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Articles

Affichage des articles du novembre, 2022

Black-Label, Léon Gontran Damas (Gallimard Poésie)

 Poète de la "négritude" aux côtés d'Aimé Césaire et de Léopold Sédar Senghor, Léon Gontran Damas dévoile une parole de combat, libre et parfois tendre aussi dans ce recueil de poèmes qui puise son énergie dans la succession des exils, "intérieur" et géographique", nous dit la notice de Sandrine Poujols. Des chants révoltés, une parole qui devient incantatoire au fil des vers, des idées, des coups portés "à sa qualité de nègre". Une poésie de lutte et de plaintes au goût de whisky, complaintes éthyliques mêlées de désespoir, ruisselant sur le zinc d'un bar, refrains déchirants d'une humanité perdue. Lui le Guyanais, frère africain qui embrasse la condition de déclassé en s'adressant à ses aînés, par leur voix démultipliées. Cri du coeur blessé, cri de l'intérieur, hymne des répudiés, Black-Label déverse ses gouttes de souffrance sur un monde parfois aveugle à la dignité de l'être. On aime beaucoup la fureur déployée ici, qui no

Restons bons amants, Virginie Carton (Viviane Hamy)

 Il est parfois des bouquins qui vous tombent dans les mains (mais ne vous tombent pas  des mains) sans savoir pourquoi. Ça nous arrive souvent en ce moment. Un roman acheté par le plus grand des hasards, sûrement une question de titre que j'ai trouvé très malin, et de libraire persuasive. Mais pas une question de couverture, oh non. Ni même son sujet qui avait tout pour me faire fuir. J'en étais resté à Flaubert et Proust dans ce domaine.  Restons bons amants , donc, signé Virginie Carton, évoque le plus vieux sujet du monde qui, encore et toujours, fait tourner les consciences en boucle. Soit l'amour, le désir, les sentiments, l'amour-passion, le triangle amoureux. Une histoire diablement simple, pour un roman vif et très court. On suit les pas d'Hélène, jeune femme de 23 ans, moderne, sûre de son désir mais pas toujours de sa direction. Une femme qui a deux hommes dans sa vie. Un mari qu'elle aime sincèrement, et un amant qu'elle désire sincèrement, un c

Et elles se mirent à courir (éditions du Volcan)

 Voici des vers qui m'ont donné envie de courir aux côtés de Julie Gaucher. Et pourtant dieu sait que je déteste ça, courir. Mes jambes, mes genoux, mes mollets n'aiment pas. À l'Espadon, vous le savez, on est plutôt vélo. Mais, rien de grave, puisque la poésie est là pour nous unir, nous réunir le temps d'un run, d'une nage, les fesses bien posées sur les gradins. Oui, trois parties pour ce recueil (Courir, Nager, Dans les gradins) dont les poèmes font la part belle aux femmes, aux femmes dans le sport. L'autrice, Julie Gaucher, universitaire et spécialiste de la place des femmes dans le sport, s'était déjà fendue d'une belle somme sur le sujet aux éditions du Volcan ( De la femme de sport à la sportive , une anthologie, 2019). Disons-le d'emblée, il est rare d'écrire sur le sport, encore plus des poèmes, et des poèmes qui parlent des femmes dans le sport. Elle-même sportive, Julie Gaucher fait d'un matériau intime une expérience universelle

Mécanique d'une dérive, Dominique Porté (L'Antilope)

 L'auteur, Dominique Porté, est âgé de dix ans lorsqu'il voit le film Kapò. Des films, des lectures, des visites et des rencontres vont ensuite faire naître en lui un besoin obsessionnel, "le désir intense de comprendre". Il écrit, page 162 : "(...) j'étais constamment envahi par une curiosité que plus tard quelqu'un qualifia en fait de rien moins que cynique : la curiosité du naturaliste qui se retrouve transplanté dans un environnement qui est effroyable mais nouveau, effroyablement nouveau." Au fil de ses recherches aiguisées par une curiosité toujours plus grande, une fascination émerge pour la figure de Chaïm Rumkowski, désigné en octobre 1939 chef du ghetto de Lodz par les nazis. Il doit y organiser la vie, mettre en place une administration pour répondre aux besoins élémentaires. Une figure du mal se dessine, avec ses banales contradictions. Faire le jeu de l'ennemi tout en protégeant les siens. Hanté par les faits, les personnages, les po

Attaquer la terre et le soleil, Mathieu Belezi (Le Tripode)

 Pour justifier la colonisation, les puissances européennes ont invoqué la "mission civilisatrice". Il fallait élever, éduquer les ignorants, arpenter et s'approprier les terres riches et convertir les dominés. 1830, la France se lance dans la conquête de l'Algérie. C'est ce moment que choisit d'explorer Mathieu Belezi dans Attaquer La Terre et le soleil , à partir du point de vue des victimes, des bourreaux et nous, lecteurs, spectateurs du désastre à l'oeuvre, barbarie sans nom. On y suit le quotidien des colons, la mort, les maladies, la chaleur étouffante, les razzias, les massacres. In fine , l'infinie violence de la conquête couplée à sa vanité, son absurdité, sa brutalité. C'est une histoire de la folie des hommes, d'un défaut d'humanité. Par la force, militaires et prêtres vont croire apporter par-delà la Méditerranée civilisation et progrès. Peu de points, une ponctuation réduite à la portion congrue, des bribes de dialogues et une

Démo d'esprit, La Dactylo (Verticales)

Une Démo d'esprit, des mots et tu ris, comme une tuerie à l'écrit. Merci aux éditions Verticales de penser à ceux qui ne fréquentent pas les réseaux sociaux. L'aphorisme a de beaux jours devant lui sur les réseaux, mais il est tant consommé, à la chaîne, qu'il finit par accumulation à en perdre sa saveur. Comme noyé, invisibilisé. Il a besoin de temps, et nous avec, pour produire son effet. Aussi bref qu'il soit, l'aphorisme mérite que nous, lecteurs, nous nous pausions un instant, avec un livre, pour l'écouter et l'apprécier à sa juste valeur. En retrouver la fraîcheur. J'avais croisé ici ou là ces aphorismes posés, au pochoir, sur les murs de nos villes chéries. Du street art, de la poésie, des punchline, des mots d'esprit et de l'intelligence dans ces jeux de lettres savoureux, regroupés dans un petit recueil tout mignon où se côtoient photos, aphorismes autres prismes, et poèmes-miroirs. Vous les avez sûrement croisés, vous aussi, au te

Fantaisies Guérillères, Guillaume Lebrun (Christian Bourgois)

 Let me tell you, this novel is not a bullshiterie, mais alors pas du tout. C'est même un fucking bon roman ! Avec des English, des grenouilles, des Bourguignons et la meilleure d'entre nous, Jehanne notre sauveuse, notre guérillère aux visions spectrales qui n'entrave pas grand-chose aux bibleries. Jeanne qui sculpte elle-même son mythe. Comprenez bien, cher Guillaume Lebrun, j'ai la comprenette difficile. Alors au début, t'entraves pas tout, le temps d'installer ta teste dans la lecture. C'est Yo qui parle, et qui nous parle, d'un élevage de Jehanne pour bouter vous savez qui, et sauver et le royaume et le roy de France. Plus tard, c'est Jehanne. Jehanne qui, parmi une dizaine de Jehanne de la Knight Academy, a été reconnue entre toutes pour bielle et grande mission. Et Jehanne, "bien au-dessus du lot genré", en a dans le heaume, "Hardie à la lutte", "Dévorante à mains nues", "Druidesse parmi les Druidesses".