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Adultère, Yves Ravey (Minuit)

 Le Ravey annuel est arrivé en mars et, encore une fois, il ne déçoit pas. Mieux, on se délecte à chaque fois d'une petite leçon de littérature à l'épure mystérieuse. Il suffit d'un titre à Yves Ravey pour déjouer les pronostics entre ironie malicieuse et attitude blanche. Il suffit d'une phrase à Yves Ravey pour poser un personnage, un caractère, un décor. Il suffit d'un prénom à Yves Ravey —Remedios, Jean, Walden — pour faire rire ou intriguer. L'histoire d'un pompiste, donc, au bord de la faillite. Un ami président du tribunal de commerce, un veilleur de nuit-mécanicien près de ses sous et une épouse aux sorties louches. Ah oui, j'oubliais, la retorse —ou consciencieuse — experte mandatée par l'assurance qui voit clair dans le jeu de Jean Seghers car les gendarmes, eux, sont un peu à l'ouest. Ou le croit-on. Bref, dettes, amours et incendie tissent le piège plein de cambouis où s'enfonce le malheureux pompiste...

On aime beaucoup les livres d'Yves Ravey (Pas dupe, Trois jours chez ma tante), petits polars pleins de malice qui font semblant de faire semblant. Ecriture blanche faussement minimaliste, personnages retors ou pathétiques qu'on peut encore sauver, suspense de pacotille qui tient absolument la route, humour à tout-va, les livres d'Yves Ravey sont assez uniques en leur genre, toujours indécidables, suspendus à un je-ne-sais-quoi de parfaite compréhension des âmes et des comportements. L'argent, le sexe, le pouvoir suffisent à faire un bon livre. L'écrivain l'a compris et en joue à merveille, déplaçant les enjeux de sa narration à chaque court chapitre. Si Yves Ravey écrit à chaque fois un peu le même bouquin, comment lui en vouloir quand, à la dernière page, il parvient encore à nous surprendre alors qu'on le connaît par coeur ? C'est tout le charme de cette écriture vénéneuse, retorse et délicieuse dans sa façon de jouer avec nos vaines attentes de lecteur. Une façon de brosser des caricatures fines sans entrer dans les détails de la psychologie, jamais. Tout juste un geste, un regard, une intonation, un cil qui bat et c'est tout pour cerner les instincts bas et la possibilité du rachat, les sentiments. Et on joue l'ingénu, on sait mais on feint de ne pas savoir. Jeu de dupes. Jean Seghers, gérant de station-service en faillite, sera-t-il plus malin  ou juste cocu ?

Cette nuit-là, Remedios est rentrée plus tard que d'habitude. Le gardien était en congé, la station-service baignait dans le premières lueurs de l'aube. Une voiture a déposé ma femme devant la piste.

Et puis tout simplement, au-delà d'une écriture clinique, les livres du Monsieur divertissent dans la plus pure tradition du polar mêlant bras cassés, calculateurs, passionnés, sans effets et sans flonflons, laissant au lecteur le soin de combler les vides d'une machination de province. De l'humour, du stress et une tension explosive en un roman court, resserré, effilé. Adultère, c'est du théâtre, du roman de gare, un formidable film qui enchaîne les scènes marquantes, comme un magnifique fantasme de fiction entre la veille et le sommeil, quelque part où on ne sait pas vraiment. A moins qu'il ne soit que le miroir à peine grossi de nos vies banales ? Avec un titre pareil, la seule question qui vaille est finalement : l'amour pourra-t-il triompher du mal ? Ahaha...

                                                                                                                                                                       

Adultère, Yves Ravey, éditions de Minuit, mars 2021, 141 p., 14,50€

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