Le meilleur moyen de me pousser vers un livre, c'est de m'en faire une mauvaise pub. Intrigué, j'en avais donc lu quelques pages en librairie, avant de m'y mettre sérieusement. Eh bien ce livre fut une excellente pioche de la rentrée littéraire 2021. Du genre qui ne donne pas envie d'être en couple, mais alors pas du tout. Le grand amour, le prince charmant etc...blablabla c'est un truc de roman... Voilà un livre net, propre, impeccable, sans bavure et truffé d'obsessions, de passion, de friction, de manipulation, de fission sentimentale. L'histoire d'un couple marié depuis quinze ans. La femme vit un truc incroyable, puisque, tenez-vous bien, elle réalise l'impossible : la passion éternelle, proportionnellement croissante aux années qui passent. Pire (ou mieux), la dame semble encore plus amoureuse qu'au premier jour. Elle vit par son mari, pour lui, en lui, sa vie lui est dédiée corps et âmes, peaux et mots sans repos. Car oui, la dame est obsessionnelle. Elle consigne tous les faits et gestes de son mari dans des carnets, de punition notamment. Amoureuse, vraiment ? Ou haineuse, probablement ? Oui, la narratrice semble un peu barjo et parano, passionnée et apeurée, sûre d'elle-même et complètement flippée, elle est follement amoureuse, mais vraiment follement. Elle épie, scrute, consigne, décortique, espionne, tourne en boucle, manipule, égare volontairement des objets, se perd en conjectures et suppositions. L'aiguille du compteur amoureux dépasse très souvent la limite pour finir dans la zone rouge en fin de bouquin (Va-t-elle le pousser par la fenêtre ?). La trahison a lieu le jeudi, la couleur du jaune, son mari la compare à une clémentine, il retire sa main de sa main sur le canapé devant la télé. Ils dorment les volets fermés, il ne lui a pas fait de bisous avant de s'endormir. Petites contrariétés, grosses sanctions...
Quand j'aime, je deviens sévère, triste, intolérante. J'installe une ombre de gravité sur mes amours. J'aime et je veux être aimée avec tellement de sérieux que cet amour devient vite épuisant (pour moi, pour l'autre). Bref, j'ai l'amour malheureux.
Avec une bonne dose de cynisme toujours bien placée (cette femme est un délicieux cliché maximisé à donf'), ce livre trouve l'équilibre parfait entre drôlerie et malaise, avec une tension crescendo. Tout est trop parfait ici, troublant et bien fait. Le comique des débuts se mue alors en lente glissade vers la folie, petite descente aux enfers domestiques à la fois réjouissante et flippante. Mon mari peut même se lire comme un excellent polar dont on attend l'issue avec fébrilité. Il faut d'ailleurs lire ces trois dernières pages pour ce qu'elles sont, la résolution de l'enquête, magnifiques parce que diablement banales, mais créant un twist de ouf. Et même ces deux derniers mots, comme dans Eyes Wide Shut, les dernières paroles, celles qui restent en tête. Oui, lire ces dernières pages éclaire le lecteur sur le reste. Elles viennent confirmer que tout ce qui précède est dans le ton. Maud Ventura s'est ainsi et aussi amusé avec son lecteur, le baladant au rythme des sentiments le long des certitudes déboussolantes de l'amour. Observation au scalpel des vies de couple, de l'impermanence, de la fragilité du sentiment, de la démence intérieure qu'elle fait naître quand on y croit un peu trop ou qu'on se prend trop au sérieux, de ces riens qui en disent long (le regard plongé dans le portable, une main qu'on retire, une façon de se vêtir, les volets fermés). Un livre complètement acide, totalement sucré, assez dérangeant et donc très réussi, comme si la glaçante Bree Van de Kamp se réincarnait sous nos yeux dans un pavillon à la française, quelque part entre Eyes Wide Shut (pour la puissance du fantasme) et Les Liaisons dangereuses (pour l'ambiance sous tension).
Cette scène que je visualise sans effort (je l'ai tant de fois imaginée) me procure un apaisement inattendu. Je n'étais pas folle. Mes angoisses étaient fondées, ma crainte légitime. J'avais toutes les raisons du monde de m'inquiéter : mon mari avait bien pour projet de me quitter.
J'ai été assez bluffé par la maturité du bouquin. Maud Ventura doit avoir 28 ans si j'ai bien compris, et conte la vie d'un couple de quadra. Elle semble connaître le sujet par coeur (la dame anime un podcast sur le sujet, ok, mais quand même), semble y avoir mis un peu de sa personne, et semble avoir déjà tout compris. Être revenue de tout ? Notons l'excellent passage sur les insupportables goûters d'anniversaire des gosses, la clémentine et les clés perdues par un mari tête en l'air... Tout est bien vu en tout cas, fin, délicat, mordant, de l'écriture addictive à l'approche outrancière de cette femme aliénée, pas libre du tout mais très indépendante à sa façon. Pas évidente au premier coup d'oeil, l'approche féministe est évidemment bien vue, auscultant l'écart permanent entre les discours d'injonction au bonheur à deux et la réalité des couples. Un mot Mesdames : libérez-vous du mari ! Ça grince, ça claque, ça corrode... Faussement léger, saturé de tensions. Merci à Maud Ventura d'avoir douché nos dernières illusions en matière de bonheur conjugal. La passion, la friction, l'obsession, pour un cocktail drôle et féroce. La petite musique glaçante du couple... Un excellent premier roman qui en appelle d'autres, c'est une évidence. Bravo et chapeau !
Mon mari (on l'oublie), Maud (l'a)Ventura (du couple), L'Iconoclash, 350 p. de cachotteries, 19 € le café en loucedé
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