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Un simple enquêteur, Dror Mishani (série noire, Gallimard)

 Après quelques ratés de lecture (notamment le Bois-aux-Renards d'A. Chainas, écrit avec des gros sabots), un grand plaisir de se plonger dans le nouveau polar de l'auteur israélien Dror Mishani, après le très bon Une deux trois. Avraham Avraham, dit Avi, à peine marié à Marianka, une détective slovène, et usé par les petites affaires policières —des trafics, des homicides sordides qui n'intéressent personne —aspire à intégrer un service central tourné vers l'international, luttant contre le crime organisé ou la corruption. C'est décidé, le commissaire de Holon demande sa mutation. Au même moment, deux affaires anodines en apparence s'offrent à lui : un touriste suisse égaré, qui a abandonné ses valises dans un hôtel. Qui, en tout cas, a disparu mystérieusement. Et une femme, la quarantaine, qui abandonné son nouveau-né dans un sac en plastique à proximité d'un hôpital. De Tel-Aviv à Paris en passant par Gibraltar, Avi va découvrir  une affaire qui le dépasse, impliquant le Mossad et des bandes organisées...


Un polar simple, pas prise de tête, avec un enquêteur simple plongé dans les doutes et les tourments d'une conscience tiraillée. Avi aspire à autre chose que résoudre de simples larcins. Il se rêve parfois en espion, en justicier capable d'apporter un peu plus de paix dans un monde gris et sordide. Compétent, loué par ses pairs, il s'ennuie pourtant. C'est alors qu'il décide de s'intéresser de plus près à ce mystérieux touriste aux multiples identités, tour à tour suisse, israélien, français, qui a disparu sans laisser de traces.
Voilà un polar simple, jamais prétentieux, jamais dans la morale, qui préfère s'attarder sur les cas de conscience ou la folie douce de ses personnages. Quel désespoir vous amène à abandonner un nouveau-né dans un sac plastique ? Quelle machination explique la disparition soudaine des gens ? On aime ce commissaire qui tâtonne, échafaude, hésite, avance avec la lucidité des individus peu sûrs d'eux-mêmes. Il pense aller dans la bonne direction sans le dire, accordant sa confiance à son intuition. Finesse d'esprit, humilité, manque de confiance caractérisent notre cher Avi, pas dupe de ses fantômes, notamment de cette ancienne cheffe, morte récemment et qui lui a laissé une lettre manuscrite avant, elle aussi, de disparaître. Dror Mishani progresse sur un fil entre deux enquêtes, suggérant ici ou là des liens sans jamais les dévoiler, les révéler. Le mystère est entier jusqu'au bout, et même la séquence finale indique une direction sans donner le fin mot de toute l'histoire. 
Oui, le vrai criminel était celui qui sévissait en plein jour, sans se cacher, parce qu'il avait le pouvoir de décider tout seul ce qui était permis et ce qui ne l'était pas.
Original sans être loufoque, Un simple enquêteur est prenant de bout en bout, abordant par petites touches les (dys)fonctionnements des polices, des services secrets, des familles. Oui, toutes les familles sont psychotiques, à l'image de cette mère un peu raciste, un peu tarée, un peu trop aimante, étouffante pour ses enfants. Oui, il est aussi question du Mossad, de compromis en tout genre, de lâchetés, d'amour-passion, dans une version aigre-douce, claire-obscure, du Bureau des Légendes (surtout vers la fin du bouquin). Un roman qui m'a d'ailleurs fait penser à cette scène culte du Bureau des Légendes, d'une tension extrême, où les agents du Mossad traversent un couloir d'hôtel pour aller "nettoyer" une chambre. Un roman avec des sentiments, mais aussi un polar politique sur les pratiques secrètes des Etats et la violence qui en découle, individuelle ou collective. Les fantômes ne disparaissent pas, jamais, vous les croisez dans la rue. Ils prennent aussi la forme d'une lettre manuscrite, parfois. Mais Avi veille, imperturbable, modeste et attentif, guidé par sa seule finesse d'esprit. Un roman parfaitement réaliste et attachant. Bravo Monsieur Mishani.
                                                                                                                                                                      
Un simple enquêteur (de Holon), Dror Mishani-Avi, série noire Gallimard, 2023, 340 p., 21€



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