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Et pourtant je m'élève, Maya Angelou (édition bilingue Seghers, trad. par Santiago Artozqui)

 On le savait déjà mais c'est toujours une surprise. Plus on lit, plus on se rend compte qu'on ne sait rien. Avec la lecture vient la conscience élargie. Ainsi je ne connaissais absolument pas Maya Angelou, encore moins son oeuvre. Camarade de Martin Luther King, de Malcolm X, portant la voix des femmes, des noirs, luttant pour l'égalité des droits, Maya Angelou a connu une vie de traumas. On apprend dans Et pourtant je m'élève pourquoi elle se tait à huit ans, ne s'adressant alors qu'à son frère. On comprend pourquoi prendre la parole devient peu à peu une nécessité, une urgence, comme un instant, un instinct de survie. J'aime de plus en plus les éditions Seghers qui me font découvrir des pépites (la dernière en date est Grisélidis Réal) et mettent en valeur les textes dans de beaux livres-objets. Voir cette belle couverture orangée et ce format poche avec, comme un éclat, le sourire lumineux de Maya Angelou, la tête légèrement inclinée, les yeux fermés. Pop et apaisant.

J'ai donc lu les poèmes de Maya Angelou avec un ravissement rare. Une poésie du coeur, du ventre, des refus qu'il faut bien conjurer. Une intimité à fleur de peau, dans la lueur des mots. Être debout, tomber sans sombrer, puis se relever, toujours, le poing levé, mais un poing de velours qui fend l'air avec passion pour dire la beauté de la vie, des combats, de la poésie, qui est un élégant outil de résistance, face à l'injustice, face aux souffrances. Mélange de rage et de douceur, de grâce et de fureur, la poésie de Maya Angelou parle des allocs, des femmes, des mères, de la condition des noirs dans une Amérique blanche, de l'importance des rêves et de l'éducation, des lieux auxquels on appartient jamais totalement, des rencontres impossibles, de l'amour qui ne dure pas (magnifique Just For A Time) des souvenirs, des hommes et de leurs peut-être, de l'amour, de ses refus et promesses, de la prodigue Californie et de l'Arkansas rural où sourdent les haines et les menaces, les suburbs où dansent des silhouettes sombres, souriantes, oui, toujours souriantes. Les solitudes et les aides sociales, les anonymes comme Willie (Willie was a man without fame / Hardly anybody knew his name), le courage de se lever, de se relever, de finalement s'élever envers et contre tout, sans sombrer dans le désenchantement cynique ou le désir étouffant de revanche. I rise, I rise, I rise.

I've got children to tend / The clothes to mend / The floor to mop / The food to shop / Then the chicken to fry / The baby to dry / I got company to feed / The garden to weed / I've got shirts to press / The tots to dress / The cane to be cut / I gotta clean up this hut / Then see about the sick / And the cotton to pick.

On a envie de prendre Maya dans nos bras et de chanter avec elle, de danser la vie au rythme de ses vers, de ses rimes, de sa prosodie d'écorchée, de regarder les flocons tomber pour qu'ils nous couvrent de silence, de repos. Avec elle, nous empruntons un chemin fait d'images, à la croisée du coeur et des petites terreurs. Et pourtant, she still rises, elle se lève, se soulève et s'élève, pas dupe des héritages mortifères, plein de bienveillance pour ses frères qui ont connu les journées d'esclave. Pourtant, la vie ne lui fait pas peur.

I go boo / Make them shoo / I make fun / Way they run / I won't cry / So they fly / I just smile / They go wild / Life doesn't frighten me at all.      Tough guys in a fight / All alone at night / Life doesn't frighten me at all. Panthers in the park / Strangers in the dark / No, they don't frighten me at all.

Ça swingue, malgré la vieillesse et les coups,  ça pulse et ça balance, et on écoute la voix de Maya dans la fureur et les larmes, noyé dans la beauté. Les douleurs n'ont plus leur place, même si elles sont bien là, d'une façon ou d'une autre. Maya préfère chanter, danser, fredonner sur le beat elle flambe, avec une force rare. Ce qu'on retient ? L'amour des frères humains, le courage, l'amour et l'espoir, la puissance du blues, la bienveillance et les tableaux poétiques d'une langue habitée qui fait du bien, qui fait respirer, qui fait prendre conscience de la chance qu'on a de respirer : "Fall gently, snowflakes / Cover me with white / Cold icy kisses and / Let me rest tonight."

Quelques mots sur la traduction et le beau travail de Santiago Artozqui. Je vais être franc, je préfère toujours lire dans la langue originale, ce que j'ai fait ici. Mais, joie d'une édition bilingue, le lecteur peut "vérifier", ou plutôt sentir le travail de transformation. Un défi souvent impossible puisqu'il faut rester fidèle, prendre un peu de liberté pour adapter sans trahir l'esprit du texte, du recueil. A ce petit jeu, le traducteur impressionne assez, il faut le souligner. Nos yeux se baladent entre les deux versions, attentifs aux sons, au rythme et aux mots choisis. Tout ça pour dire qu'il faut absolument lire la postface du traducteur qui explique magnifiquement son travail, la délicatesse nécessaire et toute la difficulté de la tâche. Pour le simple lecteur que je suis, ces quatre pages d'explication sont passionnantes.

Ce qui est bien avec les livres, c'est qu'on peut les lire et les relire, en anglais, en français, quand on veut. Surtout, on n'a pas envie de quitter Maya dont on se sent proche. Elle ne nous parle pas en poète, elle nous parle comme une amie qui a envie de nous élever par la parole et les mots. Une amie déterminée avec ses mystères, son silence intérieur, qui refuse la compassion mal placée, la pitié. Une femme qui parle aux femmes, se bat (Phenomenal Woman), avec "l'astre de son sourire, la grâce de son style". I'm a woman / Phenomenally / Phenomenal woman / That's me. Oh yeah ! Bump bump bump...

You were my early love / New as a day breaking in Spring / You were the image of / Everything / That caused me to sing.

                                                                                                                                                                      

Et pourtant je m'élève, Maya Angelou, Seghers, 2022, 115 p., 14€ 

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