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Voici des ailes, Maurice Leblanc (Libretto)

 Maurice Leblanc, le père d'Arsène Lupin, en connaissait un rayon sur la petite reine ! Avec Voici des ailes publié en 1898, nous voilà lancés sur les routes de Normandie et de Bretagne, à vélo, en compagnie de deux jeunes couples en quête de nature et de liberté. Régine, Madeleine, Guillaume et Pascal découvrent les joies de la bicyclette avant de redécouvrir au détour d'un carrefour, d'un bosquet ou d'un chemin, les plaisirs de l'amour. C'est que le vélo exige des efforts et des peines. C'est une conquête, de soi et de l'équilibre. Le vélo purge et libère. Nos quatre héros, enivrés par une liberté retrouvée, vont d'abord penser se brûler les ailes, présumer de leurs maigres forces. Mais non, bien au contraire, après quelques tours de pédales sur les routes de France entre Jumièges et Dieppe, Cany et Mortagne, après la sueur aigre et les brûlures aux mollets, ils vont faire corps avec des paysages et des émotions enfouies depuis longtemps avant de librement brûler les étapes, armés d'ailes toute nouvelles : des roues, un pédalier, l'amour et le désir. Une fois l'équilibre trouvé sur le vélo, une autre alchimie va naître de la friction des corps dans l'effort et du coeur pas encore au point mort. Des attirances, des cachotteries, des coups de pédales et des paresses, des jalousies, des hésitations, et voici le désir des uns et des unes tout excité. Les sentiments réveillés, l'amour qui rend fou et le vélo qui rend ivre. Les ménages sont mal assortis ? Qu'à cela ne tienne, le vélo va se charger de leur remettre les idées à l'endroit. Et c'est alors un chavirement, un bouleversement des sens, les individus se libèrent et les couples se reforment à la faveur d'une aube matinale. Virages, bifurcations et carrefours détourneront les sentiments sur la voie d'une rédemption amoureuse. À vos guidons et selles !

Merci à mon informateur pour cette charmante et aimable découverte. Antoine de Caunes évoque dans sa préface un joyeux "marivaudage à pédales", livre court qui se propose de vanter les mérites conjoints et respectifs de la femme et de la bicyclette. Premier roman cyclopédique, paraît-il, qui met donc en relation les plaisirs du vélo et cette façon qu'a la pratique de vous rendre plus lucide, moins aveugle et moins sourd à ce qui vous entoure. C'est pourquoi, une fois lancés sur les chemins de traverse, nos couples vont comprendre qu'ils se sont peut-être trompés de chaussette et les désirs, aimantés par de nouveaux amants, jetés dans de nouvelles directions, vont trouver un regain d'énergie pour porter nos amoureux vers des lieux inattendus, inexplorés, inconnus. Oui, l'effort libère la parole, apaise et calme les coeurs, le vélo agissant comme la baguette d'une fée. C'est miraculeux et magique, les couples se sentent à nouveau vivants, puisant dans des trésors d'énergie et de souplesse. 
Oh ! la bonne vie de hasard et d'imprévu ! la bonne vie si pure et nouvelle ! Cela devient passionnant de vivre. Oh ! comme c'est bon d'être heureux pour la seule raison que l'on vit ! C'est un bonheur toujours à portée de notre main. (...) Et c'est à elle que nous devons cela, à cette petite chose d'acier. Ayons-lui de la reconnaissance.
L'incompréhension, puis la grâce, le murmure d'une chaîne, l'esthétique du mouvement, le bruit sourd des pneumatiques... Maurice Leblanc rend hommage à la petite reine, à ses délices et ses élans qui seuls peuvent rendre heureux un homme ou une femme, voire un couple. L'auteur a tout compris à l'art du pédalage. C'est d'abord une affaire de spécialistes —on ausculte sa machine et on loue ses beautés —avant de comprendre que pour comprendre sa monture et ne faire qu'un avec elle, il faut lâcher sa prise pour accueillir ses bienfaits. On erre alors, maître de soi, on est libre, on est fort, "paladin intrépide" transformé par le mouvement, arraché à son quotidien. Il revit, sa carapace de verre se brise. Il voit mieux, il sent mieux, il vit plus intensément, ouvert au mystère, à ce désir qui tapote sur son guidon de bicyclette. Le vélo est une caresse reçue en plein visage qui exacerbe les sensibilités nous dit Maurice Leblanc, à grand renfort d'images naturalistes, simples mais efficaces. Avec une belle musique, équilibrée, jouée sur un air mutin et coquin, dans une ambiance plaisamment désuète. On rit alors des retournements de situation entre hymnes et harmonies, attentif aux accoutrements d'un autre temps qui signalent le désir, aux postures qui trahissent des penchants pour la camarade de route. C'est à une métamorphose qu'on assiste, à une formidable poussée de sève qui mêle l'effervescence et la colère, la jalousie et l'amour pur. Pour aller plus haut, pour voler en toute simplicité, plus léger, libéré des chaînes du passé.
Et maintenant, dans le grand espace vide et purifié qui s'ouvre en nous, affluent des choses nouvelles et claires, de la bonté, de la grâce, de l'indulgence, de la sérénité, et de l'amour, Madeleine, de l'amour surtout.

Images champêtres d'une chevauchée, humeurs amoureuses d'une randonnée, discours emportés, envolées lyriques et observations fines sur le pédalage dessinent le tableau sensuel des émois retrouvés, d'un réenchantement à deux roues, à deux coeurs. "On a la joie de créer en vitesse et en impressions l'équivalent de ce qu'on a dépensé en énergie et en espoirs." Beau résumé de la pratique du vélo qui apprend à vivre dans le présent ("plus forte que la tristesse, plus forte que l'ennui, elle est forte comme l'espérance"), mis en regard d'une révélation sentimentale. Ce roman de Maurice Leblanc est une ode au vélo, à l'amour et aux femmes maîtresses de leur destin, qui empoignent leur guidon la liberté en bandoulière, portées par la joie, l'ivresse et la folie du mouvement. Étonnamment moderne, tout est à prendre dans ce joli roman de l'élan, drôle et léger, à la fois précieux et libéré, malin et galant. C'est bon et vivifiant, ça ouvre l'appétit et le monde. Roue dans roue, coeur à coeur. Oui, le vélo donne des ailes !

                                                                                                                                                                   

Voici des ailes (toutes belles), Maurice Leblanc le romantique, Libretto au ravito, 90 p. d'amour, 7,10€ le bidon d'eau



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