Il y a du Nicolas Sarkozy chez Maxime Ronet, en début de livre. Jeune, volontaire et ambitieux aux dents longues, il est en outre maire de la petite commune de Nevilly. Un peu de Macron ensuite (vous savez, faire de la politique autrement, changer les choses de l'intérieur, dépasser le jeu des partis). Pour finir plutôt du côté de l'abbé Pierre, tourné vers les autres. Oui, on sait, on grossit un peu le trait d'autant que Maxime Ronet, personnage ni attachant ni détestable, effleure les caricatures d'ambitieux et de cyniques sans s'y soustraire, préférant évoluer au gré des aléas d'un mandat dont les marges de manœuvre sont réduites à la portion congrue.
Avec Laisser des traces, Arnaud Dudek réussit une petite prouesse. Pondre un page turner à partir de la trajectoire d'un simple élu de la République, tantôt sympa tantôt requin. Raconté comme une épopée du quotidien à hauteur de petites gens qui œuvrent dans l'ombre, le récit évoque les rouages du pouvoir entre gloire et vanité, idéal et impuissance. Jusqu'au suicide, le livre s'immisce dans les bureaux, les discours, les éléments de langage, les SMS, les inaugurations, les poignées de main viriles et autres incontournables de la vie républicaine. En ressort un vrai suspense qui vient d'on ne sait où. Outre une écriture efficace, au cordeau, ciselée dans les plis du quotidien, l'immersion documentaire fonctionne à plein. Petites phrases, détails et clins d’œil captent l'air du temps : une époque où avoir la foi dans le changement relève au pire de l'inconscience, au mieux de l'aveuglement. La mort d'une administrée à laquelle été refusée trois rendez-vous et une malheureuse interview en off, mal contrôlée, font vaciller le fragile équilibre. La détermination puis les doutes. Maxime Ronet, élégant désinvolte hanté par une mort soudaine, va évoluer et finir par accorder plus de valeur à la poésie qu'à la quête du pouvoir. Avouons ici avoir été peu convaincus par le revirement du maire, son enquête et l'adultère en puissance avec Alice (dans la réalité, il l'aurait chopé, non?). Mais passons car là n'est pas l'essentiel.
Quand j'ai été élu, je me rêvais en chef d'entreprise de ma ville. Or j'ai l'impression de n'être qu'un prestataire de services... Entre les citoyens et leur maire, on est de plus en plus dans une relation individualiste, consumériste...
Ce livre fin et d'une belle sensibilité, on l'imagine, est aussi écrit pour mettre en valeur tous ces invisibles de la vie ordinaire et toutes ces petites actions indolores, incolores mais gigantesques pour ceux qui les vivent. Un immigré sans papier, un sans-abri, des mal logés. Et la question de l'échelle d'action en politique. A quel niveau est-on le plus utile ? Faut-il viser le Mont-Blanc ou faire passer des oraux blancs ? Quid de l'essentiel ? Mais Arnaud Dudek, par une approche fine, neutralise tout pathos par une ironie à froid pourtant pleine d'empathie. En tout cas, il ne tranche jamais vraiment et laisse l’ambiguïté planer. Même si les dernières pages tendent vers l'optimisme. L'idéal n'est plus d'être Président pour, finalement, ne rien faire et rester un simple nom écrit à l'encre noir dans un manuel d'histoire poussiéreux. Mais œuvrer au quotidien, sans être vu et dans l'anonymat d'un bar avec la bière posée sur le zinc, au bien-être de ses administrés. Une question de point de vue et de priorité. Croire en un idéal au-delà des calculs, des coupes de Champagne et des compliments... L'image d'un homme qui, malgré l’âpreté et l'ingratitude de la tâche, préfère renoncer à ses idéaux pour leur préférer les petits riens qui font les grands tout. Agir plutôt que vouloir changer les choses. Une autre forme d'idéal.
Soyez curieux. Frottez-vous à la vie. Parlez avec les gens, allez sur le terrain. Et quittez les couloirs du Parti. Vous n'y prendrez que la poussière.
De Laisser des traces, on en retient donc surtout l'horizon qu'il propose : plus d'humain en politique, plus de bienveillance, la vraie, pas celle rabâchée dans les lycées et collèges de France. Moins l'ascension individuelle que l'héritage qu'on laisse, moins le pouvoir que son exercice et ce que l'on transmet. Un livre sur une passion bien française qui pose la question de la compatibilité du pouvoir et de l'empathie en politique. Arnaud Dudek mine de rien, pas à pas et livre après livre, laisse sa petite trace. Pas désagréable et engageante tant le regard est lucide et ouvert. Un livre pour les désenchantés qui gardent au fond d'eux une petite lueur ou un peu de foi. Dans une élection à deux tours, le livre passerait haut la main le premier obstacle. A la proportionnelle, le score serait flatteur.
Laisser des traces, Arnaud Dudek, Anne Carrière, mai 2019, 190 p., 17€
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