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Éloge de l'imperfection, Hassan Wahbi (Al Manar)

 La poésie de Hassan Wahbi, professeur au Maroc, est une modeste lumière dans une nuit sans rivages, mais pas sans étoiles. Elles veulent briller dans une moitié de connaissance, au pays du non-savoir, dans une ignorance heureuse et salutaire. Il faudrait saluer nos failles, nos manques, là où rien n'est achevé et là où le destin choisira pour nous car trouver, c'est toujours trouver ce qu'on ne cherchait pas, ce qu'on n'osait pas chercher. C'est bien connu, c'est en ratant la cible qu'on touche le centre, souvent. Éloge de l'imperfection comme une ode à nos caresses manquées, à nos souffles inachevés. Hassan Wahbi procède par petits chemins et petites branches qu'il sème sur des sentiers inconnus. Il existe un monde caché, invisible mais bien réel, celui du possible des possibles que la force des habitudes est impuissante à étouffer. C'est là, juste là, dans les mystères et les énigmes, les signes ennuyeux d'un alphabet répété qui, pourtant, ménage ses surprises par un ordre aléatoire dans la fureur des promesses, et des illusions, qu'elle fait naître et reproduit à l'envi.

Faire du vide, de l'oubli, du désarroi les chemins du retour, d'un retour à soi à mi-chemin entre le savoir et l'ignorance, habillés du secret de la vie. Dans le blanc des désirs, des pages à noircir, une vérité évidente : la vérité est imprononçable, "paradis égaré, entre les promesses du jour et l'oubli des nuits". Le regard cherche, toujours aveugle, en quête d'un langage stable. Mais c'est la confusion, l'éclatement, "rien que des mains de voyage / aveugles dans une beauté sans nom". Quelle belle poésie, sobre et humble, qui refuse les images fixes et préfère le mouvements des mots quelque part entre l'unité et la séparation, éprouve la façon qu'a le chaos d'organiser la vie comme s'il existait une intelligence de la nature. Laisser libre cours au désordre, laisser tomber les masques et "être l'étranger de toute supplique". Pas d'affirmation, juste une pensée qui erre et divague, prend des chemins tout en les questionnant. Prendre acte de l'impermanence d'où naît l'inquiétude d'exister, embrasser la beauté du non-savoir, des incertitudes et accueillir l'intranquillité avec sérénité. Le regard ne voit rien, habitué à voir ce qu'il a envie de voir. Espérer un hasard légèrement dévié, infléchi, qui révélerait au grand jour ce qu'on ne sait pas voir, ce qu'on ne veut pas voir. Faire de la vie une "méconnaissance tranquille".

S'ouvrir à toutes ces possibilités / entêtées / que révèle le champ proche / devant nous / sans les avoir, les saisir; / elles sont là semblables / aux arbres / aux feuilles du temps / aux causes muettes / aux lèvres ferventes du monde ; / entre nous et elles / il y a la durée d'un rêve / ou d'une hallucination de vie ; / dans la mélancolie familière / de ce que nous perdons / sans l'avoir jamais eu.

Un appel à l'éveil des consciences, aux espoirs maintenus malgré les tourments et les démences. Faire la haie d'honneur à nos ombres qui lancent et laissent des messages. Être un homme, c'est garder la foi, dans le magma des routines, plonger avec ferveur dans un lac d'ignorance, confiant en ce qui nous attend. Ressentir ce qui est vivant mais invisible, présent mais inaudible. Un au-delà d'espoir et de douce ferveur, au seuil des présences et dans le souffle d'une lueur.

                                                                                                                                                              

Éloge de l'imperfection, Hassan Wahbi, Al Manar, 87 p., 14€

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