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Articles

Affichage des articles du 2020

À tous les airs, Stéphane Vanderhaeghe (Quidam)

 L'auteur m'avait pourtant mis en garde : "Attention, il va vous falloir du courage pour comprendre mes petites dames. Elles sont coriaces et elles ont donné du fil à retordre à pas mal de monde !" Alors, vous pensez bien, je me suis jeté dans la gueule du cimetière et ses histoires de silence par milliers. Pour voir ce que les morts — étonnamment vivants mais fuyants — avaient à me susurrer. Le bruit du monde, la rumeur des vies sur un petit air de musette, la ritournelle de nos errances à pas feutrés de par le monde, à travers les pas d'une vieille dame qui déambule dans les couloirs du cimetière. Bon, en fait, cette petite vieille dame est attachante. Elle m'a rappelé cette autre vieille dame de mon quartier qui, pendant deux ans, sortait en pantoufles et chemise de nuit dans la rue trempée, pour raconter ses histoires hirsutes, allant même jusqu'à sonner chez moi pour terrifier toute la maison avec ses cheveux de nuage. "La folle du quartier"

Grande tiqueté, Anne Serre (Champ Vallon)

 Alors ce livre, mes amis, est magnifique ! De la grande, très grande littérature. Je n'y ai pourtant pas compris grand-chose, à l'histoire, mais j'ai ressenti tout ce que ce texte voulait me signifier. Je suis incapable de mettre des mots dessus mais il me faut pourtant en dire deux trois choses. J'ai vaguement perçu l'histoire d'un vagabondage amical sur une route mal située où l'on croise différents personnages qui entretiennent des liens de nature différente (merci à la postface de m'avoir éclairé). On peut prendre ce texte comme un conte. Je l'ai surtout accueilli comme une comptine ou une chanson qui parlait d'abord à mes oreilles. Anne Serre, chamane-musicienne, se pose d'ailleurs la question dans la postface. Oui, je confirme, la littérature est souvent pour moi et d'abord une affaire de rythme, d'énergie, de musicalité, d'écriture, de sensations avant d'être l'appétence pour une intrigue et du sens. Vous me direz,

Le Dit du Mistral, Olivier Mak-Bouchard (Le Tripode)

 Je vais devoir m'y habituer (ou pas) mais c'est toujours, toujours la même histoire avec les éditions Le Tripode. Leurs livres commencent gentiment, dans des univers à peu près ordinaires, routiniers, et il faut un certain nombre de pages (50-100?) pour prendre le pouls du récit qui se joue souvent d'une quelconque "intrigue", au sens le plus classique du terme. On se prend alors une jolie vague de mots et d'images en plein visage, mais toujours douce et puissante. Ça vient de loin. Des livres à l'étonnante longueur en bouche, dont on se souvient presque toujours des années plus tard.  On avance gaiement dans notre lecture, le cadre est posé sans effet et on s'installe confortablement au coin du feu ou près d'une roche calcaire, pour écouter l'histoire qu'on veut bien nous raconter. Un récit porté par le vent et les légendes, les terres ancestrales et ce qu'elles disent de leurs habitants. Ici une région de pierres bercée par le soleil

Trencadis, Caroline Deyns (Quidam)

 Après avoir lu cet organique  Trencadis , signé Caroline Deyns, il faut bien reconnaître la force et la pertinence d'une narration qui procède par fragments et éclats, pour donner à ressentir un univers mental dans sa réalité la plus nue mais aussi ses manifestations physiques qui dépassent toujours la capacité à en appréhender les ressorts. Ce Trencadis en fournit, à mon sens, une parfaite illustration. Saisir des versants et des facettes pour dessiner une unité de trajectoire, recomposer l'unicité de l'expérience. Esquisser un visage. Peindre la chair. Il faut bien le dire, ce livre m'a bien plus intéressé que l'oeuvre de Nikki de Saint-Phalle dont je n'avais en tête qu'une image lointaine. Miracle de la littérature, je vais y revenir, à ces images, à cette puissante dame par le texte de sa vie, par la prose de Caroline Deyns. Une écriture en prise avec son sujet, dans un corps-à-corps langagier et corporel qui ne souffre aucune esquive ou coup bas. C

Faits divers extraordinaires sur la vision des couleurs, Camille Bordas (Inculte)

Il se trouve que le précédent livre de Camille Bordas, Isidore et les autre s, trône discrètement dans ma bibliothèque. En toute sincérité, je l'ai à peine feuilleté. Mais j'ai bien lu Faits divers et extraordinaires sur la vision des couleurs , peut-être la porte idéale pour entrer dans l'univers de l'autrice. Trois nouvelles donc pour un titre à rallonge. L'occasion de découvrir une ambiance flottante, à mi-chemin entre la routine cocasse qui fait la part-belle à de curieux paradoxes et le sentiment d'une catastrophe imminente qui vient doucement casser la feinte légèreté du récit, mélange de naïveté et de terreur latente avec l'ombre des attentats en toile de fond. La première nouvelle, Ils meurent jeunes en général,  évoque le sentiment de peur qui agit en souterrain, dans les mots et les attitudes au quotidien. La peur qui contamine toutes les paroles et tous les comportements. Poussées paranoïaques, personnages gentiment névrosés, inquiets ou en reta

L'Espadon fête ses deux ans !

  En ce mois de décembre 2020, l'Espadon fête ses deux ans sans spasfon mais avec joie et bonne humeur ! Un grand merci à tous ceux qui nous suivent, nous lisent et nous écrivent. Toutes les marques de sympathie témoignées ici ou là sont bien sûr notre carburant pour lire toujours plus et mieux. Une belle année de romans encore, des lectures marquantes, des prises de risque, des dérapages contrôlés, de vraies claques, des découvertes nombreuses, bien des rires aussi et une admiration sans bornes pour tous ces auteurs et éditeurs qui, tant bien que mal, tentent de faire exister ce que les canons du marché voudraient taire. Plus que jamais, ce blog existe aussi pour mettre en lumière ce travail et ces passions de l'ombre. On aurait voulu faire plus de rencontres, encore, mais celles-ci ont été reportées à "une date ultérieure". Côté écriture, un premier texte achevé, envoyé et qui a trouvé son éditeur. Quel bonheur ! J'ai hâte de vous en parler... mais je remercie d

Demain la brume, Thimotée Demeillers (Asphalte)

 De Nevers àVukovar, d'une transition adolescente fragile à l'éclatement de la Yougoslavie dans les années 90, Thimotée Demeillers fait résonner avec fracas l'illusion des quêtes amoureuse, identitaire, familiale, individuelle et collective, tentant de circonscrire des trajectoires tout en déviations et détours. Une façon de s'interroger sur la fin des grands récits et paradigmes à travers les voix d'une jeunesse avide d'exister dans les excès ou les sentiments qui rendent le plus vivant. Des espoirs au son de la guerre, des bombes et des nationalismes, donc, ultimes portes de sortie d'horizons bouchés. Des histoires individuelles au miroir des sabordages collectifs de fin de siècle qui ne laissent aucune place à la nuance. Des personnages sommés de choisir leur camp, entre ennui profond et désir de transcendance, et surtout de réveiller leur vie au son du rock ou des explosions. Il faut se trouver une voie, un chemin digne d'être emprunté, construire se

Cinquante façons de manger son amant, Amelia Gray (trad. de l'anglais par Nathalie Bru, L'Ogre)

Trente-sept nouvelles pour sculpter nos solitudes. Trente-sept nouvelles pour encapsuler et libérer l'horreur. Trente-sept nouvelles où se tapir avec ses angoissantes angoisses. Trente-sept nouvelles pour cajoler la menace. Trente-sept nouvelles comme un dédale de peurs Trente-sept nouvelles de canalisations et de viscères. Trente-sept nouvelles pour hacher menu les certitudes. Trente-sept nouvelles pour avoir le coeur gros comme une baleine. Trente-sept nouvelles pour se la couler douce au milieu des couteaux. Trente-sept nouvelles pour rire du malheur et le tourner en dérision, au hachoir Trente-sept nouvelles pour se ruer dans des impasses. "No exit" Trente-sept nouvelles pour flipper. Trente-sept nouvelles pour ne pas comprendre comment le disque a sauté. Trente-sept nouvelles pour aimer nos fictions comme des réalités. Trente-sept nouvelles pour communier dans une solitude partagée. Trente-sept nouvelles pour s'autoriser à trancher, castrer et taillader. Trente-s

Grotte, Amélie Lucas-Gary (éditions Vanloo)

Le pouvoir de la grotte, la force de la caverne. Ça me rappelle Platon, une allégorie marquante de ma jeunesse. Amélie Lucas-Gary lui emboîte le pas en exploitant tous les ressorts symboliques dans une fantaisie très plaisante, échevelée, maline. Le lieu de l'éternel retour, un habitacle de l'éternité, un endroit à l'abri du monde, en retrait croit-on, où il se produit des phénomènes bizarres. Un gardien qui couche avec la femme du Président, enterre le petit-fils d'Hitler, découvre la source d'éternité et croise un célèbre terroriste du 21e siècle... A l'occasion des 80 ans de la découverte de la grotte de Lascaux, les éditions Vanloo ont réédité le premier roman de l'auteure Amélie Lucas-Gary, à peine un roman d'initiation, mais plutôt une satire politique cocasse et loufoque qui creuse le potentiel énigmatique, métaphysique, électromagnétique, psychologique de la grotte, entre foi et science, réel et fictions. Le narrateur, gardien pluriséculaire du t

Catastrophes, Pierre Barrault (Quidam)

 Vous lirez ici ou là que ce livre est maudit, vraiment maudit j'entends. Et bien croyez-moi, je crois que c'est une chance, c'était son destin de paraître en avril 2020 et en novembre 2020. It is what it was supposed to be , la célèbre antienne de la série Lost . Avec Catastrophes , on est sûr de ne pas être dans la posture promotionnelle. Plutôt dans le trou noir sémantique et narratif, l'anomalie verbale, la circularité temporelle, le Grand Absurde qui  fait sens. Ce livre est à lui seul sa réalité parallèle, démultipliable à l'infini, défiant toutes les lois du paysage littéraire. Dans la série Lost , on voyait des ours polaires s'exciter sur une île tropicale. Chez Pierre Barrault, le sosie de François Berléand se masturbe avec des orties, tout nu, et finit assassiné. S'ensuit une classique scène de ménage. Bah oui, Pierre et Claire ne progressent pas toujours au même rythme, peinent à s'entendre sur une allure commune. De décalages en déviations, d

Le Dormeur, Didier da Silva (Marest éditeur)

 "Ptn 4 Minutes d'arbres". En sérieux critique, je suis allé faire un tour sur YouTube pour visionner ce dont Didier da Silva parle dans son livre, le court métrage de Pascal Aubier — l'adaptation cinématographique du Dormeur du val de Rimbaud (1870) —, en réalité une merveille de plan-séquence de 9 minutes et 22 secondes, intitulé le Dormeur (1974). On y voit des arbres, donc, et un paysage du Sud — ou une caméra qui vole, s'envole et atterrit. Le Dormeur est à la fois l'exploration d'une époque, l'autopsie des conditions de réalisation d'une oeuvre et le récit d'une fascination. On retrouve dans ce récit la plume aérienne de l'auteur ( Dans la nuit du 4 au 15 ), joueuse et vagabonde, passionnée par son sujet, qui aime naviguer au gré des idées, qui enquête pour mieux comprendre d'où lui vient cet enchantement pour ce film qui n'existe dans la tête de presque personne, tombé dans l'oubli :"Un volumineux dictionnaire du c

Les Présents, Antonin Crenn (Publie.net)

 Il pourrait s'agir dans Les Présents d'une promenade dans le temps et les couloirs de l'existence, à travers des présences plurielles jamais claires, fixes ou définitives. Les présents, ce sont des horizons narratifs et des potentialités d'histoires. Comme des virtualités infinies, inattendues. Ce sont aussi ceux que la mémoire rend présents, fait revivre, malgré les omissions et les erreurs, les trous volontaires ou inconscients. Se rappeler des personnes, c'est aussi et d'abord se remémorer leurs lieux, là où ils ont vécu et marché. C'est peut-être la dimension qui m'intéresse le plus dans le travail d'Antonin Crenn, son rapport clinique aux architectures, aux détails urbains, aux décors incarnés de nos vies. C'est que la fiction a besoin d'un cadre pour exister. Pour son second roman, après L'épaisseur du trait , Antonin Crenn revient avec son écriture légère en apparence, toujours douce et tendre, sorte de jolie musique de l'éto

Ce qu'il faut de nuit, Laurent Petitmangin (La Manufacture de livres)

 Bon, dès qu'on me parle de la Horda Frenetik, mon coeur fond, c'est comme ça, ça me rappelle ma jeunesse. Oui, on l'oublie trop souvent, même dans les fratries, on se tape sur la gueule de temps en temps, entre Boys et Tigris, entre fachos et gauchos. Mais Fus et Gillou, eux, sont deux frères fusionnels, plus soudés que jamais depuis la mort de leur mère. Et puis la Horda de Saint-Symphorien a fini par être dissoute. Comme Fus, fils un peu désintégré, qui s'est perdu en chemin sur les sentiers de l'idéologie. Ou alors il a juste rencontré les mauvaises personnes. Pourtant, Fus, c'est un bon gars, le fils que tous les parents rêveraient d'avoir. Prévenant, gentil, sympa, jamais un mot de trop, prêt à filer un coup de main pour les potes en galère. "Est-ce qu'on est toujours responsable de ce qui nous arrive ?" Vaste question qui hante le bouquin. Allez, j'me mouille dans les eaux normandes, c'est du 50-50. La faute à pas de chance, ou à

La Trajectoire des confettis, Marie-Ève Thuot (Éditions du sous-sol)

 En voilà un bouquin intéressant (rien de méprisant dans ce terme, chère Marie-Ève), non pas qu'il soit parfait — ce n'est d'ailleurs pas ce que je demande à un texte —, mais par sa façon de donner à penser sur des thèmes franchement risqués. Parler des sentiments, du sexe et de procréation, dans un même élan, relevait à mon sens de l'exercice de haut-vol. Comme résoudre une équation impossible. J'ai donc peut-être autant de réserves à émettre que de compliments à faire pour cette brique de 620 pages venue du Québec. Alors d'abord, on dit merci à l'éditeur qui prend le courage de publier ce premier roman avec une telle pagination, en saluant les choix de mise en page, de la taille de la police aux interlignes. Même si j'entends et comprends bien les contraintes d'un éditeur, j'ai lu bien des livres récemment qui sacrifiaient le confort de lecture. Ici, avec 620 pages qui font la part-belle aux dialogues, la mise en forme laisse respirer le texte.