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Le Diplôme, Amaury Barthet (Albin Michel)

 À ne fréquenter que les éditeurs indépendants, j'avais oublié qu'on pouvait lire de bons romans chez les "gros". Oui, je ne lis jamais de livre Albin Michel mais tout ça, on s'en fout un peu. Je débarque donc dans ma librairie préférée le sourire aux lèvres et j'ouvre au hasard Le Diplôme d'Amaury Barthet, appâté par un réseau social. Je lis les trois premières pages. Ça parle d'un prof d'histoire-géo désabusé : "Au fond, j'avais hâte d'être à la retraite." Ce style accrocheur dès les premières lignes, je ris dans ma barbe et aussitôt j'achète la bête. "Si l'auteur parvient à tenir ce rythme, je risque de ne pas m'ennuyer" me dis-je. Eh bien ce fut le cas. Mieux, il m'est arrivé de rire franchement juste après m'être dit, l'air pénétré, oui la France a un gros problème dans son rapport au diplôme, comme être planté devant des serrures rouillées dont on ne trouvera jamais les clés. Parce qu'il est question du diplôme et de l'inégalité des chances sur le marché de l'emploi, ici. Notre héros se contente d'un poste minable en banlieue parisienne. Il se fait humilier par les élèves mais il l'a accepté ("Je me mis alors à enseigner le programme en fournissant un effort minimal, sans attentes vis-à-vis des élèves, dans une atmosphère de laxisme total. Mes cours s'apparentaient à des séances de garderie chaotiques au cours desquelles je ne tentais même plus de me faire entendre"). C'est en outre la fin avec Cécile, l'insupportable Cécile, avec qui il vit depuis douze ans. Peu de temps après, il croise le tapis roulant de Nadia dans un centre de fitness et ça matche aussitôt. Nadia, malgré sa culture et son intelligence, range des vêtements dans un grand magasin de Paris. Incrédule, notre narrateur va tenter de lui trouver un job à la hauteur de ses compétences et mérites, quitte à jouer un peu avec les règles. Mais quand les règles sont faussées dès le départ, tricher n'est pas tricher, c'est simplement rendre le réel plus conforme à ce qu'il devrait être, point.

Moment très sympa que m'a procuré le jeune auteur Amaury Barthet, dont c'est le premier roman. Le romancier connaît son sujet, il doit avoir plein de potes profs. Il connait aussi la fabrique du savoir et les chemins pour y parvenir. Le fonctionnement des grandes écoles de commerce, les cooptations dans les grandes entreprises, les classes prépa... Une phrase résume tout à un moment, page 69 : "Les établissements prestigieux n'ont pas besoin de dispenser des cours de qualité, il leur suffit de recueillir les jeunes déjà éduqués, de les hiérarchiser par le concours, puis de dissimuler leurs avantages de naissance avec une formation prétendument exigeante ; un authentique blanchiment d'inégalités." Ce que reconnaît aussitôt Henri, le frère du narrateur passé par HEC, évoquant une émulation intellectuelle limitée, ce que confirment beaucoup d'élèves passés par ces écoles, moins occupés à travailler qu'à faire des bamboches démentes et élire le "mâle officiel"... Le navet "BDE" de Michaël Youn en est une belle illustration.

Je refermai l'ouvrage. Que fallait-il en conclure ? Tout simplement que pour Nadia et moi, il n'y avait rien à espérer. Toute notre vie, nous serions estampillés comme des étudiants de fac, et toute la sienne, Henri serait reconnu comme un brillant HEC. Le diplôme nous avait marqués au fer rouge. 

Mais revenons à ce bon roman d'Amaury Barthet. Du rythme, de l'énergie, un ton désabusé, une histoire sur le fil de la vraisemblance mais qui tient la route, avec une apparition de Nicolas Sarkozy et son hochement d'épaules. J'ai même pensé à Brune Poirson dans quelques pages mais on le sait, la littérature n'est que coïncidences troublantes. C'est aussi malin, l'auteur s'appuyant sur des textes de spécialistes pour enfoncer le clou. On recrute moins des personnes compétentes que des gens surdiplômés (mais pas plus compétents), validant avant tout un statut social. Ses personnages sont bien campés : le prof désabusé un peu mou, la bourgeoise acariâtre, ceux et celles qui gonflés d'un narcissisme exacerbé croient qu'on leur doit tout (symbole : une dalle TV) et les méritants, les travailleurs, ceux qui bûchent, mais aussi les militants de pacotille et cette curieuse escort girl. Sauf que le réel est parfois bien mal ordonné et l'on risque de se brûler les ailes. Pas de manichéisme mal placé  ici, un danger dans ce genre de roman, et un vrai sens de l'humour, à plat, détaché, qui fait penser aux saillies houellebecquiennes. Page 131, un très beau passage sur les boîtes de maquereaux, juste après un passage sur le saint-nectaire : "Par ailleurs, malgré la hausse de mon pouvoir d'achat, je demeurais un fidèle consommateur de maquereaux et de sardines en boîtes, depuis peu je m'étais même autorisé à franchir le cap des conserves La Belle-Îloise." Grinçant, notamment toutes les séquences avec l'escort, malin avec du souffle, Le Diplôme est un roman qu'on ne lâche pas, qui divertit et fait passer un bon moment, remettant quelques idées à leur place. Le roman se termine avec gyrophares et teints livides, le lecteur la tête à l'envers dans ce final explosif aux allures de chaos politique, sur une note douce-amère ("J'y croyais pourtant"). Un premier roman réussi qui en appelle d'autres. Bien joué monsieur Barthet !

                                                                                                                                                                      

Le Diplôme plaqué or, Amaury Barthet CEO littéraire, Albin Michel Houellebecq, 222 p. activement désenchantées, 19,90€ la falsification du papier d'HEC

  

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