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Affichage des articles associés au libellé désenchantement

Mon année de repos et de détente, Ottessa Moshfegh (Fayard)

     C'est formidable, j'ai appris plein de mots avec Ottessa Moshfegh, au cours de cette année passée à New York : Vicodin, Mylanta, Nembutal, Solfoton, Dulcolax, Dexatrim, Ambien, remeltéon, trazodone, quiétapine, Lunesta. Et la star des star, l'Infermitérol ! Une valise pleine de cachetons à faire rougir le plus dopé des dopés. Que voulez-vous, on est parfois ignorants des choses de la vie.       Avec une prose trempée dans l'acide, l'auteure nous embarque dans la routine de son héroïne, une jeune femme squelettique qui a décidé "d'hiberner" un an. Fraîchement diplômée de Columbia, belle et riche, tout juste renvoyée d'une galerie d'art, elle décide à partir de juin 2000 de dormir quinze heures par jour. Pas d'insomnies, juste un profond sommeil pour tromper le vide existentiel, la médiocrité d'artistes souvent poseurs et échapper aux amis qui vous veulent du bien. Une douce torpeur...   Il faut avoir le coeur bien ac...

La Nuit ne dure pas, Jules Gassot (Rivages) ★☆☆☆☆

       Quadra divorcé, Paul Broca se lamente, prend le car en direction de Méribel avec d'impolis Hollandais, se moque de ses contemporains, dîne avec sa belle-famille. Se lamente, prend place sur un télésiège débrayable à six places, ne voit que des nuages troubles, des amas laiteux. Il regarde les autres manger du pop-corn à la spiruline et ne croit plus en rien.      Bienvenue dans l'enfer du quotidien. Chaque phrase écrite ici résonne des textes de Cioran. La Nuit ne dure pas en est donc le titre. Mais Sur les cimes du désespoir aurait convenu aussi. Chamfort et ses maximes ne sont pas loin non plus. Voilà pour les références. Mais ce livre est agaçant et vite oublié. En gros, faut-il croire à cette litanie dépressive, bien trop noire ou floue pour être réelle ? Je bois pour immerger les trous noirs. Je bois pour m'oublier. Je bois pour rendre le monde flou. Les prostituées et les contractuelles ne font qu'un dans un mo...

C'est un beau jour pour ne pas mourir, Thomas Vinau (Le Castor Astral) ★★★☆☆

 Un bout de pain, la cacophonie du vide, des claques et des nuits en train de rire. De l'autre côté, mon pays ou une pomme, l'arme légère se recueillir parmi les monstres hirsutes. Promis, je ne chercherai rien. Juste la lecture et la poésie. Pas de traduction nécessaire, juste s'alléger, d'une manière ou d'une autre. Comme chaque matin au moment d'avaler son café, comme un addict incapable de décrocher de Facebook, lire son petit poème signé Thomas Vinau . C'est le programme en 365 actes de ce recueil. Et C'est un beau jour pour ne pas mourir.  Lire de la poésie, pour nous, c'est avant tout se faire bercer par la musicalité des mots assemblés. Et non pas se bercer d'illusions. C'est donc une façon de croire en quelque chose, au-delà des tristes apparences. La poésie, c'est de plus en plus rare et pourtant ça fait du bien. Commencer sa journée par un poème, c'est le gage d'une journée réussie ou du moins, de partir du ...

Guide L'Espadon : les livres du moment

   Passées les limites sur ce type de bilan, on aime vous conseiller quelques bouquins et vous renvoyer vers des articles pertinents. Après un premier "carnet de lectures" optimiste, on le répète, les sorties de ce début d'année sont d'un très bon niveau : par leur exigence formelle, leur sujet, leur ambition, leur ton. Voici notre sélection des titres à ne pas manquer en ce moment. Cliquez sur les liens des livres pour lire les critiques.    Du côté de l'écriture, une littérature ambitieuse et "coup de poing" . Le rageur La Dévoration des fées signée Catherine Lalonde, poème fiévreux écrit avec les viscères, une invention langagière de toute beauté qui laisse sans voix. Toute bonne littérature devrait ressembler à ça. A l'image du spectral Des voix de Manuel Candré, une histoire de fantôme mort mais vivant, possédé par les voix. Là encore une écriture du rêve à vous bercer pour des jours entiers. Il y est question de spectralisme et de ...

Le Chien de Madame Halberstadt, Stéphane Carlier (Le Tripode) ★★★★☆

   D'habitude les chiens, très peu pour nous. Vous savez les odeurs de chien mouillé, les sorties à heure fixe, les aboiements insupportables. Ajoutez à cela une couverture affreuse comme un carlin, un titre vieillot et un pitch digne d'un téléfilm peu inspiré, rien ne prédisposait à aller vers ce bouquin. Mais voilà, Le Tripode est un éditeur de confiance. L'association chien-Le Tripode, il faut l'avouer, nous a tout de suite intrigués. Ça sonnait un peu faux. Et puis les chiens, dans un livre, ça passe mieux, ils n'existent pas vraiment. Alors on s'est lancé. Lecture finie, quand Stéphane Carlin (euh Carlier, pardon !) s'y colle, le résultat donne une belle surprise. Et une couverture soignée, qu'on a fini par adorer . Qu'il est bon de se tromper parfois. Explications.    Les meilleurs livres sont sans doute ceux dont on n'attend rien ou pas grand-chose. C'était le cas avec " Le Chien de Madame Haberstadt ", d'autant...

Willnot, James Sallis (Rivages/Noir) ★★★☆☆

Découverte d'une fosse commune, des cadavres non identifiables, des ados en quête de re-création, des coups de feu, un afflux d'étrangers... Quel est le sujet de Willnot ? Passées les 30 premières pages, on s'interroge sur ce pitch qui n'avance pas : des corps décomposés sont retrouvés dans une carrière en marge de la ville de Willnot. Une communauté choquée, des questions en suspens, l'agitation qui s'empare de la ville. Il y a bien un shérif, Hobbes, mais l'enquête n'avance pas. Ou si, peut-être. Mais nous, lecteurs, n'en saurons pas grand-chose. Car l'intérêt semble ailleurs au fil des états d'âme des nombreux personnages. En premier lieu, Lamar, médecin de son état, qui croise tout ce que la ville compte de paumés, de malades ou vieux en sursis. Le polar supposé disparaît très vite derrière la chronique douce-amère d'une petite ville, avec son lot de désœuvrement. Le polar n'est plus que le prétexte d'un roman existentiel ...

Le Cimetière des plaisirs, Jérôme Leroy (rééd. La Table Ronde) ★★★☆☆

  Dans "Le Cimetière des plaisirs", Jérôme Leroy écrit peu mais bien. On le savait déjà à la lecture du récent et excellent " La Petite Gauloise ", roman noir et chronique sociale d'un effondrement programmé. Des formes courtes—aphorismes, maximes, notes, fragments— pour installer une distance avec cette jeunesse désenchantée, ce "clair-obscur intime". Dans la préface, l'auteur rouennais espère que le lecteur trouvera dans son livre " un témoignage d'époque sur une certaine qualité de tristesse et de silence". Car "Le Cimetière des plaisirs" évoque le regard sans fard d'un jeune prof de collège de ZEP dans la banlieue lilloise, celui de Brancion. Qui prophétisait déjà l'effondrement (écrit en 1992, livre paru en 1994) : " Sans Perros, La Rochefoucauld, de Roux et les autres, le collège Brancion eut été ce cauchemar à l'avant-garde de tous les effondrements à venir ".  La littérature comme garde...

Faux départ, Marion Messina (Le Dilettante, 2017) ★★★★★

  Oubliez les bons sentiments et entrez dans le réel. C'est la proposition de Faux départ , signé Marion Messina. Une vraie claque littéraire en 2017, de nature à faire déprimer les dépressifs. C'est l'histoire d'Aurélie Lejeune, une fille qui croit dur comme fer qu'elle va trouver sa voie, grimper l'échelle sociale, elle la petite provinciale vivant dans sa banlieue grenobloise. L'école et la vie en général lui ont fait miroiter des trucs dépassés : la culture pour tous avec un grand C, une romance exotique avec Alejandro, un boulot confortable. Elle enchaînera plutôt les jobs précaires — hôtesse volante à La Défense, femme de ménage —, se lèvera à 5h du mat' et monnayera une cage à lapin en plein Paris contre un peu d'attention. Le réel dans toute sa brutalité, sa violence sourde, sa musique indolore. L'écriture est clinique, glaçante car posée, absolument détachée de tout pathos, avec en fond cette petite ironie à froid. Pas d'effet,...

Peine perdue : un accident pour renaître ? Kent (Le Dilettante) ★★★★☆

    Deuxième roman de la rentrée chroniqué sur L'Espadon : "Peine perdue", signé Kent, ancien chanteur de Starshooter. Un livre doux-amer sur les renoncements entretenus par un musicien, qui fait le point sur sa vie après le décès de sa femme dans un accident de voiture. D'une touchante lucidité.       Sans préavis, Karen (ou K-Reine dans le monde du street art, «  princesse déclarée des façades  ») meurt dans un banal accident de voiture. Quand il l’apprend, Vincent, son mari, ne dit rien. Sans voix, sec, comme anesthésié par la nouvelle. «  Il marche dans une couche de ouate  », et poursuit sa vie, presque indifférent au tragique de la situation. C’est que Vincent n’éprouve rien, semble-t-il. «  Aucun effondrement, juste une mélancolie brumeuse qui, à la manière d’un doux clapot, lui léchait les rives de l’âme  ». Et, puisqu’il faut bien vivre, Vincent, musicien-mercenaire, part en tournée avec la star du...