Vladek Spiegelman, juif polonais, raconte à son fils Art comment il a survécu aux pogroms et aux camps de la mort. Entre autobiographie et autofiction, la Shoah vue à travers le regard d’un des rares rescapés d’Auschwitz. Un classique.
Vladek Spiegelman raconte à son fils Art comment il a survécu aux camps de la mort dans l’Europe d’Hitler. En 1958, à Rego Park dans l’Etat de New-York. Le petit Art a 10 ans lorsqu’il fait du patin avec deux amis, Howie et Steve. Art tombe et vient pleurer auprès de son père car ils l’ont traité de poule mouillée et sont partis sans lui. Ce à quoi son père répond : « enfermez-vous tous une semaine dans une seule pièce, sans rien manger…alors tu verras ce que c’est, les amis ! » Vladek Spiegelman fait référence aux 10 mois épouvantables passés à Auschwitz, un des camps d’extermination nazis pendant la Seconde Guerre mondiale. Il raconte à Artie son histoire tragique, celle d’un rescapé de l’Europe d’Hitler. Pour Hitler, dictateur fou de l’entre-deux-guerres, les Juifs constituaient « une contre-race » menaçant d’altérer la race aryenne. Dans ce contexte antisémite et totalitaire, Vladek raconte l’horreur et la barbarie, en une expérience où la mort est omniprésente. Les persécutions au début des années 30, les pogroms, la ghettoïsation des Juifs polonais, la déportation, la lutte pour la survie au quotidien dans les camps et l’impossible retour à la réalité. En tout, Vladek raconte qu’il aura passé environ 10 mois à Auschwitz et aura réussi, il ne sait trop comment, à échapper à une mort annoncée en occupant des petits boulots à l’intérieur du camp (zingueur, cordonnier…). Sa femme Anja, elle aussi rescapée, se suicida en 1968 et le frère d’Artie, « Richieu », mourut dans un ghetto… Maus, c’est aussi l’histoire d’une relation tendue et difficile entre un père et un fils, le récit d’un auteur de BD qui raconte la difficulté à vivre à l’ombre d’un survivant de la Shoah. Car Vladek est grincheux, antipathique, avare, plein de préjugés et d’obsessions, il porte en lui le malheur d’un drame impossible à formuler, un drame qui échappe aux mots et à toute tentative d’objectivation…
A l’occasion du 25ème anniversaire de sa publication, Flammarion édite conjointement une édition intégrale de Maus et un livre, MetaMaus, qui revient sur les conditions de sa réalisation. Publié pour la première fois dans la revue RAW de 1981 à 1991 aux États-Unis (en deux livres à partir de 1987 en France) et seule BD récompensée à ce jour par le prix Pulitzer, Maus est considéré comme le « premier chef d’œuvre de l’histoire de la bande-dessinée » par The New-Yorker. Les qualités de Maus furent d’ailleurs justement saluées : un traitement narratif sobre et distancié, celui d'un témoignage déchirant fait d’allers-retours entre passé et présent, sous la forme d'un dialogue entre Vladek Spiegelman et son fils Artie ; un sujet grave porté par l’universalité de son propos et abordant des thèmes profonds : lente déshumanisation, aliénation, antisémitisme, poids de la culpabilité des survivants, peur du manque et du vide; et une approche graphique ingénieuse, celle de la métaphore animalière où les Juifs sont représentés en souris traquées et les nazis en chats prédateurs sadiques, référence claire et directe aux stéréotypes de la propagande nazie montrant les Juifs comme des rats. A ces partis-pris et astuces formelles s’ajoute le récit poignant de Vladek, qui nous plonge au cœur de l’horreur génocidaire de la Shoah, des pogroms aux déportations de Juifs en Europe de l’Est, jusqu’aux ghettos et chambres à gaz de Pologne. Ici, Spiegelman réussit le tour de force de montrer l’impensable et de raconter l’ineffable, prouvant au passage tout le potentiel narratif de la BD, en une parfaite synthèse graphique des styles comics et franco-belge. Mais survit-on réellement à la barbarie la plus aliénante ? La femme de Vladek, Anja, s’est suicidée en 1968, et lui, dépeint en homme irascible et angoissé, est hanté par le souvenir d’Auschwitz, tandis qu’il entretient une relation compliquée avec son fils…Avec Maus, Spiegelman a montré que la BD était tout à fait capable d’explorer d’autres champs narratifs, plus graves, plus sérieux et plus littéraires. Rare et bouleversant, en plus d’être un formidable outil de transmission et de pédagogie, Maus est un livre essentiel du 9ème art (mais pas seulement !). A lire pour lutter contre l’oubli qui guette. Un monument.(5/5)
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