Éthique du béton, pratique du terrain. Oubliez les diplômes, l'école de la vie c'est le tiéquar, peuplé de bons gars, de familles pauvres et de grosses raclures. Des chouffeurs près du four, des scooters qui vadrouillent et c'est tout un paysage de la loose, de la maille, du banditisme, qui apparaît. C'est bien simple, j'ai l'impression de connaître par cœur le quartier de Planoise sans y avoir jamais posé le moindre pied. Merci donc aux cartes IGN au 1/25 000e, exhausteurs de rêves estudiantins, et à Jacky Schwartzmann, héraut du béton bisontin, des montres et des fortifications. Et puis ce ciment tout gris peuplé de petites gens, comment faire pour mettre un peu d'espoir dans tout ce bordel ? Ciel ! Le biz qui marche, ce sont les trafics ! Fidèle à sa gouaille rigolarde capable d'envoyer du lourd du Luxembourg à Planoise en passant par la Suisse et le Maroc, le runner Jacky S. poursuit son exploration du terrain, à Planoise donc. Point de Politique de la Ville mais une fiction gonzo plus vraie que nature dans les bas-fonds du Doubs, irrigués par des kilos de shit.
"Il y a eu Walter White et son double, Heisenberg ; il y a dorénavant Thibault Morel et Antoine Grosperrin. C'est un nom de famille courant par chez nous, il est vrai. J'aurais dû peut-être bosser un peu mieux le pseudo."
C'est peu dire qu'on est toujours content de retrouver la plume de cet auteur qui nous fait mourir de rire. L'humour, le bon, le vrai, c'est de plus en plus rare. En outre au service d'un petit polar social, comme une façon de neutraliser cette France un peu rance, de fin de siècle. Le rire pour bloquer la déprime, la dissoudre dans des nuages de shit et de bienveillance. Ça sent d'ailleurs moins la beuh que la misère sociale, le délabrement, l'insalubrité. Dans ces tiéquar abandonnés par la République, il reste l'entraide entre voisins, la solidarité bien placée, une place pour la déclassés, une casse joyeuse pour les déplacés. Le four, le lieu de tous les forfaits. Quand Thibault met la main sur le trésor de ses voisins albanais criblés de balle, les Mehmeti, la petite entreprise ne connait pas la crise. Du trafic de shit, oui, mais pour donner aux pauvres, aux étudiants en galère, aux chômeurs, à ceux qui ne voyagent pas en dehors des limites de Planoise. Un Robin des Bois bisontin. De l'argent pour offrir un petit trip en Espagne aux gamins du collège d'à côté. Drôle, décomplexé, à la fois grave et léger, on se prend au jeu du gars sensible qui se découvre un destin de dealer dans un quartier sensible, capable de gagner en un mois ce qu'il aurait gagné en vingt ans. Tentant, hein ? Mieux que le banco, le blanchiment et la revente de Marie-Jeanne. Et pour complices, des femmes au-delà de tout soupçon, un Réda méchant, et des Traoré très très méchants. Un flic malin mais dépassé. Ça sent le souffre, le feu, les descentes de police, les filatures et les coups bas. Car, quoi qu'on dise, la morale s'infiltre toujours d'une manière ou d'une autre dans les murs lézardés des cités.
J'ai la tête ailleurs. Encore tout chamboulé par les événements. La vérité est que j'ai reçu le plus grand shoot d'adrénaline de toute ma vie, dans cet appartement abandonné. Du fric, des flingues et des dizaines de kilos de shit entreposés là, trésor de pirates urbains. Les Mehmeti froidement assassinés. Séisme intérieur, les plaques tectoniques de l'âme en vrac. Existe-t-il un grand ordonnateur des cages d'escalier ?
Un roman avec des barbichettes mentales, du ping-pong verbal, des brigands au grand coeur, des featuring de NTM, Stupeflip, des montres Lip, des Réda, des profs aigris et des gamins indomptables, puis, la star qui s'ignore, un peu branquignole mais débrouillard, le dealer CPE bien élevé, Thibault, une sorte de Walter White à la française, habitant de Planoise donc, et fan de Samia, la plus belle du quartier. Un roman comme une série addictive sur Netflix, une écriture aussi à l'aise dans la blague que dans le noir, capable de poser des ambiances fortes en trois lignes. Du shit donc, beaucoup, du sexe, très peu, des trafics à gogo et des go fast en car scolaire, une conscience sociale et politique, il n'en faut pas plus à Schwartzy pour vous rendre accro à son écriture. D'ailleurs, une bonne partie de l'énergie du bouquin vient de l'écriture, celle qui aime les images fortes et envoie des rafales de vannes (Aurez-vous l'empathie du crocodile qui aperçoit une antilope traverser le fleuve ?). Serez-vous prêt à faire un featuring avec des "armées de lèvres et du soleil" ? Attention, vous pourriez devenir accro aux mots du runner-écrivain, lanceur de blagues à tout va, qui te susurre à l'oreille pendant que tu fais l'amour à son livre : "Mon roman, c'est chez toi."
Shit !, Jacky Schwartzmann, Gallimard, mars 2023, 312 p., 19, 50€
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