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Le Dernier jour du tourbillon, Rodolphe Casso (Aux forges de Vulcain)

 Roman du partage, des orages amoureux, des confessions avinées, de la gentrification, du blues et du jazz aussi. Les buveurs se font poètes du zinc, fantasment leur vie et vivent leurs rêves en sirotant des Get 27 ou en rejouant à Street Fighter sur arcade, le tout dans une ville en mutation. Les bobos, les hispsters, les babas veulent prendre le pouvoir mais les bars PMU résistent en plein Paris. Les amitiés d'un soir résistent aux voisins grognards, aux trafiquants de drogue, à la police, et même la musique s'en mêle pour enchanter les derniers jours du Tourbillon, ce rade qui sent bon le passé avec ses piliers de comptoirs, ses descentes et son sol, un carrelage de casson où s'épanouit Casso, bel écho aux caissons du quatuor à l'envers, des Quartet bien à l'endroit. Oui, ce roman enlevé et gourmand retourne la tête comme un voyage éthylique au bout de la nuit. L'alcool libère la parole, libère les frustrations au rythme des lampées d'Apérol (boivent-ils de l'Apérol d'ailleurs, je ne crois pas) pour oublier une petite amie partie. Pour se retrouver finalement la barbe en friche, à errer quelque part dans Paris...

Voilà un roman que j'ai apprécié de bout en bout. Populaire, gouailleur, plein d'humour, ce troisième livre de Rodolphe de Casso est un feel good plein de blues, de petites joies partagées face à un monde en pleine transition. Transition personnelle car le héros est un type un peu perdu, en plein chagrin d'amour, qui débarque au hasard dans ce rade de quartier. Transition urbaine aussi, avec ces vieux bars rachetés par les opportunistes de tout poil. Au fond du verre, on y parle embourgeoisement et gentrification. Un bouquin doux-amer dans un rade qui fleure bon la camaraderie et le calembour, proportionnellement aux litres d'alcool avalés. Un petit noir, un petit rouge, des grandes blondes, des piliers sur le zinc... Rodolphe Casso fait revivre tout un monde sur le point de disparaître : des gens plus vrais que nature, des quartiers de grande ville rattrapés par les logiques de la métropolisation. Et le partage, l'amitié, la camaraderie dans tout ça ? C'est un peu toute cette humanité cachée que l'auteur tente de transmettre par une écriture allègre, drôle, poétique, précise sans jamais être jargonnante. Si la grande ville anonymise ses habitants, les bars font le dos rond pour remettre un peu d'humain sur le zinc. On adore ces descriptions citadines, ces portraits de proprio, de voisin, de caïds ou de gars paumés, écorchés, ravinés par les visites trop fréquentes de leur bistrot préféré.

Mon petit Gus, voici comment on prépare ce cocktail divin de mon invention, qui a terrassé plus d'un soiffard, m'a permis de nouer d'éternelles amitiés et m'a ouvert la couche de tant de femmes superbes. J'ai nommé : le Get Privé !

Pas mal de joie et d'amertume se dégage de ce livre. On s'y sent bien, accro à cette faune improbable de gars et de filles qui n'auraient jamais pu se rencontrer ailleurs, entre musique et poésie, blues et mensonges. Une scène m'a foudroyé car magnifiquement amenée, quand le gars que personne n'attend prend son courage à deux mains, monte sur scène et fait chavirer le bistrot en totale impro sur des airs et des tempos enivrants. Un vrai magnétisme dans cette séquence de toute beauté. Un bouquin à l'image de ce qui se fait chez cet éditeur, et notamment dans La Tour de Garde. On y parle de transmissions, de partage, de bons vivants. Serge Gainsbourg et Boris Vian ne sont pas loin mais j'ai adoré les textes-chansons-poèmes de Rodolphe Casso himself. C'est drôle, c'est beau, c'est intelligent et le gus devrait écrire des recueils de poésie, j'vous le dis moi :

Tu dis me trouver beau / Tu prétends boire mes mots / A moins que ce ne soit / Un soupçon de  vodka

On s'endort / Ivres morts / Nous ne le f'rons pas à jeun / On s'endort / Ivres morts / Nous le f'rons demain matin

Un roman pop, plein de charme désuet grâce à une écriture gonflée de bulles, emportée par son tempo claqué et imprévisible. Beaucoup d'empathie et de justesse dans cet hommage aux inadaptés, aux soiffards, à leurs errances et à leurs délires, à leurs chagrins, à ces quartiers qui disparaissent sous l'injonction du branché et de la rentabilité. Un livre truffé d'anecdotes qui sent furieusement le réel et vous donne finalement une jolie gueule des bois. Alors oui, l'alcool ça sert peut-être à oublier les emmerdements, les amis de sa femme, les années d'infortune et la vie commune, ça sert à se donner l'illusion que l'on existe, mais ça sert aussi et surtout à parler de tout et de rien, à se faire des potes le temps d'une soirée ou pour la vie. Le Dernier jour du tourbillon, j'te kiffe j'te kiffe j'te kiffe j'te kiffe !

                                                                                                                                                                     

Le Dernier jour du tourbillon avant que tout s'effondre, Rodolphe Get Casso, Aux Forges des tonneaux de pastis de Vulcain, avril 2023, 191 p de déco joliment ringarde., 20 € la marche du monde

 

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