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Articles

Affichage des articles du mars, 2019

Le Cimetière des plaisirs, Jérôme Leroy (rééd. La Table Ronde) ★★★☆☆

  Dans "Le Cimetière des plaisirs", Jérôme Leroy écrit peu mais bien. On le savait déjà à la lecture du récent et excellent " La Petite Gauloise ", roman noir et chronique sociale d'un effondrement programmé. Des formes courtes—aphorismes, maximes, notes, fragments— pour installer une distance avec cette jeunesse désenchantée, ce "clair-obscur intime". Dans la préface, l'auteur rouennais espère que le lecteur trouvera dans son livre " un témoignage d'époque sur une certaine qualité de tristesse et de silence". Car "Le Cimetière des plaisirs" évoque le regard sans fard d'un jeune prof de collège de ZEP dans la banlieue lilloise, celui de Brancion. Qui prophétisait déjà l'effondrement (écrit en 1992, livre paru en 1994) : " Sans Perros, La Rochefoucauld, de Roux et les autres, le collège Brancion eut été ce cauchemar à l'avant-garde de tous les effondrements à venir ".  La littérature comme garde

Speedboat, Fabien Clouette et Quentin Leclerc (éditions de l'Ogre)

- "On veut que François Busnel lise sur son prompteur les 22 premières pages du Necronomicon." - On veut voir Bret Easton Ellis faire une lecture d'American Psycho à voix haute et sans pause, sur le toit de l'Empire State Building un 23 août 1992 en pleine canicule. Jusqu'au 23 août 1993. - On veut l'éternité et la récompense de l'Ordre du Mérite pour Fiodor Dostoïevski, l'Idiot. - On veut des blogs, des journalistes et des blogueurs qui cessent de (mal) commenter les livres qu'ils reçoivent gracieusement. - "On veut une oralité imprononçable." - On veut que tous les lycéens et collégiens de France sachent prononcer le nom et prénom de l'auteur de "Guerre et guerre" et "Au nord par une montagne, au sud par un lac, à l'ouest par des chemins, à l'est par un cours d'eau". - "On veut des jantes alu". - On veut pouvoir acheter " Dans la forêt du hameau de Hardt &qu

Sur fond d'émeutes, Harmony Korine (Inculte éditions) ★★★☆☆

  Sur fond d'émeutes est-il un livre que l'on peut commenter sans en trahir l'esprit ? On en doute (mais on va le faire un peu, mal sans doute) tant il échappe au regard académique, offrant l'expérience d'un chaos immersif à l'écriture éruptive. Maelström fragmenté et collage faussement informe d'une violence noire, Sur fond d'émeutes est le seul livre à ce jour du scénariste de Kids (Larry Clarke), Harmony Korine (paru en 2001). Et on le comprend. Qu'écrire après un tel ovni pop et organique ?    Les célébrités — Tupac Shakur, Clint Eastwood, David Bowie... — côtoient les rednecks de l'Amérique profonde — l'entraîneur de basket, Tim, Sally —, des héros barrés perdus dans un torrent de décomposition. On passe du coq à l'âne dans ce patchwork : de conversations en listes, de réflexions en plaisanteries, en passant par des dialogues abscons, anecdotes et souvenirs... En fond de programme, une musique confuse rythmée par les faits

Faux départ, Marion Messina (Le Dilettante, 2017) ★★★★★

  Oubliez les bons sentiments et entrez dans le réel. C'est la proposition de Faux départ , signé Marion Messina. Une vraie claque littéraire en 2017, de nature à faire déprimer les dépressifs. C'est l'histoire d'Aurélie Lejeune, une fille qui croit dur comme fer qu'elle va trouver sa voie, grimper l'échelle sociale, elle la petite provinciale vivant dans sa banlieue grenobloise. L'école et la vie en général lui ont fait miroiter des trucs dépassés : la culture pour tous avec un grand C, une romance exotique avec Alejandro, un boulot confortable. Elle enchaînera plutôt les jobs précaires — hôtesse volante à La Défense, femme de ménage —, se lèvera à 5h du mat' et monnayera une cage à lapin en plein Paris contre un peu d'attention. Le réel dans toute sa brutalité, sa violence sourde, sa musique indolore. L'écriture est clinique, glaçante car posée, absolument détachée de tout pathos, avec en fond cette petite ironie à froid. Pas d'effet,

Clair-obscur, Don Carpenter (Cambourakis) ★★★☆☆

   C'est l'histoire d'Irwin Semple, autrefois ado disgracieux et difforme, bouc-émissaire du charismatique Harold Hunt et de sa bande au lycée, qui a passé 18 ans de sa vie en hôpital psychiatrique. A 35 ans, il tente de se réinsérer, de trouver du boulot et de se faire des amis. Qu'a-t-il bien pu se passer entretemps ?     Ados, Hunt, Rattner et les autres traînaient dans les cafés du coin, le Kitty Creamery, et la resserre au fond des bois. Des lieux où l'on ne fait pas grand-chose sinon s'ennuyer, exclure et consommer. Mais qui et quoi ? Clair-obscur est donc la touchante histoire d'Irwin Semple, un attardé incapable de communiquer. Il souffre en silence, s'exprime par borborygmes sans jamais réussir à nouer des liens forts. Seulement avec une femme qui, fascinée par sa laideur, le veut absolument dans son lit. Par besoin, pas par amour. Histoire d'une jeunesse perdue, volée, passée entre ennui et brimades. Echappe-t-on jamais à sa c

Terminus Berlin, Edgar Hilsenrath (Le Tripode) ★★★★★

  Pour ceux qui connaissent l’œuvre d'Edgar Hilsenrath, lire Terminus Berlin peut s'avérer une épreuve, emplie d'une émotion trop forte. L'écrivain est décédé en décembre dernier à l'âge de 92 ans, juste avant la parution de son dernier livre en français. L'auteur de langue allemande avait d'ailleurs annoncé que ce serait son dernier livre. Terminus Berlin ressemble bien au livre des livres de l'auteur, ceux qu'il a écrit et aurait pu écrire, synthèse ou épilogue parfaits d'une œuvre unique indissociable d'un personnage et de son parcours. Celle d'un "clown triste" aussi lucide que pessimiste qui, par la littérature, a pu libérer son âme.   Enfilant le costume d'un double à peine fantasmé, Hilsenrath - Lesche dans le livre - rejoue tout une vie, tout une œuvre sur le ton de la dérision. Celles d'un apatride orphelin de son Heimat. Nulle part chez lui, toujours en quête d'un chez soi. Les États-Unis,

Dans l'ombre du brasier, Hervé Le Corre (Rivages/Noir) ★★★☆☆

     Les odeurs d'urine et de renfermé, le fracas des canons, le sifflement des obus, les hurlements de douleur, la fumée des incendies dans Paris assiégé, le noir du ciel à peine éclairé par l'éclat des flammes, les tirs de fusil, la baïonnette qui chatouille, le sang et les tripes à même le sol, les barricades, les gravats et la ville-lumière qui s'effondre tel un château de cartes... C'est la guerre à Paris entre les Communards —"une canaille abhorrée" aux yeux de l'ennemi — et les Versaillais , la Commune vit ses dernières heures sur les cendres pas encore éteintes de la défaite prussienne. Et Caroline, compagne du sergent Nicolas Bellec, insurgé du 105e bataillon fédéré, vient d'être enlevée par un homme effrayant, au visage écorché. Antoine Roques, commissaire de police de la Commune, va tenter de la retrouver en pleine débâcle...   A lire tous les blogs, sites et autres éloges sur " Dans l'ombre du brasier ", en plus d

Red or Dead, David Peace (éditions Rivages en VF) ★★★★★

 Retour en de brefs mots sur un chef-d'oeuvre, Red or dead , signé David Peace. Lu voilà cinq ans en VO — on vous conseille cette version, anglais très simple et lisible—, il fait partie de ces livres qui vous restent en mémoire pour toujours.           Pour "héros", Bill Shankly, l'entraîneur mythique des Reds des années 60 , le Messie de la Mersey venu au monde le jour où, étranglé par la ferveur d'Anfield, il foulait une pelouse digne des plus grands exploits. Red or dead raconte la légende d'un club, dit la passion chevillée au cœur d'une ville empêtrée dans la déprise industrielle. Bill Shankly, c'est l'homme de poigne, dur, intransigeant, obsédé par l'exigence du travail bien fait. Un leader au charisme électrique, capable de sublimer une équipe dont la somme des individualités s'efface derrière l'horizon du collectif. Une ville, un club et un homme œuvrant pour un destin plus grand qu'eux. C'est aussi l'é

Janesville, Amy Goldstein (Editions Christian Bourgois) ★★★☆☆

      Alors, est-ce qu'il a toujours bon goût Barack Obama en matière de livre ? L'ex-président ricain nous avait conseillé Les Furies de Lauren Groff (son roman préféré en 2017!) et, pour tout dire, ce fut une révélation. Il paraît que Janesville — publié en 2017 aux États-Unis — est un autre "coup de cœur" de l'ex-pensionnaire de la Maison-Blanche. Alors pourquoi pas. Chez un éditeur de confiance de surcroit. Janesville , patelin de 63 000 habitants de l'Etat du Wisconsin, connu pour son usine d'assemblage siglée General Motors, évoque l'envers d'un mythe, le rêve américain au filtre de la réalité mondialisée : la croissance et la crise jusqu'à la faillite pure et simple d'un traditionnel fleuron de l'économie américaine, devenu fossoyeur de toutes les illusions d'ascension sociale. Rares sont ces livres à aborder de l'intérieur, frontalement, une désespérance partagée. Un vrai livre américain dans le refus d'une fata

Mort d'Armand Frémont, géographe précurseur de l'espace vécu

           L'Espadon a une pensée émue aujourd'hui pour Armand Frémont, grand géographe français décédé samedi 2 mars à l'âge de 86 ans. A l'origine du concept d'"espace vécu"— l'espace tel qu'il est perçu et pratiqué par les êtres qui y vivent—, Armand Frémont a conçu une nouvelle approche en géographie, fondée sur les représentations et l'analyse d'un espace subjectif, débouchant sur une géographie de la perception, éminemment sociale et phénoménologique. Normand d'origine, il fut professeur à l'université de Caen, directeur scientifique du CNRS, recteur d'académies et président du conseil scientifique de la DATAR. Fervent partisan de la réunification normande, il était aussi l'un des membres du groupe des quinze géographes œuvrant pour le rapprochement, aux côtés d'Yves Guermond et Michel Bussi (oui, oui, l'écrivain qui vend des milliers de polars, géographe universitaire de profession !). Mais surtout,

Triangle à quatre, Matthieu Jung (Editions Anne Carrière) ★★★★☆

            Joie de retrouver Matthieu Jung au meilleur de sa forme avec Triangle à quatre . Car, avouons-le, depuis P rincipe de précaution en 2009, on faisait partie des grincheux, déçus de ne pas retrouver dans les livres suivants ce phrasé au scalpel. Même Le Triomphe de Thomas Zins , son grand œuvre de presque 800 pages, plus ambitieux peut-être mais moins percutant, avec bon nombre de fulgurances par trop diluées, nous avait frustrés. Mais qu'importe, c'est avec enthousiasme qu'on le retrouvait pour cette comédie grinçante, sur le sujet le plus ordinaire du monde : l'adultère. Oui, mais un adultère new age ici en forme de destin métaphysique. Tenez-vous bien : Ludovic et Élise, qui filent le parfait amour, genre deux nécessités réunies par le destin, doivent se marier bientôt. Mais patatras, AVC, le cœur de Ludovic lâche. Début de la dépression pour Élise Peu-lè (Pellet !). Entretemps, le cœur perdu a été greffé car, à l'autre bout de la capitale, c'est