Grand plaisir de découvrir un peu de poésie européenne dans la nouvelle collection des éditions des Carnets du Dessert de Lune. Une remarque formelle pour débuter. Quand bien même nous ne parlons guère le bulgare, il est toujours plaisant de disposer de la version originale et de la traduction, au moins pour comparer les typographies, la composition. Et puis c'est une autre forme de poésie que de laisser l'oeil se promener, buter, sur une graphie étrangère, des mots inconnus qui deviennent poésie étrange. Bien vu également le cahier central pour en apprendre davantage sur l'auteur, son oeuvre, la traductrice, là encore dans les deux versions !
Puis on plonge dans les poèmes de la vie ordinaire de Guéorgui Gospodinov comme on se balade en terre étrangère, en terrain connu, en terre inconnue, là où nous ne sommes pas, là où nous sommes par les mots et les sons. Non pas un recueil de voyage, non pas un manuel des villes de l'Est mais un livre sur l'absence, la disparition et la désertion. Une géographie de l'au-delà en présence des corps et d'une langue. Petits poèmes, courts fleuves de sagesse qui évoquent les crimes matinaux, l'impossibilité de casser le poème car le temps est une bombe à neutrons. Comprendre la pureté de l'après-midi, notre légèreté qui s'y reflète, la puissance du désir et sa violence à chaque page d'un livre, dans les parcs derrière des arbres au croisement de chaque phrase. L'amour comme un travail, un vol matinal, une sérénité fluide dans le bruissement des lèvres, entre soleil et avion. Un vers, une cassure, une image un vide, une collection de cartes postales qu'on ne reçoit pas. Le passé qui fait mal, les mots déchirés et le café mal torréfié parce que le prix des séparations a baissé. Laissons parler les cigognes, les grenouilles, les coeurs pour étudier nos présents gentiment hantés. A Ljubljana, à Rome, place des Vosges ou à l'Est, à Francfort ou à deux pas du jardin du Luxembourg, la géographie goûte et sèche dans les retours vers le présent. Et toujours ce spectre du retard, de la perte de ces instants où nous ne sommes pas. Mais la poésie ramène à la vie et l'auteur brosse l'image d'un secret, d'un paradis où tous se retrouver. Des titres, des morceaux de vie où les poissons n'ont pas de karma et où il est interdit de faire pleurer les girafes. Bande d'innocents, saurez-vous embrasser la mélancolie du panda noir ? Le bus s'en va. "Je descendrai un jour/ maintenant c'est trop tôt."
Là / où nous ne sommes pas / c'est éternellement l'après-midi / et l'été, mouche et ciel / et tout ce qui / n'a pas été, / mais a tout de même été, / est là.
Jolis fragments d'une voie joyeuse dans la solitude. Un recueil doux et espiègle. On aime beaucoup !
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