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Chalumeau ma peau, Eugénie Hersant-Prévert (Les Carnets du Dessert de Lune)

 La collection Lune de Poche des éditions Les Carnets du Dessert de Lune, un petit format de 70 pages maximum pour un petit prix, une poésie contemporaine dont l'écriture vient percuter des représentations plus classiques de la poésie. Une manière de "désacraliser" la poésie. Voilà un programme qui nous parlait. Circassienne-équilibriste, la poétesse Eugénie Hersant-Prévert nous embarque dans un monde en mouvement, sur la crête des sensations. Nous invite dans ses élans de neige, ses poussières de mots et de flocons, les grondements des vagues, plutôt ceux de la mer que ceux d'une mère, les fatigues et les faims, les désirs d'une femme au bord de la nuit, un appétit sous les draps. Il y en a pour les frites toute molles mal cuites au four et les jeunes poètes, les femmes poètes et la vie devant.


La vie à deux la vie seule, le corps et ses débordements, le corps et les assauts du temps, les pages tatouées, le sous-texte grisé comme un écho graphique du poème. On a follement aimé la mise en page de ce recueil, ses trouvailles visuelles et sonores. Quand l'auteure neige, il neige une pluie de mots. Quand écrire ne veut rien dire, il faut couper la phrase et la verticaliser, écaaaaaaaaaaarter les mots, jongler avec et suggérer l'attente du noir au blanc. Ailleurs, des poussières, des décalages ou des vols de virgules, des strophes renversées. Le rythme est dans le vers, dans le blanc de la page et dans cette façon de laisser le poème danser, petits uppercuts au coeur entre Lille et Rennes, sur le périph' ou la piste en cadence. On s'allège on s'endort, on prend froid on tempête, il y a de la vie dans ces vacances à être, dans ce Finistère marin, le début d'une reprise en main quand la Bretagne décide où prendre pied. Le corps dans tous ses états, ses vieillissements, sa jeunesse, son usure, la robe de ses désirs pour tout laisser tomber, pourquoi pas, et mieux marcher, raconter le presque silence, la presque absence, le ressort cassé, les hanches et les grosses branches, cette façon de peser lourd parfois, de se laisser rivières ensuite et de plonger vivante dans la chute d'une langue. Le tempo de la vie.

Je neige pas au printemps / je neige l'hiver l'automne / l'été s'il ne fait pas trop chaud / je neige tellement à vélo que j'ai mis des pneus neige / dans la voiture je neige rarement / sauf s'il neige dehors

Un recueil vif et frais, plein d'énergie et d'élans retrouvés ou perdus, où la malice le dispute à l'attente de l'être aimé, suspendu à une réponse de mail qui ne viendra peut-être jamais, alors on remplit les fûts de larmes et l'utérus brûle d'un rappel à soi, à lui. Sensuellement sauvage parfois, toujours tendre, Chalumeau ma peau brûle de désir et d'amour ("Monstrueusement j'aime des êtres / J'aime d'amour de tendresse de désir / Différemment, j'aime des gens") dans le silence et les heures perdues, l'humour et les voix cassées. Quand la poésie dit mieux que personne comment nous aimons plonger dans une langue incarnée. Et se laisser avaler.

                                                                                                                                                                  

Chalumeau ma peau, Eugénie Hersant-Prévert, Les Carnets du Dessert de Lune, septembre 2023, 7€

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