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Le Bonjour de Christopher Graham, Guillaume Decourt (AEthalidès éditions)

 Grande joie de vous parler de ma dernière découverte, les pépites poétiques de Guillaume Decourt. Une actualité riche pour le tennisman-musicien puisque deux recueils paraissent coup sur coup chez deux éditeurs différents. On vient de vous parler de Lundi propre à La Table Ronde. Chez AEthalidès, dans la bien nommée collection Freaks, paraît Le Bonjour de Christopher Graham. L'Amérique en ses fictions, ou plutôt les Etats-Unis en ses mondialisations, disparitions, dérisions. Ce pays m'a toujours laissé dans un entre-deux, mi-effrayé mi-amusé, mi-fasciné-mi navré que je retrouve ici. 37 poèmes de forme fixe pour passer les clichés du pays à la moulinette de la métrique Decourt. Et le voyage est formidable. On lit beaucoup à L'Espadon et on ne tombe pas tous les jours sur des recueils aussi puissants, insolites, exotiques. On a coutume de dire qu'on lit de la poésie, des romans, de la littérature, blablabla... Non, ce sont plutôt les livres qui nous lisent. La furieuse impression ici que ces poèmes ont été écrits pour moi, rien que pour moi, pour que je me retrouve à Fenway Park après le breakfast.


Qu'il évoque le confort d'un motel, l'obsession du barbecue, la musique à Monterey, les triolets du Bixby Bridge, la prostitution, le combat entre des baguettes et des fourchettes, les Red Sox et les blondes sous Botox qui never sucks, une dangereuse boîte aux lettres dans le Massachusetts, le smoothie et les pancakes du breakfast, entre logo et mug aux Deux-Magots, qu'il nous ballade, qu'il nous balade ou nous fasse voyager, Guillaume Decourt fait souche à chaque fois sans jamais faire la mouche du coche. Il y a tout ce que j'aime dans ce recueil : de la malice, beaucoup de malice, le jeu avec les mots, leur son, leur matérialité, mots qui deviennent plus que des objets, mais des héros de papier en construction. Grande et belle musicalité qui conjugue le sérieux nécessaire à toute entreprise littéraire ambitieuse, et une forme de légèreté, une désinvolture désarmante. C'est fluide, coulant, musical comme une ballade en terres d'altérité. Musicalité qui est affaire de rythme et de métrique, à point dans ce recueil. Rondeaux, ballades, contre-rimes, les poèmes se dégustent chacun comme des smoothies fun. Les vers jouent au ping-pong verbal, barbichettes musicales dans un fantasme américain façon Larry Clarke :

Des hommes glissent sur leur skate

Un taxi nous dépose

Logiquement ma main se pose

Sur la hanche de Kate

Un pays sous illusions, passé au crible des marques et du pastiche, de la mélancolie et du tragique.  Drôle, chantant, ce recueil nous emmène dans sa petite mélodie du quotidien  — animalière, culinaire ou schizophrène — là où les lieux, personnages à part entière, sont les repères évanescents d'un monde sur la brèche, voué à disparaître. Tout est beau, touchant, drôle, intelligent, jamais ronflant ou pédant, embrassant les contraintes qui libèrent. Le poème Monterey, un de mes préférés, traduit bien à mon avis le projet d'ensemble, je laisse parler les vers :

"Bonsoir Monterey la musique

Adoucit les moeurs c'est l'unique

Chose que je sais dans la vie

Je suis musicien grâce à Dieu

Qui m'a donné ce don précieux

Chaque jour je l'en remercie


C'est pour vous que je joue ce soir"

Un violent accord de guitare

Laissait flotter ses harmoniques

Les gens riaient buvaient leur bière

Agitant leurs briquets en l'air

D'une façon métronomique


Moderne, enthousiasmant, évoquant les gens et la vie à ras du sol, le recueil de Guillaume Decourt nous élève près du ciel, sans jamais prétendre à l'essentiel... et pourtant Chris Graham nous émeut à un point incandescent, d'autant plus que son absence plane sur ces moments disparus mais pas oubliés. Au pays du cheddar, du Coca et du bacon, laissez-vous envoûter par les fictions poétiques délicieuses, façon épopée du quotidien, de Guillaume Decourt. Pour quelques Graham de vie. C'est tout simplement formidable. Impeccable. Magnifique. Voilà un vrai poète.

                                                                                                                                                                  

Le Bonjour de Christopher Graham, Guillaume Decourt, AEthalidès, mars 2023, 72 p., 16€



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