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Lundi propre, Guillaume Decourt (La Table Ronde)

 Merveilleuse découverte poétique avec les dizains de Guillaume Decourt. Dizains, poèmes de dix vers, munis de décasyllabes rimés. Oui les portables sont insupportables / Mais pas les chansons de court canasson / Tell me Guillaume tennis ou idiome. Allez, j'arrête, mais comment évoquer ce recueil de soixante-dix poèmes sans trahir l'intention ? On se fout pas mal de l'intention finalement, ce qui compte c'est la réception. Aucune analyse ici poétique, juste des impressions en fuite, un feeling lifté sur des mots assemblés. De quoi parle Lundi propre ? De la Calabre et des States, des Calabraises et de Disney, du calendrier et de la peur de ne pas tout comprendre. Nager en mots libres, comme une danse pour muscler son coeur et surveiller la murène innocente. Guillaume Decourt fabrique des caraco de mots, des vers d'Acapulco, prépare des cocktails au rhum-coco en compagnie de son fidèle guanaco. Ailleurs on s'offusque de la domination masculine dans des décors rococo tout en fantasmant Rocco là où ça dégouline. Puis elle prend son Uber pour la fête du Waé à Ouvéa et se retrouve à Mamoudzou la page suivante dans un petit garage à côté de chez nous... En Australie, en Grèce, en Italie, avec des kangourous et des chauves-souris philippines tatouées sous la peau des omoplates des normaliens... Sacrée normalité.


La poésie Decourt nous parle, mélange de sérieux et de désinvolture né sur des terres exotiques, des Monts du Forez au Nouveau-Mexique. On fuit des pays sous la pluie tropicale, on se retrouve à Reggio en compagnie de l'oncle Carmelo qui fait froid dans le dos tandis que César et les Ming murmurent les drames anciens. Puis Damouchari, des chevreuils, la décision de devenir fou et consultant en oursins et odeurs de neige. J'ai beaucoup aimé cette poésie chantante, dont la musicalité fait résonner la langue, des lieux inconnus et des objets oubliés, comme si les notes avaient le pouvoir de régler la pensée, de réguler la cadanse. Le poète dispose et tisse ses échos pour produire sa petite magie suggestive. Les Craven A, les Arapesch du Sepik, Hélène et les Garçons deviennent nos amis autour d'un plat de Ha Kao qui met notre palais K.-O. Comment parler de ces poèmes sans trahir leur malice goguenarde ? Guillaume Decourt développe une science poétique toute sensible qui se suffit à elle-même. Des petites histoires en apparence nonchalantes qui jouent avec les sons, l'exotisme, les références, qui multiplie clins d'oeil et personnages pour faire vibrer une langue insolite, à même de réveiller les images les plus incongrues. Et l'air de rien ces textes parlent de nous à travers le miroir autofictif. La forme fixe pour mieux libérer la créativité, les vents puissants des harmonies et des césures, des ballades et des balades, qu'elles soient narratives ou fictives.

Il est revenu le désir de tout / Pas la peine de s'en faire il s'en va / Mais il revient toujours on se croyait / Sans envie tiède ayant perdu le goût / Trouvant l'eau beaucoup trop froide à jamais / On s'était trompé encore une fois / On n'était que son propre diafoirus / Qui ne répétait pas assez souvent / En anglais en chinois ou bien en russe / "Le dehors est plus fort que le dedans"

Léger et profond, simple et comique, exotique, le mètre jubilatoire qui donne la trique sans tics et sans tocs. Il y a une drôlerie et une ironie qu'on trouve peu ailleurs, un doux mystère de l'orchestration. Et si la poésie n'était finalement qu'un jeu pris trop au sérieux par les "poètes" ? Guillaume Decourt, s'inscrivant dans une tradition qu'il dépoussière, dit "enjoy" et "welcome", écrit des vers et scande en bas de jogging pour ramener les mots à la vie, à leur respiration première. Des mètres de joie pure et simple, des comptines et des historiettes mutines. Avec ses dizains, disait-il, le poète se mesure à la démesure du monde, à son absurdité animale comme le rappellent toutes les bêtes du recueil. Le hasard y embrasse les vivants qu'on enterre vivants, la mesure y côtoie le tempo aléatoire de l'univers. Guillaume Decourt est artisan au sens où il produit sa propre matière faite de correspondances, de coupes et de liaisons, met en mouvement et en scène les images et les inconscients, qui suent et pleurent, crient et chantent leur doubles, leurs peurs, leurs ignorances, heureuses ignorances. Oui, on apprend beaucoup de mots dans ce recueil, comme voyager dans une langue étrangère pourtant familière. Croyez-moi, ce poète n'a rien d'un diafoirus. Un peu gangster du vers, chamane des encres, sniper du décasyllabe, Guillaume Decourt s'amuse à distordre le monde en une fausse désinvolture. Contemplations d'inconscients, inconscientes promenades dans l'invisible. On sort de ce recueil furieusement vivant, avec la banane et le sourire aux lèvres pour mieux admirer notre ciel bleu et les citrons très jaunes. Voilà, c'est tout et c'est beau, c'est la carte des émotions.


Un ciel très bleu et des citrons très jaunes

Chaque fois que je m'en vais je l'oublie

Et lorsque je reviens je suis surpris

Dans notre jardin de Vouliagmeni

Ces deux couleurs se mesurent à l'aune

Du reflet d'argent des cinq oliviers

J'ai nommé Prospero le chat sauvage

Qu'un soir du mois d'août nous avons soigné

Chaque jour depuis il nous rend hommage

En quémandant des sardines grillées

                                                                                                                                                             

Lundi propre, Guillaume Decourt, La Table Ronde, mars 2023, 85 p., 14 €

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