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La chair est triste hélas, Ovidie (Fauteuse de trouble, Julliard)

 Pourquoi une telle fascination pour un truc si ordinaire ? Oui, pourquoi le sexe fascine-t-il autant et comment piège-t-il dans des impératifs impossibles ? Ovidie, en grève du sexe depuis quatre ans, nous livre son expérience de femme qui a la haine des hommes (au lit), pas des hommes en général. Elle nous parle de son rejet du sexe hétérosexuel, de son immense sympathie pour les bonnes-soeurs — des féministes avant l'heure ! — de ces proches qui sont plus que des amis et moins que des amants. Bon, je ne me suis pas reconnu dans tous ces portraits d'hommes nés dans la culture du patriarcat. Et c'est justement ce qui m'a intéressé. Ovidie parle d'un monde qu'elle connaît bien, restitue une expérience qu'elle n'estime pas traumatisante, et livre surtout un regard pétri de questionnements et d'uppercuts. L'autrice me parle d'un monde que je ne connais pas ou peu. Une réalité que vivent des millions de femmes, une réalité glaçante, celle du viol ordinaire au sein du couple, des marchandages routiniers, des servitudes volontaires, des souffrances qu'elles s'infligent pour perpétuer le contrat du couple, du sexe. Je suis un homme et c'est peu dire qu'ils en prennent plein la tronche. Et je m'en fous pas mal car ce livre n'est pas une thèse ou un manifeste mais un exutoire cohérent, sincère, courageux et diablement intéressant. A l'image de cet avant-propos bien placé, utile pour comprendre la démarche, et parfait pour désamorcer un bon nombre de critiques. 


Ovidie a gardé un fond romantique mais elle n'en peut plus des pitoyables danses de la séduction, toutes plus ou moins marquées du sceau de la violence. Il y a un problème dans les relations homme-femme — inégalités perpétuelles, dissymétries — et Ovidie se charge de nous dire pourquoi à la lumière de son expérience. J'ai aimé ce récit pour beaucoup de raisons. Pas d'écriture sèche ou universitaire et pas non plus de phrases entendues mille fois. Un style nerveux, musclé, hargneux que je n'ai jamais trouvé trop agressif. Contrairement à beaucoup, Ovidie argumente avec précision, les mots sont choisis. Un titre volontiers provocateur qui ne traduit pas à mon avis le coeur du propos. Ovidie s'interroge, témoigne de quelques certitudes, justifiées à la lumière de ses expériences. Mais, et c'est là tout l'intérêt, elle laisse également quelques portes ouvertes sur le respect, l'amour, la possibilité du sexe. Certaines réflexions, à contre-courant, surprennent. Le viol qui, visiblement, n'est pas traumatisant pour elle. La responsabilité des femmes dans ce système de domination. Il y a quelques généralisations, jamais gênantes pour ma part, puisqu'elles s'inscrivent dans un propos plus large et souvent convaincant sur les rapports homme-femme. 

Un livre qui ne manque pas d'autocritique, d'autodérision parfois, et d'humour bien placé. Une distance qui renforce le propos. Il y a enfin ce court et émouvant chapitre sur son frère, parfaitement dosé, et qui éclaire l'ensemble. Vous lirez, mais la haine d'Ovidie n'a pas que les hommes (au lit) pour objet. J'y vois plutôt un livre qui s'interroge sur les rapports amoureux dysfonctionnels au sens large, l'essence profonde des hommes (et des femmes), toujours mystérieuse. Un programme sans fin. Voilà un récit qu'on ne lâche pas. Un récit qui m'a interpelé, fasciné par sa rage pleine d'énergie. Une colère saine. Lisez bien l'avant-propos pour ne pas vous tromper d'analyse. J'avais lu une BD d'Ovidie chez Delcourt, très belle et sensuelle. Dans une posture très différente, j'ai retrouvé une Ovidie féministe et rebelle, authentique fauteuse de trouble. On a beaucoup aimé ce livre, courageux et sincère.

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