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Trois Lucioles (deuxième volume de la trilogie Capitale du Sud), Guillaume Chamanadjian (Aux Forges de Vulcain)

 On va le répéter sans se lasser, cette double série Capitale du Sud/Capitale du Nord est une magnifique réussite. Parvenu à la moitié du projet, je ne cesse de m'enthousiasmer pour les aventures du jeune Nox de la Caouane, capable de passer les mondes tout en apprivoisant leur vitesse d'apparition pour placer ainsi ses gestes au mieux. Et surtout se défendre ! Oui, c'est officiel, nous avons été littéralement "encaouanés" par le couple Chamanadjian/Duvivier depuis les débuts l'an passé. D'ailleurs, si vous lisez attentivement, vous verrez apparaître le mot "chamane" dans le nom de l'auteur, pour qui c'est là le deuxième roman si j'ai bien compris. Oui, chamane des lettres cet écrivain, sans nul doute. Inutile de pérorer au passé simple pour dire que tout nous plaît dans La Tour de Garde : ses décors en mirage, entre places étriquées en feu et grandes étendues presque désertiques aux limites extérieures de Gemina, ses personnages attachants, sa narration fluviale à rebonds, ses symboles et son humour discrets, sa magnifique écriture et son histoire de pouvoirs en lutte, tout simplement. Celle d'un petit commis pas si petit en construction, une révélation à soi au contact des autres et des péripéties, une façon d'aller vers son destin et de persévérer dans son être dans un devenir-miroir.

Si Nox a pris ses distances avec la Caouane, il n'en reste pas moins une cible potentielle. Tout le monde veut la tête de Servaint, l'homme qui a élevé et recueilli Nox, mais personne ne veut mettre les mains dans le cambouis... et voilà notre cher Nox en proie aux énigmes, objet de toutes les pressions au coeur de la cité. Si ce troisième volume met un peu de temps à rentrer dans le sujet (je dirais 60 pages), le temps de poser les nouveaux enjeux et de se familiariser à nouveau avec les nombreux personnages, la suite est un festival. On adore ces ambiances brûlantes ou poisseuses, ces odeurs de friture et de sueur, le bouillonnement permanent d'une ville à feu et à sang et au bord de la destruction. Des goûts, des parfums et de la musique. Tous les personnages sont en sursis, le danger est partout, dans l'entre-deux qui s'étend entre Gemina et le Nihilo, entre le poumon de la Cité et ses forteresses protectrices. Plats gourmands, poème déclamés, art puissant, luttes guerrières, ancêtres surgis de nulle part et passé à recomposer, tous ces éléments viennent nourrir un récit truffé de symboles et d'action, peuplé de personnages retors ou bienveillants qui s'étoffent (Servaint, Adelis, Symètre, Aussilia). Pauvre Nox, toujours sincère et désireux d'aimer mais trahi, ballotté, utilisé, qui devra apprendre avant d'agir. L'amour, la guerre, les manigances, les poussées migratoires, Nox y sera autant l'acteur que l'infortuné spectateur d'une déroute qu'il tente malgré tout de maîtriser un peu, dans le tumulte et les tintamarres d'une ville en perte de repères. Une Cité qui a perdu son âme et son identité dans les combats de rue, en voulant chasser les intrus... Nox est-il l'un d'eux ? Peut-être les Serpentaires le savent-ils...

Et puis qu'avaient donc toutes ces filles à comparer leurs amants à des poissons ? Ellie avait vu en Delinus une baudroie, Aussilia une murène, quant à moi j'en étais réduit à être comparé à une vulgaire sardine. Je savais que je n'étais ni très grand ni très beau, mais j'avais tout de même mon amour-propre.

Pour terminer, on ne dira jamais assez à quel point cette histoire respire la joie de conter et de raconter. Je crois que c'est d'ailleurs l'un des "critères" pour être publié aux Forges de Vulcain. L'amour du récit. Croire de toutes ses forces à la fiction, aux narrations de l'imaginaire qui, sait-on jamais, ont le pouvoir de transformer l'encre noir en réalité. Il est évident que l'auteur s'éclate dans ce récit, et nous avec, dans l'amour des belles phrases qui s'écoulent telles une rivière tranquille. À naviguer dans des mondes interlopes, incandescents voire destructeurs pour mieux souligner les renaissances ou, plus simplement, l'éveil à soi. Très grand plaisir de lecture. Une série absolument enthousiasmante qui rassure et laisse penser que la fiction est loin d'être morte. Mieux, qu'elle permet de réenchanter la réalité. Bravo aux auteurs. Encore trois tomes, on se réjouit !

                                                                                                                                                                 

Trois lucioles, Guillaume chamane Chamanadjian, Aux Forges de Vulcain, avril 2022, 20 €


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