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Articles

Affichage des articles du septembre, 2020

Vladivostok Circus, Elisa Shua Dusapin (Zoé éditions)

 Comme on dit, la rencontre n'a pas eu lieu entre l'écriture d'Elisa Shua Dusapin et L'Espadon. J'ignore pourquoi mais ce livre m'intriguait. Un lieu exotique, Vladivostok, un univers des marges, l'enceinte désertée d'un cirque et un trio d'acrobates ultra performant qui se prépare à un concours international à Oulan-Oude. Au milieu, Nathalie, engagée par le cirque pour confectionner les costumes des artistes. Elle débarque et découvre un monde où grâce et technique dansent sur un fil. Anna va-t-elle réussir quatre triples sauts périlleux sans descendre de la barre ? Quelles relations entretiennent Anton, Igor, Nino, Léon ? Des acrobaties mais surtout une question de mort où l'on ne joue pas moins que sa vie. Une question de muscle, de gainage mais aussi et surtout de confiance. Je crois que ce roman parle d'identités et d'origines toujours un peu floues, de marges et de risques, de cohésion et de fraternité, de grâce et de technique, d&#

Une Parisienne à Bruxelles, Caroline Gravière (éditions Névrosée)

Une Parisienne à Bruxelles de Caroline Gravière – Collection Femmes de lettres oubliées. Editions Névrosée – 2019 (roman en français – Belgique. 114 pp. 14 euros.) Initiée par notre chronique consacrée à L’invisible , notre exploration de la collection Femmes de lettres oubliées des éditions Névrosée se prolonge avec Une Parisienne à Bruxelles de Caroline Gravière. Fidèle à la ligne de cette collection dévolue aux autrices belges tombées dans l’oubli critique comme éditorial, cette Parisienne à Bruxelles initialement parue en 1875 n’a guère été rééditée depuis. On peinera tout autant à se procurer d’autres romans de Caroline Gravière (1821-1878), autrice pourtant d’une vingtaine d’ouvrages qui lui valurent l’admiration de Camille Lemonnier , figure majeure de la littérature belge Fin de Siècle. L’auteur du fameux Un mâle avait notamment déclaré à l’occasion du décès de Caroline Gravière que celle-ci constituait « un coin de notre littérature, l’un des plus purs et des plus originaux

Jérusalem terrestre, Emmanuel Ruben (Inculte)

 Après l e Danube à vélo l'an passé , le géographe Emmanuel Ruben m'emmène en terres d'oliviers —publié en 2015, Jérusalem terrestre ressort en poche aujourd'hui —, la céleste Jérusalem au miroir des Territoires palestiniens, ou est-ce l'inverse, pour nous faire toucher du doigt les lignes de faille qui traversent les terres saintes. Une région sur le feu, prête à s'embraser à chaque poussée identitaire, à chaque colonisation. Si l'auteur n'a fait qu'y séjourner deux mois, il parvient néanmoins à habiter son écriture avec une telle force que les paysages vivent sous nos yeux, les tensions affleurent des pages pour vous saisir à la gorge et le "mur de protection", bien réel, finit par se dresser face à nous une fois le livre posé. On ressent physiquement ce quotidien de guerre latente. C'est édifiant de faire un tel livre sur un sujet aussi complexe et périlleux. C'est bien simple, je crois n'avoir jamais lu livre plus clair et

Paula ou personne, Patrick Lapeyre (P.O.L)

Des Patrick Lapeyre, il ne doit pas y en avoir deux. À plus forte raison quand on lit Paula ou personne , une histoire d'amour arbitrée par une entreprise qu'on aime détester, la Poste, et le philosophe le plus honni de l'histoire en raison de ses accointances nazies, le roi de l'Étant, Heidegger. Un penseur qui se fera même japoniser à la fin du bouquin.  Le coeur du récit est donc cet adultère improbable —et c'est la magie de la littérature de le rendre possible —entre Jean Cosmo, employé au tri postal, travailleur nocturne, dandy célibataire et faussement cynique porté sur la philo, et Paula Wilmann, prof d'allemand un brin bourgeoise, mariée, à l'éducation chrétienne et dotée de plein de valeurs. Et sans doute sapiosexuelle. Ils se rencontrent à un mariage, se revoient et consomment leur adultère à Paris, entre les Buttes-Chaumont et les Invalides. L'adultère ou l'histoire d'amour donc. Sujet le plus banal et ordinaire du monde, raconté 10 00

Le Vieil Homme. Des adieux, Noga Albalach (Do éditions)

 Un texte pour jeter des sorts à la mort, la prendre par les cornes pour mieux la dissoudre et la renvoyer à ce qu'elle n'est pas. Opposer aux derniers jours une mémoire des instants, la force d'une littérature sans effets, la puissance de liens intimes, la présence des vivants, la tendresse mêlée de bienveillance d'une fille pour un père qui s'efface à petits feux. Shlomo perd la mémoire et la retrouve en de brefs instants, lucide et sagace sans le vouloir ( Dis, papa, tu sais qui je suis ? Qui pose la question ? ), digne et timide, puis disparaît parce qu'il n'est qu'un être humain. Sa fille veille, le soutient sans condition, l'interroge et prend des photos sur "la pellicule de sa mémoire". Ce livre alors comme un album sépia où chaque scène creuse des bouts de vie, peint le tableau d'une humanité jamais aussi présente pour n'en garder que l'optimisme. Il semble qu'une proximité nouvelle puisse éclore précisément au momen

Merdeille, Frédéric Arnoux (éditions JOU)

 Lisant Merdeille, j'ai repensé au récent  77 de Marin Fouqué . Même désir de se battre avec la littérature et les mots qui assignent à résidence, d'en découdre avec la musique des laissés-pour-compte, d'épouser leur gouaille révoltée au son de quelques accords dissonants, d'un crochet bien placé ou d'un rat empalé.  Les mots et images médiatiques disent des choses mais ne signifient rien. Pour trouver un sens, un souffle de vérité, il faut bien souvent en passer par la littérature. C'est-à-dire inventer une langue qui, par ricochet, tisse des mondes et donne vie à des personnages : Kiki, le narrateur, Madame Fofana, Lulu, un pasteur, des infortunés mais pas des victimes résignées. On y trouve, dans cette ville "là-où-on-habite", de l'alcool à 90°, des dents qui tombent, des dentistes qui s'enrichissent dans la ville d''à-côté, un bonheur frelaté au parfum d'Airwick à la menthe. Grandeur et misère de la banlieue, effacée par une

De parcourir le monde et d'y rôder, Grégory Le Floch (Christian Bourgois)

Après un fabuleux premier roman dont on avait abondamment parlé sur L'Espadon, c'est peu dire qu'on attendait avec joie et fébrilité le nouveau livre du talentueux  Grégory Le Floch . Allait-il confirmer ? Que peut-on écrire après un livre aussi fascinant et maîtrisé ? Curieux de voir comment son écriture allait s'adapter à une nouvelle ambiance. Dans De parcourir le monde et d'y rôder , voyage en roue libre ou errance en plein chaos, on retrouve un héros en crise — que la société qualifierait de fou — et cette prose sinueuse qui a fait du rythme son mantra. Ce livre méandreux, à sa façon détournée et toujours ambiguë, traque la possibilité d'un sens toujours en fuite. Comme ce personnage, qui tente d'une façon ou d'une autre d'échapper à un truc qu'on ne comprend pas au début. Il faudra attendre les quatre derniers mots. Cette chose de forme ovale, dure, molle et visqueuse, que le narrateur trouve dans la rue et qu'il est incapable d'

Chienne, Marie-Pier Lafontaine (Le Nouvel Attila)

Une prose éclair, une écriture naturellement brodée à la lame, des espaces blancs qui encerclent la pure violence d'un père sadique, l'odeur du viol à venir et de la soumission au quotidien. La peur et le silence ne durent qu'un temps, les mots sonnent la révolte. Marie-Pier Lafontaine décrit avec son rythme au scalpel les sévices en suspens, les humiliations, l'inceste et les maltraitances physiques ou morales endurées par deux soeurs qui n'ont rien demandé. Un père qui teste la docilité de ses filles, leur roule sur les pieds avec sa voiture, attache l'une d'elles à une chaise ("le Jeu de la momie") ou leur interdit de pleurer. Gare à la pluie de coups et d'injures. Parfois, des hurlements viennent briser le mutisme d'une nuit plus sombre qu'une ténèbre. Chienne , c'est d'abord une écriture sans fioritures où chaque mot est pesé, où chaque phrase tente à la fois de décrire et de saisir. Décrire la banalité du mal et en