Marshall, quinquagénaire un brin désabusé, attend son rendez-vous dans un diner. Mais la demoiselle se fait attendre. Entre désenchantement et espoir d’une renaissance, une romance de milieu de vie bouleversante, signée Daniel Clowes.
L’histoire : Les cheveux sont comme les illusions, on les perd parfois en vieillissant. Marshall, quinqua grisonnant doté d’un physique banal, blasé et déprimé, est ce que l’on appelle un homme en milieu de vie. Célibataire divorcé esclave de ses obsessions, avec en prime un niveau de vie très modeste, Marshall vit une véritable crise dans son suburb ordinaire des Etats-Unis. Heureusement, deux de ses amis lui ont arrangé un rendez-vous galant avec Nathalie, une de leurs connaissances communes. Sonnant comme sa dernière chance, l’homme y voit là un coup de pouce de destin, une chance à saisir. Le jour J est donc arrivé et Marshall, à la fois impatient et impuissant, voit les minutes s’égrener : la demoiselle est en retard. Plus le temps passe, plus l’espoir de voir débarquer Nathalie se réduit à peau de chagrin. Torturé de l’esprit, Marshall ne cesse de s’interroger, de se remettre en question. Seul moyen pour combler l’attente, réfléchir. Marshall s’épanche alors en une logorrhée verbale dense et sans fin, et finalement complètement stérile : trop vieux, trop moche, trop pathétique. 38 minutes plus tard, la fille n’est toujours pas là. Alors qu’il est sur le point de partir, une femme l’interpelle : il s’agit bien de Nathalie, elle s’était simplement trompé de lieu de rendez-vous. Tout n’est donc pas perdu. Problème : la Nathalie en question ne semble pas jouer dans la même catégorie que Marshall en termes de physique ! Il va donc falloir déployer des trésors d’imagination pour la séduire. Ce n’est pas gagné…En tout cas, cette rencontre presque inespérée sonne comme le reflet d’une période charnière où on aimerait n’avoir jamais rien fait pour pouvoir tout recommencer…Oui, la vie est parfois triste, mais Marshall n'en est pas pour autant condamné au tragique...
Ce qu’on en pense : Fini les geek névrosés, fini les ados cyniques. Daniel Clowes explore désormais les territoires de milieu de vie, dans la lignée de Wilson paru en 2010. Pour vedette, Marshall, un quinqua désabusé, presque sans illusions sur le monde. Seul, divorcé et en proie à des problèmes financiers, il ne lui reste plus que l’espoir d’une rencontre amoureuse. Pour décor, des banlieues américaines ordinaires et désertées, d’un ennui mortel. Prétexte à une réflexion sur la solitude existentielle et l’incommunicabilité, Mr Wonderful offre une belle palette de sentiments : désenchanté ou plein d’espoir, Marshall oscille entre tristesse désespérée et mélancolie joyeuse, lucidité et masochisme. Chronique douce-amère d’un amour impossible mais aussi examen lucide de la période de milieu de vie, l’opus est un appel à une introspection courageuse en forme de bilan : qui sommes-nous ? Quelle est notre ambition ? De quoi sommes-nous capables ? On rit souvent devant Mr Wondeful, tant Clowes sait manier l’autodérision avec un sens de la distanciation sans pareille. Il se moque gentiment de Marshall et de lui-même, car Marshall n’est pas autre chose finalement que son double fantasmé. Un personnage à la fois drôle et pathétique, mais néanmoins touchant et pas complètement irrécupérable. Le trait se fait alors plus naïf, plus enfantin, traduction fidèle des états d’âme du héros : à la fois spectateur de sa dérive mais aussi acteur de son éventuel salut. Non-dits, ellipses et silences contemplatifs viennent y ajouter une poésie à la douce musicalité. Clowes nous prend par la main, nous raconte une histoire pleine d’émotion et de sensibilité, avec style et élégance. Léger et grave, sombre et lumineux, tragique et romantique, le récit met au jour une alchimie des contrastes bouleversante. Alors, Mr Wonderful, simpe fable désespérée ? Non ! Chronique d’une possible renaissance ? Sans nul doute ! Pas de grande invention narrative ici, mais un talent de conteur perceptible à chaque détour de cases, à chaque dialogue. Malgré l’absence de reconnaissance du festival d’Angoulême (livres régulièrement sélectionnés, jamais primés), Clowes n’a jamais failli dans son entreprise de surprendre, d’émouvoir et de faire rire. Une bien belle histoire donc, sobre et touchante, brillante dans sa faculté à sublimer l’ordinaire, loin des bons sentiments. Ça fait du bien…Wonderful, Mr Clowes ! (4/5)
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