Ray Turner, une act

Ashita no Joe, plus fort que Rocky et Drago réunis!

Dans les quartiers mal famés de Tokyo à la fin des années 60, l'histoire de Joe Yabuki, un jeune voyou en manque de repères, luttant pour sa survie. Un manga culte pour toute une génération de Japonais. L'histoire : Fin des années 60, dans les bas-fonds sordides de Tokyo. La population de Doya vit dans le dénuement et la crasse. Joe Yabuki, un jeune voyou agressif, débarque dans ce quartier peuplé d’enfants, de vieux, d’ouvriers et de travailleurs pauvres. Joe, irascible, se querelle et se bat avec un alcoolique connu sous le nom de Danpei Tange. Animé par la haine et une force démesurée, Joe l’emporte aisément. Fasciné par la puissance contenue dans les mains de ce jeune homme, Danpei lui propose alors de lui enseigner l’art de la boxe et d’en faire un champion international, non seulement pour arrondir ses fins de mois, mais aussi par simple amour de la boxe, cet art permettant de domestiquer la force brute. Car, pour Danpei, la puissance dépourvue de maîtrise n’est que du v

Rupestres et Mulot!

Rupestres et Mulot (publié sur planetebd.com) Partir à la découverte des dessins primitifs qui ornent les parois des grottes françaises, c’est la proposition alléchante et pleine de promesses de Rupestres . Une plongée fascinante au cœur des salles obscures, histoire de s’élever un peu. Rupestres n’est pas une bande dessinée « grottesque », ni même un simple « grotte book », c’est bien plus que cela. Un casting de choix d’abord (des grands noms) et un projet peu commun : raconter l’origine du monde par le dessin et les mots, tout en méditant sur le support qui permet de lui donner corps. Davantage une promenade dans les entrailles de la Terre qu’une banale exposition, le livre plonge dans un sous-sol plein de mystères et de trésors cachés, scrute les dessins primitifs du paléolithique, et en fait ressortir un questionnement fécond sur le sens et l’origine du monde. Si la première impression est celle d’un chaos graphique, la seconde, l’émerveillement, finit de nous convaincre :

Axolotl Roadkill

Welcome to the death club Retour sur un livre paru en 2009, et qui à l'époque a défrayé la chronique. En cause, les accusations de plagiat d'abord. Dans Axolotl Roadkill, Hélène Hegemann érige en principe esthétique l'intertextualité. Raison pour laquelle l'auteure a puisé sa matière dans un corpus d'œuvres littéraires, musicales ou cinématographiques (quelques pages à la fin du bouquin précisent les références). Au menu donc, des phrases reprises telles quelles, de blogueurs anonymes à Jim Jarmusch en passant  par Jean-Luc Godard ou Malcolm Lowry. H. Hegemann l'assume et même le revendique. Alors plagiat ou pas plagiat? Pas vraiment et on vous dira pourquoi. Deuxième raison du succès du bouquin, l'âge de l'écrivaine: 16 ans au moment d'achever l'écriture. Troisième raison: une logorrhée sans limite, sans concession et un propos tour à tour morbide ou halluciné, d'une puissance rare. Car Axolotl Roadkill parle d'une lycéenne qui sèche l

Culture is dead...not yet!

Romancier, essayiste, professeur à l'université, Pierre Jourde aime la culture et ce qu'elle permet : la liberté et le goût pour les choses inconnues. Son cri d'alarme sonne comme une tentative de sauver ce qui peut l'être : la culture et ce qu'il en reste, c'est-à-dire pas grand chose . Joyeusement offensif, ce livre est un recueil de chroniques d'abord publiées sur le web, rangées ensuite par thème dans le livre pour plus de lisibilité: les médias, l'éducation, l'université, la politique culturelle?!? et bien sûr les livres et les écrivains. Tout le monde en prend pour son grade, de l'école à la télévision en passant par les critiques eux-mêmes (suivisme, copinage, népotisme...). Le portrait est sombre, documenté, vif et lucide: la culture se dégrade et la tendance n'est pas au changement. Sont tout de même valorisés les journalistes intègres (ils sont certes rares pour Jourde), des écrivains confidentiels et de petites maisons d'éditio

Parker ou Dexter, même combat

Parker ou Dexter, même combat Malgré un passage par la table d’opération et un visage désormais transformé, Parker est traqué par le syndicat de New-York, l’Organisation. Passablement énervé, il va contre-attaquer froidement. Un sombre et virtuose polar, redoutable d’efficacité. Rares sont les adaptations à se hisser au niveau de l’œuvre originale. Pourtant, le Parker de Richard Stark version BD, fait bien mieux. Il sublime le roman en lui donnant souffle et profondeur, tout en lui conférant une énergie brute incroyable. Le graphisme de Darwyn Cooke façon cartoon pop des années 50-60, un brin suranné, y est pour beaucoup. Alternant plans pleines-pages et zooms sur les visages, récits dans le récit et ellipses éloquentes, la BD retranscrit avec une parfaite justesse l’ambiance sombre, feutrée et glauque, propre aux grands cercles mafieux. Des casses parfaitement huilés et organisés, des personnages à la limite de la caricature, avec de vraies gueules d’écorchés vifs, et un dess

Mickaël Jackson made in Jura

Mickaël Jackson made in Jura Non, vous avez voulu y croire, mais MJ est bel et bien mort, et il ne ressuscitera pas non plus sous la plume de Pierric Bailly, jeune auteur français jurassien, remarqué en 2008 pour son premier livre Polichinelle. L'auteur nous convie ici à la banalité de la vie de province, entre Montpellier la dynamique et le Jura endormi, chroniquant la vie  étudiante de jeunes ados aimant la drogue, le sexe et la tchatche et, il faut bien le dire, vaguement paumés aussi à cet âge ingrat de lfin de l'adolescence. Luc a donc quitté le Jura pour Montpellier afin d'entreprendre des études cinéma. Son rêve: devenir producteur. Son complexe: sa chouche à la Jakson Five. Il rencontrera pourtant Maud et en tombera follement amoureux. Avec en toile de fond cet éternel paradoxe : l'envie irrépressible de quitter l'enfance mais aussi l'angoisse d'entrer dans l'âge adulte, ce monde supposé des gens responsables. Malgré un style très classique dan

Matthieu Jung: principe de précaution

Bonjour à tous drogués de l'Internet, place aujourd'hui à un auteur dont le fabuleux roman est passé complètement inaperçu lors de sa sortie en février 2009. Et pourtant, vous aurez là entre les mains, une véritable pépite d'analyse sociétale sur la classe moyenne d'aujourd'hui, ses codes, ses valeurs, ses habitus et son parler : une sorte de ventre mou privé d'aspérité, constitué de gens comme il faut, veules, lâches, hypocrites, sans ambition, incultes, incapables de poser un regard éclairé sur ce qui les entoure et noyés dans la pensée unique. Dans notre société du paraître, où les dérives sécuritaires et totalitaires sont monnaie courante, Saint Matthieu Jung ausculte la manière dont les pouvoirs publics fabriquent le sentiment de peur pour mieux asservir les populations et servir leurs ambitions (politiciennes ou autres). Variations aussi sur le désenchantement, le capitalisme sauvage, l'échec de l'intégration, l'assistanat généralisé, Princi

Blaise, bête et méchant

Hello, bonjour à tous névrosés de l'Internet. Aujourd'hui, place à un auteur de BD à l'humour ravageur et jubilatoire. Il s'agit de Dimitri Planchon, parisien de naissance mais alsacien d'adoption, puisque l'homme à fait ses études à l'Ecole nationale des arts décoratifs de Strasbourg. Dans l'esprit Fluide Glacial , il publie son 1er album, Jésus et les copains . Puis suivront les deux excellents tomes de Blaise chez Glénat. Excellent pour plusieurs raisons: son humour cynique dézinguant la pensée unique pleine de bons sentiments, la finesse des dialogues soulignant la lâcheté et l'hypocrisie de nos contemporains (en particulier les bobos). C'est à la fois bête et méchant, jubilatoire et absurde En un recueil de saynètes condamnant la société consumériste et fustigeant la médiocrité de nos contemporains, Blaise constitue une satire grinçante des plus salutaires . Vous en rirez à gorge déployée. Blaise est cet ado benêt et moche, victime de son

Chris Ware, puriste et inventeur de BD

Connaissez-vous Chris Ware? Auteur américain de comics, un peu barré, ultra rigoureux, puriste et perfectionniste, il fut primé à Angoulême en 2003 pour son chef-d'œuvre Jimmy Corrigan. Le génie de Chris Ware réside dans sa faculté à croiser les genres, à renouveler les codes et finalement, à inventer son propre monde. Un monde fait de mélancolie lucide, de désenchantement pathologique, de solitude existentielle, d'aliénation et de cruauté. De ces histoires toujours simples en apparence (il est question d'un trentenaire complètement paumé et orphelin de son père, dans Jimmy Corrigan ), il se dégage une poésie clairvoyante d'une extrême sensibilité,  toujours fine et musicale. Sur le plan formel, Ware vise la perfection et l'épure: son impressionnante saga, l'Acme novelty library, est avant tout une expérimentation littéraire qui rend grâce à l'objet livre: formats différents à chaque volume, absence de pagination, édition unique (certaines de ses BD valent p

Top 10 BD 2010

Pour commencer l'année 2011, le top 10 des BD 2010 -  Lint , Chris Ware, 20ème volume de l'Acme novelty library: l'histoire ordinaire d'un homme seul et triste dans une Amérique aseptisée et désenchantée. Brillant, comme toujours. - Wilson , Daniel Clowes: Avec Chris Ware, le plus grand storyteller actuel. Wilson vit la crise de la quarantaine. Cynique, méchant, misanthrope, égoïste et néanmoins très attachant, il cumule défauts et qualités. Terriblement humain, implacable et touchant. Une vraie réflexion sur le monde et la solitude existentielle. Une œuvre désenchantée et poétique. - Quai d'Orsay, Blain, Lanzac. Engagé par le Quai d'Orsay pour s'occuper des "langages" de son ministre, Arthur Vlaminck découvre la frénésie des milieux diplomatiques. Blain au sommet dans un univers de technocrates. Ou l'énergie mise en image. Jubilatoire et étonnant. - Le rayon de la mort, Daniel Clowes: Misanthrope et solitaire, Andy nourrit à l'ég