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Pharmakon, Olivier Bruneau (Le Tripode)

Toujours une grande joie d'apprendre la parution d'un nouveau roman d'Olivier Bruneau. Depuis le mythique Dirty Sexy Valley et le passionnant Esther, on se demandait bien ce que pouvait encore nous réserver l'intenable auteur français. Sûrement plus sage mais pas moins intéressant que les précédents, Pharmakon suit donc les pas d'un sniper engagé dans une guerre, quelque part entre l'Afghanistan et le Pakistan, et qui fait l'objet d'expérimentations scientifiques. Sur le terrain, un groupe de mercenaires est censé protéger une raffinerie, avec des terroristes autour ou, en tout cas, des paysans en haillons un peu louches, sans parler des femmes qui les accompagnent et des moutons intrusifs, véritables héros du récit. Non seulement notre sniper est le meilleur dans son domaine, un véritable employé du mois, mais il doit en outre prendre une pilule magique capable de le maintenir éveillé H24, sept jours sur sept. Infatigable, imperturbable notre sniper ? Pas tout à fait... L'occasion pour Bruneau de naviguer dans les eaux troubles de la veille et du sommeil, entre rêves et réalités, dans un contexte de paysage sec sous tension extrême, avec la mort qui rôde autour et des fantômes de guerre partout, partout.

Voilà un auteur qui a tout compris à l'art littéraire. Capable d'écrire des textes intelligents et divertissants, Olivier Bruneau soigne son style à la serpe pour livrer un roman ultra visuel. Rien d'étonnant si l'on se souvient que l'auteur écrivait des scénarios avant de se lancer en littérature. C'est là son grand talent, rendre prégnants des paysages de guerre et des univers mentaux où l'on perçoit physiquement l'aridité, la sueur, la mort et ses odeurs de pétrole, la tension de la guerre qui plonge le sniper et nous avec dans des ambiances cotonneuses, tour à tour exaltées et mortifères, dans l'ivresse et la destruction. Oui, Olivier Bruneau a un don pour les images et les mirages, qu'il campe avec ses mots toujours lascifs et ses phrases volontairement impuissantes à solder l'ambiguïté, toujours avec cet humour, discret ici, confectionné dans une citerne d'errances où l'on sombre gentiment.
Oui, ce texte court captive par sa tension et ses images, son intrigue simple qui oscille entre rêve et réalité donc, saupoudré d'une petite tension sexuelle au sein du groupe de mercenaires, avec un bel équilibre entre scènes d'ennui, quand rien ne se passe sur le théâtre de la guerre, et scène d'action au dénouement explosif, aux conséquences traumatisantes. L'euphorie et le marasme. Le délire et l'hyper-lucidité.

Je reste à la porte du sommeil, paumé dans un brouillard entre rêve et réalité, j'arrive pas à faire ce pas de plus pour sombrer encore, c'est presque pire que d'être éveillé. Comme si les médocs du traitement et le somnifère se battaient à mains nues, avec moi en spectateur au bord du ring.
Et puis, sans en faire des caisses, comme dans Esther, l'auteur invite à réfléchir sur le "sens" de la guerre au miroir du capitalisme, et sur la place de ses acteurs, victimes expiatoires ou otages d'enjeux économiques/scientifiques toujours plus destructeurs. Notre héros, qui empeste d'ailleurs la friture après un coup de sang, finit aveuglé par les néons criards de la ville plongée dans la nuit noire, enlacé dans sa solitude existentielle. La vie est un désert où rien n'arrive, un grand sommeil, la vie est un tunnel, la vie est un rêve sans fin, un cauchemar qui débute. Ne reste plus qu'à errer dans un état de semi-conscience. Ce livre, avec son style nerveux, pourrait être le parfait scénario d'un film de guerre et de science-fiction. Mais il est surtout et avant tout le troisième roman d'Olivier Bruneau, moins bourrin et mémorable qu'un Dirty Sexy Valley, mais toujours aussi subtil et captivant. On le savait déjà, mais cet auteur est bien une valeur sûre de notre paysage littéraire. En tout cas, nous, on est toujours aussi fan de cette littérature vivante, léchée, aux ombres floues et aux contours lumineux.

                                                                                                                                                                      
Pharmakon (désigne à la fois le poison et le remède en grec), Olivier Bruneau notre idole, Le Tripode (éditeur de qualité), avril 2022, 15€.

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