Connaissez-vous Chris Ware? Auteur américain de comics, un peu barré, ultra rigoureux, puriste et perfectionniste, il fut primé à Angoulême en 2003 pour son chef-d'œuvre Jimmy Corrigan. Le génie de Chris Ware réside dans sa faculté à croiser les genres, à renouveler les codes et finalement, à inventer son propre monde. Un monde fait de mélancolie lucide, de désenchantement pathologique, de solitude existentielle, d'aliénation et de cruauté. De ces histoires toujours simples en apparence (il est question d'un trentenaire complètement paumé et orphelin de son père, dans Jimmy Corrigan), il se dégage une poésie clairvoyante d'une extrême sensibilité, toujours fine et musicale. Sur le plan formel, Ware vise la perfection et l'épure: son impressionnante saga, l'Acme novelty library, est avant tout une expérimentation littéraire qui rend grâce à l'objet livre: formats différents à chaque volume, absence de pagination, édition unique (certaines de ses BD valent plus de 100 euros sur le marché tant ils sont rares!). Le dessin emprunte quant à lui ses influences à la bonne vieille ligne claire, avec des couleurs toujours idoines, pâles et nostalgiques. Naïf en apparence, le graphisme millimétré révèle en fait un sens de l'épure peu commun et la recherche d'un absolu. Qu'il atteint d'ailleurs, on ne sait trop comment. Mais réduire le travail de Ware à une simple expérimentation serait une erreur. La perfection formelle chez Ware se conjugue à un sens de la narration précis, ciselé, lent, finalement très littéraire. Son but: rendre palpable des univers mentaux, des objets, des attitudes, des ambiances par la musicalité du rythme, l'ellipse, le non-dit, le suggéré (jamais Windy City- Chicago- n'a été aussi bien dépeinte à travers ses sons, ses gratte-ciel, son métro aérien...). Il en ressort des tableaux d'une tristesse infinie, peignant des mondes en proie à la désolation. La poésie le dispute alors à la beauté dans des paysages abandonnés et néanmoins incarnés, où les âmes peinent à exister. Difficile d'être insensible à l'esthétique de Chris Ware. Évidemment, les livres de Ware sont éreintants, difficiles d'accès, mais une fois plongé dans son univers, on ne peut qu'être bouleversés car ils touchent à la beauté. Ces livres se lisent comme des romans, avec patience et volupté.
Ce vingtième volume de l'Acme novelty library reste pour l'ivre de mots, la sortie "BD" (terme réducteur avec Ware) de l'année 2010. A lire en anglais, la traduction en français n'étant pas à l'ordre du jour (rares sont les livres de Ware à être traduits d'ailleurs).
Le pitch du vingtième volume de l'Acme novelty library intitulé "Lint": l'histoire ordinaire d'un homme, de sa naissance à sa mort, en passant par ses déboires conjugaux et financiers. Toujours brillant dans sa faculté à dépeindre des mondes désenchantés et poétiques. Et à sublimer l'ordinaire et le tragique. (5/5)
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