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Si maintenant j'oublie mon île, Serge Airoldi (L'Antilope)

 Enquête, rêverie, essai, lettre adressée à un mort, Si maintenant j'oublie mon île, de Serge Airoldi, convoque la vie de Mike Brant pour s'interroger sur l'écriture et dessiner un lieu où exprimer l'impuissance à saisir le "je". Disons-le tout de suite, ce n'est pas une biographie du chanteur ou l'examen approfondi d'une success story. Plutôt le point de départ —le suicide inexpliqué de l'artiste — de spéculations sur le mal et les façons de l'écrire.


Digressions, parenthèses, associations d'idées, le texte ne suit pas un fil conducteur précis et affirme, d'emblée, que son projet est impossible. On ne connaîtra pas les raisons du suicide du chanteur, mais l'on pourra remonter le fil de son existence pour s'interroger, poser les questions en sachant qu'on n'obtiendra jamais de réponse, même par l'écriture. Au fond, et vous vous en rendez bien compte, là n'est sans doute pas le coeur du livre. Il faut chercher ailleurs. Dans les silences et le caractère taiseux de l'artiste, sa généalogie, son rapport à la judéité. Dans quelle mesure l'itinéraire de parents conditionne-t-il votre existence ?

J'ignore ce qui me prend d'écrire sur la guerre, sur les guerres. Ne sait-on jamais ce qui nous pousse à écrire ? Écrit-on vraiment ce que l'on voudrait écrire ? Je ne le crois pas. Je t'en ai déjà parlé, Moshé. J'ai lu, sous la plume de Marcel Cohen, cette idée partagée.

Si ce livre est bien écrit, je n'en ai pas toujours compris les directions. Serge Airoldi fait une sorte de collage, reliant artificiellement des passages très factuels et ses réflexions sur la langue, sur qui est Mike Brant, lui-même et sur l'impossibilité de le savoir. Débrouillez-vous avec ça. Le livre donne l'impression, parfois, que l'auteur ignore de quoi il va parler et qu'il a besoin de l'écrire pour le savoir ("Je suis là pour une rencontre — que je sais improbable, dans le meilleur des cas, fragile — avec les marges, l'opacité, avec je ne sais quel conseil des ancêtres, avec moi-même peut-être."). J'y ai lu des tentatives de vie, des bouts de pensée sur l'identité, l'errance et l'exil, des interrogations sur le mystère de nos actions et de nos trajectoires de vie. De la souffrance de "Moshé", de ses silences, le livre ne fait pas grand-chose finalement. La dernière page tournée, l'impression d'avoir tourné en rond, d'être resté sur une île définitivement isolée, perdue, qui ne communiquera jamais avec les vivants. Des spéculations, une dérive, les hasards de l'écriture... tout ça a fini par me perdre. Mais je lui ai trouvé une grande qualité à ce livre, sa matière à réflexion sur l'acte d'écrire ("On n'écrit jamais ce que l'on souhaite écrire au moment où s'engage cet acte étrange."). Toutes les phrases qui l'évoquent sont justes, et écrites dans une langue sobre et poétique qui épaissit le mystère de la création. Et par ricochet, les raisons d'un suicide, d'un malheur.

Je crois, Moshé, que tu as vécu comme un enfoui, et tes mots avec. Quelque chose t'a détruit en intérieur, et les a brisés du dedans. Quelque chose s'est abîmé dans ton île. D'ailleurs, tu n'étais qu'une île je crois, portant comme un tatouage sur le coeur ces mots de Rilke :"D'île à île, il n'y a qu'une possibilité : de dangereux sauts..."

Un livre qui, sans m'ennuyer, ne m'a donc pas convaincu, la faute à une érudition pas toujours bien placée, à des rapprochements gratuits, sans liens évidents. Moins un hommage qu'un soliloque inquiet, sur les recoins obscurs et la part de souffrance d'une existence, l'invention des lieux par les mots. Ou comment affronter l'opacité du mal par le langage. Vaste programme...

                                                                                                                                                                  

Si maintenant j'oublie mon île, Serge Airoldi, L'Antilope, août 2021, 151 p., 17€

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