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Vendredi poésie #13 : Louise Dupré, Guillaume Dorvillé, Suf Marenda, Ron Padgett

 Vendredi poésie, treizième du nom, où il sera question de sens, de son, de vitesse, de joie et de tendresse, d'humour et d'écriture. Mais surtout de joie, trois fois la joie à fond les ballons dans le ciel où plus personne ne rêve. Panorama large d'une poésie qui met la gomme et fait son burn-out. À moto, avec nos potos mobiles.

Heureux de retrouver la douce poésie de la Canadienne Louise Dupré, aux vertus consolantes et apaisantes. Une poésie simple, épurée, un baume tendre sur nos fantômes, où il s'agirait d'écouter, tranquille, la mélodie du monde, en pratiquant la douceur, aka un sport de combat. Une rivière qui serait la vie avec quelques gros cailloux —la maladie, la vieillesse, les bombes, le deuil — qu'on accueille à bras ouverts, pas dupes de notre talent d'humain pour la mort, avec la lucidité des gens de foi, de peu. Une poésie prête à débusquer la joie et la tendresse, comme une ascèse par les mots qu'on sait à peu près vains et pourtant puissants. La joie dans les recoins, tapie là quelque part, ses angles morts et gris, ses brisures et ses bombes, ses petites morts et ses renaissances, ses résiliences de femme vieillissante. "Mendiante de minuscules joies arrachées à la détresse" nous dit l'éditeur. Fréquenter les ombres pour mieux dénombrer la joie dans "le lait maigre des mots". Louise Dupré parle des femmes, de leurs défis et folies, de marches à l'amour, d'humaine aimante qui refuse de sombrer dans les stratégies du désespoir. Et si les livres n'ont jamais apporté de réponse, les mots le peuvent-ils ? Un très beau recueil, qui nous parle et nous invite à tracer la spirale de la joie. Un programme tout en délicatesse.

"Tu sais aujourd'hui que la joie se trémousse dans les bras du premier venu, peu importe les balafres ou les blessures. Elle tient l'élégance en échec, mais elle sait respirer, elle te fait respirer le bruit vivant qu'on n'entend pas dans les livres trop bien écrits."

Exercices de joie, Louise Dupré, éditions Bruno Doucey, octobre 2022, 134 p., 15€

Mets la gomme / deux fois / frérot / dans un verset inversé / dans un livret décompressé / Car une moto / A deux roues / Et des potos / Qui tournent / Sur le circuit Vanloo / Jantes chromées / Pour tout dégommer / dans un nuage de fumet. Alors moi, je suis un peu teubè et dès qu'on me parle de signgifiant ou de signifié, des noeuds se forment dans mon cerveau de moineau. J'aime la poésie de chez Vanloo car je n'y comprends souvent rien. Des livres qui me résistent, qui résistent au sens, à mon désir de faire sens à tout prix. Résultat, je lis uniquement avec mon corps, attentif aux sons, à l'élan, à l'énergie, aux vibrations du poème. N'écrit-on pas d'ailleurs pour quitter le sens ? Ou ne pas le figer, d'une certaine manière ? À ce petit jeu, il faut bien le dire, je suis très sensible aux mots de Guillaume Dorvillé et Suf Marenda qui mettent du polish sur leurs vers rutilants, du punk dans leur Air Max et du souffle dans leur hornets. Ça file, ça défile, ça swingue, ça fonce les cheveux dans le vent, dans le ciel où plus personne ne rêve, sinon de joie qui voudrait rayonner. Et ça saigne un peu, et ça glisse, ça roule en Chrysler Stratus Cabriolet avec des oies cendrées, ça dérape (mais de quoi est faite la courbe du dérapage ? tiens donc). Des poèmes sensibles à moto, en Ford fiesta, où il s'agit de frapper, voyager, grave, des twix, un pugilat, dans un centre commercial, et puis la foudre, Kurt Cobain qui manque. Mais surtout la vitesse, oui, l'ivresse et la liesse d'une musique, techno Viper sur Nevermind. Des poèmes mal foutus / avec des rimes en U / pour accrocher / son pit bike. Et 1000 brouillards de poèmes, vous connaissez ? Et la douleur des moteurs ? Et les poèmes mascu ? Les deux potos poètes se répondent, écrivent le mêmepoème diff&érent, avec des Quick et des McDo, des courbes et des virages, des manettes chaudes, de l'essence imbibée sur les mots pour finir l'embrayage cramé. Qui a parlé d'esprit de sérieux ? Une poésie qui vit, qui vibre, qui fait rire, un truc de egg hunt que vous ne lirez nulle part ailleurs. Aurez-vous la fibre gasoline ? 

Dans les parcs je passe / ma vie à tenter de / comprendre quelque / chose / Mais je suis comme la / panthère de l'amour /

Mettre la gomme, Guillaume Dorvillé et Suf Marenda, Vanloo, 70p., 9€

Pour terminer ce petit tour d'horizon poétique, ne pas manquer ce Comment devenir parfait signé Ron Padgett, excellent petit manuel de savoir-vivre, dans la simplicité et la tranquillité. Attendez tout, n'espérez rien pour reprendre l'un des mantras du recueil. Ah non, pardon, il est plutôt écrit : "Espérez tout. N'attendez rien." Alors voilà, comment faire ? Life is so awful... Humour british so délicieux, so absurde. Rinpoché s'est réincarné en Ron Padgett : "Be calm in a crisis. The more critical the situation, the calmer you should be". Oui, les livres ont le pouvoir de changer votre vie, but "be loyal", "live with an animal" et surtout, surtout, "if you need help, ask for it." Entre recette de la perfection, conseils simples et sensés, et état des lieux des pires injustices dans le monde, Ron Padgett s'en donne à coeur joie pour pointer nos petites misères animalières (What makes us son mean ? We're meaner than gorillas,"), nos désirs d'éternité et finalement toucher du doigt, avec une belle douceur, nos mystères et nos impuissances : "I'm not even a religious person, I am hardly a person at all, except when I look at you and think that this life with you must go on forever because it is so perfect, with all its imperfections,"). C'est drôle, c'est absurde, c'est tendre et plein de lucidité. We love it !

Comment devenir parfait, Ron Padgett, Joca Seria, 2017, 125 p., 7,50€












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