Bon, dès qu'on me parle de la Horda Frenetik, mon coeur fond, c'est comme ça, ça me rappelle ma jeunesse. Oui, on l'oublie trop souvent, même dans les fratries, on se tape sur la gueule de temps en temps, entre Boys et Tigris, entre fachos et gauchos. Mais Fus et Gillou, eux, sont deux frères fusionnels, plus soudés que jamais depuis la mort de leur mère. Et puis la Horda de Saint-Symphorien a fini par être dissoute. Comme Fus, fils un peu désintégré, qui s'est perdu en chemin sur les sentiers de l'idéologie. Ou alors il a juste rencontré les mauvaises personnes. Pourtant, Fus, c'est un bon gars, le fils que tous les parents rêveraient d'avoir. Prévenant, gentil, sympa, jamais un mot de trop, prêt à filer un coup de main pour les potes en galère. "Est-ce qu'on est toujours responsable de ce qui nous arrive ?" Vaste question qui hante le bouquin. Allez, j'me mouille dans les eaux normandes, c'est du 50-50. La faute à pas de chance, ou à un malheureux fumi. Ou à un tract distribué au mauvais endroit. 1000 choses, 1000 détails font basculer les vies du bon ou du mauvais côté. Fus et la Horda, même combat. Mais Laurent Petitmangin, plutôt que de répondre par des chiffres et des statistiques au problème du libre-arbitre (tu votes comme tes parents, non ?), le fait avec ses mots, sobres, pour éviter les réponses trop simples.
De réponses, d'ailleurs, il n'y aura pas. L'auteur préfère s'attarder sur les liens d'une famille de l'Est de la France. Le père bosse à la SNCF, prend la voie de gauche et finit par se retrouver seul sur les rails de la vie le jour où sa femme, la "moman", décède. Un tissu industriel qui périclite, des taux de chômage élevés et il faut tant bien que mal garder la tête haute. Gillou prend l'ouest et la classe prépa parisienne et le grand frère, Fus, loupe le bon embranchement existentiel. Le soleil se couche à l'extrême-droite pour lui, dans la pénombre répétée de la zonzon.
Cette petite famille a de l'amour à revendre, un père qui se débrouille sans tout maîtriser, bien sûr. Ils ne sont pas gâtés par la vie mais ils ont le foot, les matches à Saint-Symphorien, les potes et les voisins. Et les deux frères s'entendent à merveille. Le père les éduque, tente de leur transmettre quelques valeurs mais un jour, c'est la honte, après l'irréparable. La douce petite chronique familiale et industrielle vire au drame amer.
De quoi avais-je peur ? Qu'est-ce qui pouvait bien arriver le jour d'un enterrement ? Soulagé quand même. Parcouru de pensées vides, de questions aussi inutiles qu'indispensables qui allaient rythmer désormais ma vie. Qu'est-ce que j'allais leur faire à manger ce soir ? Qu'est-ce qu'on ferait dimanche ? Où étaient rangées les affaires d'hiver ?
Aucun voyeurisme, aucun misérabilisme dans ce livre juste et tendre de bout en bout, presque minimaliste en apparence. Laurent Petitmangin immerge facilement dans cette ambiance modeste par les mots du père, ses pensées et ses réflexions, celles d'un gars du peuple un peu paumé depuis que sa femme est partie. L'écriture épouse le populo avec une grande précision, sans en faire des tonnes, à mi-chemin entre le familier et un joli travail sur la langue. C'est très sobre mais on sent la précision dans le rythme notamment. C'est donc peut-être moins l'histoire qui séduit ici que la façon de l'incarner par des phrases courtes, efficaces, qui posent en quelques minutes des personnages forts et attachants. Oui, Fus, on veut bien le croire, est un sympathique taiseux. Mais aussi un type serviable, un bon fils qui s'est égaré sans le savoir, peut-être abandonné par son père.
Sans originalité, je rejoins donc tout ce qui est dit de positif sur ce livre. Une belle empathie, un ton toujours juste et une histoire crédible, sur les fratries et l'amour entre un père et ses fils. Sur notre responsabilité et le déterminisme. Pas de réponses définitives dans Ce qu'il faut de nuit, juste des états d'âme, une belle maîtrise narrative (c'est un "premier roman") et une écriture au cordeau mais pudique. À vous nouer la gorge. C'est noir, ok, mais c'est beau. D'une tendre et belle humanité.
Ce qu'il faut de nuit, Laurent Petitmangin, La Manufacture de livres, août 2020, 188 p., 16,90€
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