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Articles

Affichage des articles du juin, 2020

Blandine Volochot, Lucien Raphmaj (Abrüpt)

Ce que je demande à la littérature en général et à un auteur en particulier, c'est de m'ouvrir des mondes, de créer des brèches pour s'engouffrer, d'interroger la vanité de mon horizon d'attente. Ce livre fait plus : il réinvente mes conditions de lecture en partant de l'effacement du sujet.  Je veux moins lire un livre que découvrir un univers, qu'embrasser une mythologie singulière. Être surpris. Eh bien, avec l'éditeur suisse Abrüpt, on est rarement déçu. En digne représentant, Lucien Raphmaj produit un texte étonnant, tout à la fois essai et roman et rien de cela en même temps, à la croisée des chemins, quelque part entre Antoine Volodine et Maurice Blanchot, donc. Un livre qui fraye du côté des Échappées de Lucie Taïeb et même de Speedboat de Fabien Clouette et Quentin Leclerc . Ambiance post-exotique et révolution murmurée par les ondes de Radio Levania.  Je pourrais m'amuser à identifier toutes les références et voir comment Lucien Rap

La neige sous la neige, Arno Saar (La fosse aux ours)

Pur et simple plaisir de polar baltique, qui a pris rendez-vous avec la neige de Tallinn, cristalline ou poudreuse. Un canapé au milieu de la rue, des couches de flocons par une nuit lugubre, une forme qui se dessine. Sous le manteau blanc, le corps d'une escort-girl biélorusse. C'est un vieux monsieur accompagné de son chien qui découvre le cadavre. Ni une ni deux, le meilleur flic d'Estonie, Marko Kurismaa, débarque sur la scène du crime pour faire toute la lumière.  Cette seconde enquête, après un sympathique Le   Train pour Tallinn ,  nous embarque aux côtés d'un attachant et original couple de policiers, Marko Kurismaa, rongé par les épisodes de narcolepsie, et Kristina, sa compagne clandestine, spécialiste des violences faites aux femmes. Une percée dans les bas-fonds de Tallinn, où la neige se joue des apparences sordides d'un pays en transition. Ce deuxième livre est encore plus réussi, avec son enquêteur récurrent, Marko, qui prend de l'épais

Des Oloés, Anne Savelli (Publie.net)

Pour qui aime lire et écrire, Des Oloés d'Anne Savelli est une matière féconde. Recueil de textes qui décrivent des espaces élastiques où lire où écrire. Une bibliothèque, une chaise, une baignoire, un train, un divan de musée, un sous-sol, un arbre, une butte, un abribus, une balançoire, litanie de lieux encore à inventer. Car l'oloé est peut-être fixe mais déclenche le mouvement : de la pensée, des mots, d'un acte. Le lieu, soumis au chaos ou à l'harmonie, voué au silence ou brouillé par les bruits, fait naître une matière. Inspire pour mieux expirer. Un espace, un meuble, un objet détourné, tout est oloé pourvu qu'il féconde un truc. Des endroits faits pour ça ou pas. C'est à notre imagination de les créer, pour se les approprier. Moins un inventaire qu'une façon de s'inscrire dans l'acte, de s'y perdre, de s'y abandonner et il faut alors voir ces oloés comme des lieux où l'on expérimente. Comme des pauses pratiques destin

Il est des hommes qui se perdront toujours, Rebecca Lighieri (P.O.L)

 Bon, à force d'entendre les louanges d'experts avisés, je me suis lancé dans la lecture du nouveau roman de Rebecca Lighieri (alias (?) Emmanuelle Bayamack-Tam), Il est des hommes qui se perdront toujours . Et bien m'en a pris, car ce livre est d'une belle et envoûtante noirceur. Récit d'une enfance volée et perdue dans les quartiers nord de Marseille, on y suit les premiers pas de Karel, Mohand et Hendricka dans un enfer familial régi par une horreur de père. Autoritaire, violent, aimant autant les humiliations que les coups, ce Karl Claeys dilapide sa tune dans la drogue et l'alcool quand il n'agresse pas ses enfants. Entre la cité Artaud et le passage 50 des Gitans se dessinent des vies en lambeaux où l'on apprend à se taire et à se figer dans la crainte de la parole de trop, du geste maladroit qui pourrait déclencher les foudres d'un père imprévisible et violent. Ultra-violent même, et fou. Dans l'ombre, une mère faible dont on ne sait, au

Blague, Yànnis Palavos (Quidam)

Vous le savez, on aime le genre de la nouvelle sur L'Espadon. Les Vies conjugales de Bernard Quiriny, avec ses dérapages fantastiques et son ton joueur, nous avait convaincus. On quitte cette fois-ci le giron francophone pour se tourner vers l'Olympe avec ce recueil grinçant et tranchant, intitulé Blague et signé de l'auteur grec Yànnis Palavos, où les morts ne sont pas rares, où le comique le dispute à l'absurde, dans un va-et-vient incessant entre un goût pour le merveilleux, la tendresse et l'ironie existentielle. Car, oui, la vie est une farceuse et il fallait bien ces dix-sept tranches de vie pour en donner à voir tout le burlesque. La vie ressemble parfois à une immense blague, un grand Absurde, comme un dialogue avec l'erreur, en quête de l'harmonie perdue. Ce n'est pas la moindre des qualités de ce livre que de faire du basculement, de l'inattendu, du décalage un moteur narratif. L'auteur trouve un bel équilibre entre la nécess

Au canal, Marie-Laure Hurault, images de Frédéric Khodja (publie.net)

Livre baigné d'irréalité, de visions et d'apparitions. Une barque et un corps disparaissent. Glissent et se dissipent dans un souvenir. Ceux qui s'en approchent sont engloutis, ont l'épaisseur fumeuse des fantômes, telles ces volutes de brume qui enroulent nos regards. Le canal se pare d'un voile de songes et de mystères qui démultiplie sa réalité. Mais qu'est-ce qu'un canal au juste ? Un artefact, un aménagement, l'anti-nature par excellence qui se prend pour un fleuve. Une voie d'eau artificielle qui peut servir au drainage et à l'irrigation, au transport, à l'invention de récits qui sont autant de pièces d'un puzzle sans fin.  Dans ce livre tout en reflets de réel, le canal semble jouer le rôle de miroir, interface entre les vivants et les morts, lieu intermédiaire pour les perdus, comme le symbole d'un passage sur terre. Ceux qui en parlent le plus sont ceux qui croient les racontars, ceux qui préfèrent rester à distan

Jours de manif à L.A., Suf Marenda (Éditions Vanloo)

On ne sait pas au juste d'où vient cette humble pavasse, de Palavas ou d'Arenberg. Des Deux-Sèvres ? Mais on sait où elle atterrit, sur le paye-vment de  Hell-lay . Et quand t'arrives avec des résonances-références de Bruce B., de Baudrillard et de Mike Davis ( Au-delà de Blade Runner, l'imagination du désastre ), tu t'attends à du bon. Au moins, t'es en terrain connu, pas en terre inconnue. Quoique, si, avec suf marenda, t'exploses le bitume des sons, dans un grand fracas maverick littéraire.  Fantôme de béton, irréalité tenace, la cité des anges est un bunker que suf marenda s'attache à détruire dans un va-et-vient constant entre la dissolution du langage et ses possibilités infinies, détruire pour reconstruire. Péroxyder pour composer, tout saccager pour édifier. Un texte gonzo qui, à sa façon, tente de repoétiser les parking lot au monoxyde de baroque. Là-bas, tu peux pas manifester, y a pas d'espaces publics. Alors tu le fais avec un livre.

Les Lumières de Tel-Aviv, Alexandra Schwartzbrod (Rivages/Noir)

Des robots en Terre Sainte, au pied du Mur qui sépare désormais le Grand Israël, dirigé par les ultra-religieux, et les Résistants regroupés à Tel-Aviv, territoire en sécession peuplé de laïcs juifs et d'arabes, pour qui le destin d'un pays a été dévoyé. Alexandra Schwartzbrod imagine un futur proche où Israël, état coupé en deux, n'intéresse plus que vaguement les Russes, nouveau parrain qui a remplacé l'Oncle Sam. Les Russes ont d'ailleurs envoyé des robots tueurs pour  surveiller la frontière et dézinguer toute personne qui tenterait de la franchir. Étonnant roman d'anticipation, au contexte original — un côté guerre froide, Berlin-Est/Berlin-Ouest en Terre Sainte — qui mélange la fresque d'un pays morcelé, orphelin d'un projet et d'une identité, les dérives de ses dirigeants en proie à la parano et à la radicalisation, et le destin "d'amoureux", de conseillers politiques, de ministres, de Palestiniens et d'un commissaire tira