Accéder au contenu principal

Le plus court chemin, Antoine Wauters (Verdier)

 On se sent si bien dans les mots d'Antoine Wauters, on s'enroule dans ses phrases entourées de blanc et de silence, on s'y love avec le sentiment rare d'être chez-soi, à la maison, dans un cocon rassurant. Ce cocon, c'est celui du partage des choses simples, l'écriture et l'enfance, un retour par les mots vers nos aînés, les lieux qui nous ont façonnés. Des villages en Belgique, l'école et son ennui profond, des lettres et des mots, encore des mots qui unissent et séparent. On se laisse envelopper par ses pensées d'écrivain, de fantôme, de gamin qui ne s'atteint pas, qui vit peut-être en voisin de sa vie. D'où l'évocation de la schizophrénie du romancier et ce besoin pour l'auteur de revenir sur sa propre enfance, expérience intime dont il nous présente la part d'universel sans aucune prétention sinon celle de toucher du doigt le fond d'une âme simple.

Je pourrais écrire pendant des heures sur les beaux livres d'Antoine Wauters, romancier et poète. Oui,un auteur qui habite le monde avec ses mots, ses images, ses souvenirs, les sensations d'époques révolues. A sa façon, il dessine un continent de la douceur, peint des terres de consolation éclairées par une petite flamme en train de vaciller. C'est ce vacillement que l'écrivain tente de capter, les images entre les fondus, "les années avant la cassure", la fracture. L'écriture vient du manque semble nous dire Antoine Wauters, d'une brèche qu'il faut combler avec les mots, on n'a pas le choix. Et sans doute faut-il avoir un peu souffert même si A. Wauters ne l'écrit jamais ainsi. Il laisse entendre, laisse voir dans les blancs de la page qui laissent respirer sa pensée, les traces de sa pensée. L'écriture et l'enfance, l'amour surtout et le manque. Tout écrivain/romancier en herbe devrait lire ce plus court chemin vers la vie qu'est l'écriture, qui a à voir avec la nostalgie et le dialogue intérieur. La quatrième de couverture dit : "Car écrire, c'est poursuivre un dialogue avec tout ce qui a cessé d'être visible. Par-delà la nostalgie." Oui et même un dialogue entre soi et soi, l'adulte et l'enfant qu'on était sans trop savoir à quoi il ressemblait finalement. Un dialogue entre soi et les souvenirs fuyants, entre ce qu'on est devenu et les années de formation.

Mais moi, Pépé me fascinait et je m'entraînais chaque soir à prier comme lui. Mon rêve : m'éveiller en ayant la foi. 

Antoine Wauters nous parle de ses imaginaires nourris par les paysages, les grands-parents, Charles et Lorraine, la graphie et le son des mots. Incroyables ces pages sur ces sportifs de notre enfance qui évoquent Monica Seles, Jordan, ou Heike Dreschsler. Des mots pour dire, se fixer une fois pour toutes et d'une certaine façon trouver sa place au milieu des fantômes, trouver son tempo et son chrono, s'insérer dans la bonne vague. Sonder l'inconnu qu'il était, ces êtres chers et ces figures qui le terrorisaient, comme cette horrible institutrice, Cheval, Madame K. qui "hurlait comme une possédée". J'ai souligné à chaque page des phrases qui pourraient constituer un autre livre de citations, sur l'écriture, le sentiment d'être écrivain et ce passé qui colle aux semelles. J'ai aimé la sincère humilité (et ce n'est jamais de la fausse modestie) de l'écrivain qui semble nourrir un complexe d'infériorité dans un milieu qui n'est pas le sien (le milieu littéraire). Le rapport à la terre, à une attitude "plouc". Antoine Wauters ne s'excuse pas, il raconte d'où il vient, l'exotisme urbain, les mythologies locales, les marques d'amour, l'idée d'être lui, ce "je" inconnu, l'impossibilité de se mêler aux autres, cette solitude.

Notre inspiration, nos jeux, comme des produits d'importation, venaient en droite ligne des Etats-Unis. Le Santa Monica Track Club, les Charlotte Hornets, les Spurs de San Antonio. Aujourd'hui, les films et les histoires dans lesquelles on parvient à se plonger sans trop de peine, quand arrivent le soir et l'oubli, c'est Netflix. Quand ce n'est pas le cas, on s'emmerde. Et cet ennui aussi a quelque chose d'américain. 

On ne s'ennuie jamais, on souligne, on écrit, on s'inspire et on ressent finalement la touchante proximité d'un double. Je ne suis pas belge et je n'ai pas vécu dans des patelins en Wallonie mais, c'est la magie de la littérature, de rapprocher ce qui paraît si lointain, de raccourcir les distances. Avec Antoine Wauters, on a les mêmes références, les mêmes souvenirs. A. Wauters écrit avec une folle simplicité, une belle humilité et on se dit qu'au-delà d'être un mec bien, cet auteur est diablement intelligent dans son écriture. Je le répète mais on pourrait citer cinquante pages du livre, tenez celle-ci, p.97 : "J'ai passé tellement de temps dans le silence des mots, à chercher je ne sais pas très bien quoi mais à ne cesser d'entendre, d'apprendre, de lutter, en équilibre sur la corde raide de ma propre "vérité", que tout retour au réel partagé me coûte. Je me perds dans les dîners. Ce qui semble évident pour les autres est pénible pour moi. Quelqu'un qui écrit revient toujours de loin, c'est un revenant. Ses absences en sont-elles davantage pardonnables ?".

Le plus court chemin est un très beau dialogue avec soi et avec le lecteur. Les questions  d'A. Wauters sont les nôtres, ses fantômes aussi et le quotidien de l'enfance devient une touchante expérience de vérité où l'on communie en douceur dans l'amitié des mots. Un grand merci à l'auteur pour ce très beau moment de lecture, consolatoire et nostalgique, comme "un bonheur différé", "la joie du regret". Toucher le coeur des taiseux, le corps des heureux. Rassembler ce qui a été dispersé, retrouver par les mots ce qui est avant les mots. Essayer de retrouver ce qui a été perdu, là où se trouve le manque.

Il est amusant de constater, alors que je place les dernières pièces de ce puzzle, que ce qui a tué mon enfance (les mots) m'a également sauvé la vie.

                                                                                                                                                                       

Le plus court chemin (vers le bonheur) Antoine Wauters Griffith-Joyner, Verdier Svetlana Boginskaya, septembre 2023, 241p., 19,50€ la sortie vélo




Commentaires