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Les beaux jours et les autres, Julien Baer (dessins de P. Katerine), Seghers

 Voilà un magnifique recueil de cinquante poèmes, une bouffée d'air frais dans le tout petit monde de la poésie. Je ne connaissais pas Julien Baer. Après lecture de ces pages, visionnage d'une vidéo sur Youtube à propos d'un livre jeunesse, écoute de chansons et quelques clics sur la toile, je suis sous le charme. Les beaux jours et les autres est parfait en tout point, en ce sens qu'il s'adresse à tous. Je l'ai écrit ici, je suis un peu fatigué de cette poésie d'intellos à laquelle je ne saisis que dalle même si, récemment, un proche a tenté de m'expliquer par le texte (Monchoachi, STREITTI, La Confrontation, chez Obsidiane) pourquoi il fallait passer parfois par des poèmes "obscurs" pour être en mesure d'accueillir le monde ("la saisie conceptuelle du réel"). Avec Julien Baer, j'ai l'impression d'être dans le mouvement inverse, dans la saisie réaliste du concept, une douce et tendre captation des gestes ordinaires, des géants minuscules. Des mots alambiqués pour dire que la poésie de Julien Baer est claire, limpide, d'une joie innocente. Solaire et jamais scolaire. Aucun prix à payer ou à consentir pour cheminer vers la clarté. Les poèmes sont des images de l'amitié, du souvenir, d'insolites concerts en territoires ordinaires. Et ce n'est pas pour nous déplaire...

Partir du style ? En parler ? Mais non, bien sûr, les rimes, ça suffit, c'est facile, ça donne tout de suite un style. Il faudrait plutôt évoquer le vol des oiseaux même si les rimes aident un peu, éclairent, et qu'on y voit mieux après. Quoique. A lire les deux compères, je ne suis plus si sûr que l'existence soit si complexe, à rebours de la quatrième de couverture. Donc pas de formule simple à résoudre, seuls les beaux jours et les autres. Et les autres ne sont pas si noirs ou blancs. Des petites caisses remplies de trésors, qui renferment des champions du monde de rien, qu'on ouvre sans effort. Où chaque vers tend vers l'énonciation d'une petite vérité fugace qui s'appelle l'humilité, à laquelle répondent les dessins épurés, tout en douceur, de l'immense Philippe Katerine. Quelques traits, un pendentif en coeur, un lancer de dés, un cartable, le ciel et les oiseaux pour dialoguer en silence avec les vers choisis de son ami, sur le tempo des gens attentifs aux éclairs du quotidien. Et ce n'est pas compliqué de regarder, simplement regarder, vers le ciel et les autres. Le bonheur est là, entre nos mains, j'en suis quasi certain, c'est un ami rêveur qui me l'a dit. Et d'ailleurs la vie n'est que surprise, et c'est pourquoi on repousse le point final, et c'est pourquoi on prend son temps. Pas d'inquiétude, quand tout est fini, tout recommence, les pages se tournent à l'infini.

Ô teckels !

Sur leurs corps de saucisse

Quels visages délicats !


Nous sommes comme les teckels

Sublimes et ridicules


Jouant du banjo

En rêvant d'opéra


Nous sommes comme les teckels

Des géants minuscules


Un recueil pour réhabiliter l'art de la rime, devenue suspecte en poésie ces temps-ci. C'est que Julien Baer est aussi musicien, mélomane, amoureux des rimes, en aucun cas poète vegan. Il joue avec elles sans s'escrimer. Des rimes pour imprimer le rythme sans jamais pousser son texte au régime des assonances. Une douce gymnastique musicale, simple, basique, et sans frime. Arrive un moment où les mots sont impuissants à exprimer l'enchantement d'une lecture. Ne le sont-ils pas toujours, d'ailleurs ? J'y arrive à ce moment de la sécheresse et de l'impuissance. Comment traduire, avec mes mots, ce que j'ai ressenti à la lecture ? Je l'ignore, mais j'ai perçu dans ce recueil le puissant tempo de la vie, les élans innocents des premières fois, une tendresse des instants perdus, une fraîcheur et des chansons sur l'absence de sens, sur les gens, sur l'impossibilité de couvrir un événement par la photo, leur préférer les mots, éviter de les surexposer. Pas de blanc, pas de noir, pas de rose, juste du gris et parfois de l'ennui, qui précède la basculement du monde, le dérapage dans un festival normal, un silence discontinu. Oui, la vie est un festival normal. On mange l'histoire de nos aliments, pas seulement leur chair, la vie et le travail de l'agriculteur, pas seulement son champ, et celle de Julien, l'écrivain, le musicien. On lit ses mots mais on lit aussi son rapport au monde, son stylo, son passé, ses joies ses peines, son devenir-livre ("Je deviens le livre / Sa reliure / Le papier, l'écriture / Au mot "fin" / Enfin / Je redeviens Julien").


On attend

On espère


Il n'y a pas de programme précis

Il n'y a rien de spécial à faire


Les gens viennent du monde entier

Il dure depuis des années


Il ne s'arrêtera jamais


Un recueil pour sourire et rire, sans toujours se prendre au sérieux, avec le plus grand sérieux néanmoins. Equilibre subtil à maintenir. Un poème, c'est de la chimie entre le son et le sens, entre le drôle et le triste, entre un poète et son lecteur, équation mystique dont on n'a pas toujours, jamais, la recette. Voilà / C'est compliqué / Il n'y a pas de clef. Mais il faut croire au ciel, éviter les sujets qui fâchent ou perdent. La mort / C'est un sujet délicat / N'en parlons pas. Mais l'amour, oui, surtout pour l'imaginer, l'anticiper, rêver de son souvenir :

Je garderai tous ses messages

Ses photos sur mon téléphone


Son numéro évidemment

Et même celui de ses parents


Je me souviendrai du hamster

Qu'elle avait eu enfant, Albert


De notre premier rendez-vous

Au métro Corentin-Cariou


De nos vacances au cap Gris-Nez

Où il avait plu tout l'été


Elle me prenait souvent la main

En souriant, comme ça, pour rien


Et puis soudain nos mots durs

Je n'oublierai pas la rupture


Je ne la connais pas encore

Mais je garde comme un trésor

Ces souvenirs d'un amour futur


"La langue est belle / Le style est tel / Qu'on croit au ciel." La vie en poésie, la vie sur un fil. "C'était facile / Il fallait juste suivre le fil / Celui qui va du sol au ciel / De il à elle ". Formidable recueil de flèches décochées en plein dans l'âme. Toucher le coeur des vivants, des enfants qui n'en sont plus, des écrivains et des lecteurs, des terres de couleurs en chapitres et virgules, des héros ordinaires, les gens quoi, et "cette présence, ce géant qui nous protège de loin.". Avec malice et une grande qualité de touché, de mélodie, comme dessiner le continent des sourires et des déçus (Mémoires). Parce que la vie est parfois triste, il faut sourire. Parce que la vie est parfois belle, il faut pleurer. Les beaux jours et les autres ne sont jamais gris aux côtés de deux snipeurs de la douceur, adossés à un noisetier suprême. 210 pages de soleil en plus. Splendide !

                                                                                                                                                                      

Les beaux jours et les autres ça ne s'arrêtera jamais, Julien Baer aux mots, Philippe Katerine aux photos, Seghers l'insolite, avril 2024 pour se découvrir d'un fil, 19€ toute l'histoire, 210 pages de soleil en plus.


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