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On fait parfois des vagues, Arnaud Dudek (Anne Carrière)

 Une rentrée littéraire en douceur avec le nouveau roman d'Arnaud Dudek qui, après avoir laissé de belles traces, enquête sur celles d'un narrateur et de son géniteur. Un enfant, des parents, une classe moyenne ordinaire et patatras, un beau jour, le séisme : son père n'est pas son père. Indifférent, distant, taiseux, il a toujours eu un comportement étrange. Une affaire de magazines, de spermatozoïdes, de génie biologique, d'identité et de place dans le vaste monde. Le début d'une quête sur ce qui façonne, sur les manques et le besoin d'être aimé.

Soyons clairs, je n'ai pas été submergé par la vague géante de Nazaré mais c'est toujours un plaisir non feint que de retrouver la prose de l'auteur : délicate, pudique, elle tente de rester à bonne distance pour capter une forme de fragilité propre à toute instabilité émotionnelle, à toute quête qui met en jeu votre identité. Une plume toujours drôle aussi — on croise un castor arthritique, Ribéry à la Fiorentina —, une façon de neutraliser la gravité du sujet, le trop grand sérieux des émotions. Il faut savourer ce portrait de fonctionnaire qui gâche sa vie à écrire des polars. Pourquoi écrire, perdre son temps et gagner des clopinettes ? Ce tableau sensible de la paternité. Pas facile d'élever un enfant, de lui témoigner ses sentiments quand votre nature incite au détachement. Mais le texte s'ingénie à faire sentir les choses plutôt qu'à les nommer. Parti-pris éminemment intéressant qui nous laisse parfois sur le côté, avec le sentiment que la prose reste en surface, ne creuse pas suffisamment cette question de l'identité. Trop allusive, trop pudique. Que pense le narrateur de dix ans ? Celui de trente ans ? Et les pères ? Il faut lire entre les lignes, comme si affronter des démons invisibles exigeait trop de nous. Alors on laisse parler les interrogations, laconiques elles aussi, qui flottent et se perdent en l'air, on imagine le corps d'une lettre sans toujours trouver les réponses, les bouées auxquelles s'agripper. On avance comme on peut, entre le deuil de Mélanie et les non-dits d'un père lointain, les premiers émois. On se construit et on se perd. Mais il se pourrait bien, on ne sait comment, qu'on finisse par retomber sur nos pieds. Arnaud Dudek évite tous les écueils du genre : la sensiblerie, le miel des sentiments, la prise d'otage lacrymale. Exercice ô combien délicat.

En grandissant, je prends l'habitude de vivre à côté de mon père sans en ressentir pleinement la présence, comme si ses contours avaient été floutés pour qu'il se fonde dans le décor, comme s'il était devenu presque invisible —une sorte de décalcomanie, à la Magritte, une silhouette à travers laquelle on voit tout mais qui n'est rien.

Pas submergé par ce livre mais bien touché par ces vagues sépia d'un auteur qui sait écrire avec humour et un coeur bien placé. Court, efficace, drôle, un texte fluide et assez prenant qui vise l'essentiel en suscitant juste ce qu'il faut d'émotion. Peut-être pas la vague de Nazaré mais un joli et mélancolique coucher de soleil néanmoins, pas loin de l'Irlande. 

                                                                                                                                                     

On fait parfois des vagues, Arnaud Dudek, éditions Anne Carrière, août 2020, 190 p., 17€.

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