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Articles

Affichage des articles du février, 2020

Le Mauvais génie (une vie de Matti Nykänen), d'Alain Freudiger, (La Baconnière)

   Un vol terrestre pour foutre toute une vie en l'air. Matti Nykänen, légendaire sauteur à skis finlandais, voulait s'envoler dans les étoiles, il a fini par se volatiliser. L'alcool, les femmes, le sexe, les titres et les médailles. Que vous reste-t-il sur terre après avoir passé une vie en l'air ? Après l'ivresse consumée, la retraite sans saveur. Mais il faut maintenir un train de vie à chanter une affreuse variété qui fait honte à toute une profession et vendre des disques sur le seul nom de Matti, mythe déchu d'un tremplin qui a fait plouf. Entre strip-tease et gardes à vue, l'idole est devenue une mascotte, un criminel, est devenue l'idiot national.     Ce court livre d'Alain Freudiger, s'appuyant sur des archives, des connaissances personnelles et une vision intime du personnage décédé en février 2019, alterne dialogues imaginaires, tranches de vie, descriptions de technique et de concours pour tenter de cerner le malin génie q

Je suis l'hiver, Ricardo Romero (Asphalte)

    Dans notre chère France réchauffée, il faut aller du côté de l'Amérique latine pour trouver un peu de neige et de froid. Dans la pampa argentine, ce mot quechua désignant une plaine découverte. Pour un cycliste, "être dans la pampa" signifie être en galère, au bord de l'abandon, paumé au milieu d'une vaste plaine déserte, herbeuse et sans abri, plus grande que la France ! Tout juste un arbre égaré ici ou là. Dans Fictions, le grand J.L. Borgès la décrit : "Ni villages, ni autres traces humaines ne troublaient la terre originelle. Tout était vaste, et pourtant intime, secret. Dans la campagne immense, il n'était parfois rien qu'un taureau. La solitude était parfaite, peut-être hostile". Décor posé pour  Je suis l'hiver,  une histoire de fantômes — normal, tout est blanc de chez blanc—, avec cette question en sursis : comment chasser ses fantômes ? Ou plutôt comment vivre avec ?    J'aime ces romans noirs tout blancs, où il est moi

L'homme heureux, détruire internet, Joachim Séné (publie.net)

     Roman de la mémoire absolue. Tendance totalitaire. Roman des réseaux 3.0, c'est à se demander si l'on veut réellement laisser une trace, notre trace dans l'immensité d'une virtualité. Ça ressemble à quoi ? Un gros bordel de data rythmé par la saccade et la rupture, des jeux d'échos et de résonances : infos saturées, hackées, riffs d'octets, cavalcade de données. La vie éternelle est une condamnation. Alors autant en révéler les cahots.       Réenchanter le numérique ou le massacrer ? Poétiser nos IP ? Socialiser les réseaux ou les détruire ? Flux d'infos, flux de conscience 4.0, voix-off inquisitrice qui s'insinue dans la mémoire virtuelle d'un cantique contemporain. Flot froid et abstrait, flot fasciné et fascinant, effrayant d'incohérence et de sens. La surveillance se cache dans l'apparent chaos de pensées et données mêlées. Un fossoyeur de libertés qu'on réinvente par son écriture disruptive, c'est le livre de notre r

Substance, Claro (Actes Sud)

   Benoit, le jeune narrateur de Substance , appartient à l’inhabituelle catégorie des « Orphelins Spontanés » . Il est de ceux qui n’ont jamais eu, ni n’auront jamais de père ou de mère, ainsi que lui a révélé «  la Tante  », sa singulière tutrice. Elle l’élève dans un pavillon de Bar-sur-Aube qui, au-delà de ses allures benoîtement provinciales, se dessine peu à peu comme un étrange endroit. Certaines pièces demeurent obstinément interdites à Benoit : la chambre de la Tante toujours fermée à double tour, la cave emplie d’obscurité. Nourrissant son pupille de plats bizarres, tel ce « curry maléfique » préparé dans une « cocotte en fonte rouge sang » , la Tante paraît être l’adepte d’une cuisine aux relents sorciers. Une aura magique nimbe encore ses trois fidèles amies, nanties de noms évoquant anagrammatiquement des figures mythologiques. C’est avec elles que la Tante  pratique tous les mercredis soir une manière morderne de culte consistant à regarder « House of Horror » . Une émi

Pourquoi les hommes fuient ? Erwan Larher (Quidam)

    Je l'ignore. Pourquoi les hommes fuient-ils ? Je n'en sais rien. Ils sont lâches, c'est un truc de mec ça. Mais je découvre l'écriture d'Erwan Lahrer grâce à Quidam et, ma foi, si je devais écrire un roman (ahah), je crois bien que lui emprunterais son énergie, son tempo énervé, sa façon de fuir et d'embrasser le réel par ses mots saccadés, fluides, impossibles à figer. Ce livre est un riff saturé de fuites et de dédoublements à travers la voix de Jane, tragiquement actuelle. Le livre cherche-t-il à comprendre notre époque, à en révéler creux et médiocrités routinières ? Peut-être et il laisse alors la pluralité des voix s'exprimer. Comme tous ces instruments parfois dissonants mais rageurs, ces hommes et femmes jeunes mais déjà démodés, à la com' décatie.   Erwan Lahrer aime les défis : à se frotter par la langue à la confusion d'une époque, à ses compromissions et autres lâchetés, il prend le risque du vide de la pensée. Mais la lit

Le Ghetto intérieur, Santiago H. Amigorena (P.O.L)

   Pas une grande émotion à lire ce Ghetto intérieur , qui n'est pas un livre sur la Shoah mais plutôt sur la culpabilité, l'identité, sa façon de se construire dans les silences et l'éloignement. Pas de grande émotion mais un intérêt certain, tout cérébral. Un livre catharsis où le besoin d'exil se transforme en silence coupable ou culpabilité silencieuse. Un mutisme de l'écart géographique, de la distance où l'écriture prend le relais des mots parlés. Mais comment parler de l'impensable ? Parler de ce qui n'existe pas, de ce qu'il est impossible de concevoir ? Il faudrait une imagination plus forte que l'imagination pour avoir l'idée d'envoyer des hommes, des femmes et des enfants dans des chambres à gaz. Mais l'exil est un arrachement, une douleur, être comme orphelin des siens. La culpabilité d'avoir échappé au grand massacre vous assaille parce qu'il est impossible de comprendre pourquoi eux et pas moi. Pourquoi ma mère

À mains nues, Amandine Dhée (La Contre-Allée)

   Quand je lis ce texte d'Amandine Dhée, dont je découvre l'écriture, je pense à Jigoro Kano, l'inventeur du judo qui a d'abord étudié le ju-jitsu, ce combat à mains nues des anciens guerriers japonais, les samouraïs. Il est bien question d'une lutte verbale sans haine, d'apprendre à se défendre pour être soi et à soi, inventer son chez-soi. Mais comment se défendre quand on est désarmées, sur le champ de bataille ? À mains nues, des mots plein les poings. Un crochet, un direct, bam, uppercut et un autre crochet, séries de coups balancés avec la précision d'un sniper, rounds courts et respiration coupée, saccadée, apnée. Pour dire quoi ? Ce que c'est d'être une femme aujourd'hui en proie à un désir "scolaire", défini par une série d'injonctions et de pressions, contradictions infinies d'envies et de désirs interdits, prescrits. Pas facile de se défaire des déterminants moraux, sociaux, affectifs, culturels. Il faudrait tout o